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25 avril 2018 | La Revue POLYTECHNIQUE 02/2018 | Aéronautique

Drones – les loups déguisés en moutons ?

Elsbeth Heinzelmann*

Les drones ouvrent des perspectives jusqu’ici inédites. Initialement conçus pour le combat et l’observation militaire, ils sont de plus en plus utilisés dans le secteur civil. Néanmoins en 2015, un quadricoptère a mis en alerte les forces de sécurité en s’écrasant devant la Maison-Blanche et au début 2017, les agents de sécurité de Davos ont intercepté des drones survolant le Forum économique mondial, en dépit d’une interdiction de vol. La Haute école spécialisée bernoise BFH-TI dispose d’un antidote efficace contre ces risques.

Les habitants de la cité lacustre furent choqués quand, en été 1849, le maréchal Radetzky – qui ne pouvait pas tirer sur les îles à partir du continent – fit lancer sur La Serenissima des ballons en papier remplis d’air chaud portant des bombes. Finalement Murano fut touché et les Vénitiens se sont rendus.

 
Le projet de drones de la Haute école spécialisée bernoise testé sur le terrain. On voit l’un des deux nœuds de capteur avec générateur de courant, le Rack IT ainsi que le mât d’antenne avec le réseau d’antennes. (Source: Haute école spécialisée bernoise)
 



Les drones – une affaire colossale
L’inventeur, Franz Freiherr von Uchatius, n’en croirait pas ses yeux aujourd’hui s’il savait que le successeur de son ballon en papier a été vendu près de 450’000 fois en 2014. On parle d’un chiffre d’affaires de 127 milliards de dollars avec les avions téléguidés, contrôlés à distance. Le pays du sourire est un des leaders du marché.
Multi-talentueux, les drones s’élèvent à plus de 2000 m d’altitude. Ils sont faciles à piloter, prennent des photos spectaculaires, surpassent tout objet volant habité en termes de flexibilité. Appréciés lors de catastrophes naturelles, ils localisent rapidement et efficacement les victimes, apportent de la nourriture, de l’eau et des médicaments aux personnes en détresse. En 2013, lors du typhon Haiyan aux Philippines, ils ont apporté une assistance médicale; après le tremblement de terre au Népal en 2016, ils ont réussi à pénétrer dans les régions les plus reculées, difficiles d’accès; en décembre 2016 à Alep, ils ont atteint les habitants du district de Seif al-Dawla, dernier lieu sous contrôle terroriste; grâce à l’UNICEF, ils ont ouvert en 2017, au Malawi, le premier couloir permanent de drones en Afrique pour envoyer des tests sanguins et des vaccins. Mais ces avions sans pilote peuvent aussi représenter une menace pour nos villes, nos aéroports et nos centrales nucléaires. Dans les prisons, les drones sont utilisés pour faire passer en contrebande drogues, téléphones portables et pièces d’armes.
 
Le réseau d’antennes – les six antennes à l’arrière – pour la formation de faisceaux, l’antenne à l’avant servant à la détection.(Source: Haute école spécialisée bernoise)
 



Les experts du i-REX sont à la hauteur
Il est du domaine de compétence des scientifiques de l’i-REX, l’Institut d’analyse des risques et valeurs extrêmes de la Haute école spécialisée bernoise (BFH-TI), de protéger les infrastructures sensibles contre les menaces en constante évolution de l’ère de la haute technologie, en particulier des drones équipés de caméras UHD (ultra haute définition) et d’un support de vol intelligent.
Dans le cadre d’un projet soutenu par la Commission pour la technologie et l’innovation (CTI) et la Fondation INVENTUS BERN, ils ont coopéré avec la société COMLAB AG. Ensemble, ils ont développé un algorithme qui détecte l’UMTS (Universal Mobile Telecommunications System) et le LTE (Long Term Evolution), ainsi que les signaux de communication du drone commun dans un environnement hostile et combattent donc activement les drones malveillants. Cette entreprise experte en solutions professionnelles dans le domaine de la technologie à haute fréquence, a participé avec succès au développement d’un système qui détecte et localise des téléphones mobiles introduits clandestinement dans les prisons.
 
L’ingénieur électricien Bernhard Nyffenegger de la Haute école spécialisée bernoise teste le système de démonstration.(Source: Haute école spécialisée bernoise)
 



Éviter les fausses alarmes
Mais la détermination efficace et fiable de signaux spécifiques dans un environnement difficile ne va pas de soi. «Afin d’éviter les fausses alarmes déclenchées par des signaux parasites, on utilise souvent des caractéristiques du signal utile pour minimiser l’influence des interférences», explique Bernhard Nyffenegger, chef de projet et assistant scientifique à l’i-REX de la Haute école spécialisée bernoise à Berthoud.
«Les signaux de communication modernes ont souvent une large bande passante ainsi que des formes spectrales spécifiques; ils ont un comportement cyclostationnaire. Les signaux perturbateurs peuvent être dynamiques et avoir une puissance très élevée par rapport au signal utile. De telles caractéristiques empêchent l’utilisation d’algorithmes d’amplification des signaux classiques. Notre idée est donc d’utiliser la forme caractéristique d’un spectre de densité de puissance à court terme (Power Spectral Density PSD) de signaux de communication modernes en effectuant la séparation du signal par filtrage morphologique avant la détection», ajoute-t-il. Le PSD du signal enregistré subit un filtrage morphologique avec un élément structurel spécifique (SE), qui permet de séparer le signal utile de la perturbation et de détecter des signaux fiables et robustes.
 
Neutraliser les «méchants»
Cela signifie que «Le filtrage morphologique sépare les signaux de communication du drone, des autres signaux indésirables dans le domaine des fréquences», explique Bernhard Nyffenegger. «Nous évaluons ensuite les signaux des drones réceptionnés en même temps par plusieurs antennes, à l’aide d’un procédé moderne de Beamforming, une méthode déterminant la position des sources dans les champs d’ondes», poursuit l’ingénieur électricien. Ceux-ci informent les scientifiques d’où vient un signal et leur montrent ainsi la direction d’approche d’un drone. À l’aide de ces signaux, ainsi que des signaux isolés du drone, ils sont maintenant en mesure d’envoyer un signal d’interférence spécifique au drone. De cette façon, ils ne dérangent expressis verbis que les signaux de drone sans interférer avec d’autres dispositifs des environs, voire les bloquer.
 
Vue des connexions des sept câbles d’antenne au rack IT. (Source: Haute école spécialisée bernoise)
 



Des tests avec des signaux brouilleurs
Afin de tester la robustesse de l’algorithme choisi, les chercheurs l’ont testé sur le terrain pendant trois jours, avec de nombreux signaux brouilleurs puissants à bande étroite. L’algorithme combine la densité spectrale de puissance PSD à court terme avec des filtres morphologiques. Il fournit une méthode fiable pour séparer les fortes interférences d’un signal désiré. Il détermine également des signaux de communication avec une sensibilité supérieure à 98,2  % et un taux de fausse alarme inférieur à 0,8 %. Les chercheurs ont également testé les conditions de visibilité dans des régions faiblement peuplées. Ils ont ainsi pu détecter des drones à une distance de 2 km. Ils ont aussi installé leur système de détection de téléphones mobiles UMTS et LTE dans une prison de Berlin et ont obtenu un système de brouillage modulaire de haute qualité. Ce système d’interférence empêche l’utilisation interdite de téléphones mobiles, à la grande satisfaction du personnel des prisons.
 
Les drones sont du ressort des experts
De manière générale, il faut clairement distinguer entre détection et défense: il n’est pas nécessaire d’émettre des signaux pour détecter et tracer. Le système n’interfère donc pas avec le WLAN ou d’autres sources. Le système de détection et de traçage peut donc être utilisé pratiquement partout. Ce n’est pas le cas du système avec défense intégrée qui émet des signaux parasites. Ceux-ci perturbent le drone, mais éventuellement aussi d’autres sources, ce qui est inacceptable dans certains endroits sensibles. L’utilisation d’autres mécanismes de défense n’est pas interdite. On peut envisager des drones capables de suivre des collègues détectés et de les «descendre» de manière ciblée.
Dans son approche de défense, Bernhard Nyffenegger décrit l’objectif suivant: «Nous envoyons exactement les mêmes signaux que nous recevons de l’objet volant. Nous les dirigeons sur le drone, mais seulement au moment où il émet. Le système de défense réalisé travaille de manière sélective en matière de fréquence, direction et temps. Une puissance minimale est ainsi nécessaire pour perturber efficacement un drone. Grâce à la puissance minimale émise en matière de fréquence, direction et temps, la perturbation d’autres sources est minime, voire nulle, ce qui permet d’utiliser le système de défense dans des endroits où il y a beaucoup d’autres sources.»
 
Les drones Phantom 3 et Phantom 4 utilisés pour les essais sur le terrain viennent de l’entreprise technologique chinoise Dà-Jiāng Innovations Science and Technology Co Ltd, en bref DJI, leader du marché des drones conviviaux. (Source: Haute école spécialisée bernoise)
 
 

Où va-t-on ?
Aujourd’hui, les drones ne sont pas hors de prix pour les profanes intéressés, un appareil simple peut en effet être loué pour environ CHF 20.- par jour. Bien que partisan du partage, Bernhard Nyffenegger met en garde: «Fondamentalement c’est une bonne chose, il est toutefois problématique que les personnes sans expérience du pilotage d’un drone puissent causer beaucoup de dégâts à moindre frais. Le propriétaire doit toutefois s’enregistrer sur le portail et son nom est donc connu, ce qui facilite les enquêtes en cas d’accident.»
Le transport de marchandises par drone est également envisageable, puisqu’il supporte actuellement jusqu’ à 30 kg. En Janvier 2017, le salon Consumer Electronics Show de Las Vegas a présenté un drone destiné à la sécurité dans le salon et le jardin interconnectés. Il transporte de petits objets et se dirige automatiquement vers la station de charge sans fil au sol. En mars 2017, l’Office fédéral de l’aviation civile (OFAC) a donné le feu vert à La Poste Suisse pour des vols de drone entre deux hôpitaux tessinois. D’autres essais doivent encore être réalisés, mais une utilisation fixe des multicopieurs est prévue pour 2018.
 
Les drones VTOL
Les drones VTOL (Vertical Take-Off and Landing) qui décollent et atterrissent verticalement, sans piste de décollage et d’atterrissage, ont aussi un potentiel d’avenir. Comme ces drones sont extrêmement maniables et que l’espace requis pour décoller et atterrir est extrêmement faible, ils conviennent pour contrôler la teneur en humidité des vastes terres de culture, aux Etats-Unis et en Amérique du Sud, par exemple. Ils sont également intéressants pour vérifier le fonctionnement d’installations photovoltaïques. Si l’on ajoute de l’hydrogène et de l’énergie, les drones VTOL peuvent être utilisés pendant six heures et sont donc parfaitement adaptés aux longues distances dans les pays en voie de développement.
Mais avec le développement de drones plus puissants, il faut avant tout élargir les bases juridiques, ce qui, en Suisse, relève de l’OFAC. Il importe avant tout de veiller au respect des directives et sanctionner en conséquence les infractions.
 
Haute école spécialisée bernoise
Institut d’analyse des risques et valeurs extrêmes i-REX
Prof. Rolf Vetter
rolf.vetter@bfh
irex.bfh.ch

 

*Journaliste science + technologie