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17 octobre 2016 | La Revue POLYTECHNIQUE 08/2016 | Machines-outils

Une micro-fraiseuse révolutionnaire

Pierre-Yves Kohler*

Si le concept du «code source ouvert» s’applique au monde du logiciel, vouloir le mettre en œuvre dans le monde très conservateur de la machine-outil semble être une gageure. Celle-ci ne fait pas peur à Philippe Grize, directeur de la Haute École Arc Ingénierie située à Neuchâtel.

Lors du SIAMS 2016 qui s’est tenu ce printemps à Moutier, la Haute École Arc Ingénierie (HE-Arc)a présenté une micromachine de fraisage à peine plus grande qu’une machine à café, développée dans le cadre du programme EcoSwissMade. «Notre stand n’a pas désempli, les visiteurs ont manifesté de l’intérêt, soit pour acheter des machines, notamment pour le domaine horloger, ou encore pour acheter le concept dans le but de l’industrialiser immédiatement», explique Philippe Grize, le directeur. Quelques semaines plus tard, la Haute École a développé ce concept et sa vision du futur devant un parterre d’une soixantaine d’industriels intéressés, lors d’une rencontre qui s’est tenue à Saint-Imier. Quelles sont les prochaines étapes envisagées?

 
Développée dans le cadre du programme EcoSwissMade, la machine micro5 n’est pas encore industrialisée, mais les tests d’usinage de laiton et d’inox réalisés avec le prototype sont très prometteurs. La HE-Arc recherche des partenaires pour sa production et sa commercialisation. Crédit photos: www.patriceschreyer.com
 

Une industrie prête pour l’innovation
Si l’on parle de la «micro-factory» (micro-usine) depuis une quinzaine d’années au Japon, les solutions développées restaient très largement des curiosités de laboratoire. Avec le développement des concepts d’Industrie 4.0, de «Smart Factory» et la demande d’impact environnemental réduit (notamment un gaspillage d’énergie minimal et une production au plus près des lieux de consommation), le marché semble être prêt à accueillir une solution de production radicalement nouvelle. Philippe Grize constate: «La recherche appliquée par la Haute École correspond finement aux besoins de notre tissu industriel régional, en l’occurrence l’Arc jurassien des microtechniques; nous avons le même ADN en ce qui concerne la précision, la qualité et l’amour du travail bien fait». Il ajoute: «Tout plaide pour que nous ne soyons pas seulement des acteurs dans cette révolution annoncée, mais bel et bien des leaders».
 
Toute la chaîne de valeur à portée de main
Comparativement à d’autres régions du monde qui communiquent largement autour d’Industrie 4.0, notamment l’Allemagne, la Suisse d’une façon générale et l’Arc jurassien en particulier disposent d’avantages incomparables. Dans cette région, la part des emplois dans le secteur secondaire, à travers le tissu de PME industrielles et microtechniques, atteint près de 45 %. «Les compétences mises à notre disposition dans une région de quelques centaines de kilomètres carrés sont extraordinaires, nous y trouvons des spécialistes actifs tout au long de la chaîne de valeur, c’est une force fantastique qu’il faut exploiter quand on parle d’interconnexion au sein et entre les entreprises», explique Philippe Grize d’un ton passionné.
 
L’usinage a été complétement repensé autour de la pièce, notamment les masses en mouvement. Le design des pièces de fonderie a, par exemple, été radicalement repensé, à tel point que le fondeur a tout d’abord refusé de réaliser les pièces.
 

Le concept: aussi bien mais avec beaucoup moins
À la base du développement de micro5 - la micromachine cinq axes développée par les ingénieurs de la HE-Arc - se trouve la notion du développement d’une machine capable d’usiner une pièce hors d’un cube de 50 mm d’arête et dont la taille serait adaptée. Le résultat: une réalisation faisant penser à une «machine à café espresso» dont les masses en déplacement représentent à peine 10 kg. Le professeur Claude Jeannerat, responsable du groupe «Conception des moyens de production» à la HE-Arc constate: «Habituellement dans la machine-outil, seulement 15 % de l’énergie est utilisée pour générer du copeau et 75 % sont perdus en frottement et échauffement; c’est un gaspillage énorme». Avec son équipe, il est donc reparti de la pièce à usiner et a conçu une machine totalement différente, dotée d’une fréquence propre élevée, d’une haute dynamique et d’une très grande fidélité de suivi de trajectoire à haute vitesse. Il est à relever que toute la stratégie d’usinage se base sur l’interpolation. La précision d’usinage n’a rien à envier à des machines traditionnelles, beaucoup plus lourdes, puisque lors des tests effectués par l’équipe de développement, l’écart-type maximum sur une journée de travail est inférieur à 1,5 µm sur les principales cotes dimensionnelles.
 
À qui cette machine est-elle destinée?
Le développement de la machine micro5 a été financé par des fonds publics; il fait partie d’un programme de recherche de la HES-SO, EcoSwissMade, doté de près de 4 millions de francs sur quatre ans. Aujourd’hui la HE-Arc veut mettre son savoir, son expérience, ainsi que les résultats de ce développement à la disposition de l’industrie suisse. Philippe Grize précise: «La HE-Arc ne va ni produire, ni commercialiser la micro5 et nous ne souhaitons pas faire émerger une jeune pousse. Il y a suffisamment d’entreprises actives dans le domaine de la machine-outil et nous allons simplement mettre notre développement à la disposition de toute entreprise suisse intéressée». La haute école vise donc bel et bien à «donner» la machine sur une base «open source». À ce sujet le directeur ajoute: «Souhaitant mutualiser et fédérer, nous sommes ouverts à toutes les collaborations; pour ce faire, nous mettons en place différentes possibilités de partenariat».
 
La cinématique de la machine.
 

Un investissement très limité
Pour pouvoir disposer des possibilités techniques de la machine micro5, les entreprises intéressées peuvent choisir la version de base. À savoir la souscription à la nouvelle entité mise en place: ARCM – Association de Recherche Communautaire des Moyens de production Microtechnique. Constituée selon le même modèle que l’Association suisse pour la recherche horlogère (voir encadré), cette association vise à mutualiser les développements sans remettre en question les savoir-faire et les spécificités de chaque participant. Moyennant une modique cotisation annuelle, les entreprises pourront prendre part à différents projets communautaires qui leur seront soumis. Et la micro5 en est le premier. Pour une souscription unique, les participants ont droit à deux jours de formation incluant la mise à disposition des principes de base et la méthodologie, les plans d’ensemble de la machine, ainsi que des informations sur les différents projets en cours dans le programme EcoSwissMade (voir encadré). Le directeur ajoute: «Pour les entreprises qui le souhaiteraient, nous cherchons des partenaires pour rapidement industrialiser et commercialiser cette machine».
 
Bientôt aussi une micro-décolleteuse
Si la machine-outil en «open source» semble futuriste, pour Philippe Grize et ses équipes, c’est déjà presque du passé. Aussi travaillent-ils déjà à la manufacture du futur, notamment par le biais de tous les concepts qui doivent s’intégrer à micro5, comme un changeur d’outils, une micro-lubrification, l’optimisation des trajectoires, etc. Mais d’autres idées sont également à l’ordre du jour, dont une prioritaire: le développement d’une micro-décolleteuse sur les mêmes concepts que la micro5. Sans parler de la partie «smart» avec l’intelligence embarquée.
Le directeur conclut: «Le financement public est terminé pour le projet micro5; donc pour développer notre vision de la manufacture du futur, nous devons faire appel au soutien de l’industrie et nous cherchons des donateurs pour nous permettre de financer les activités de recherche et continuer à faire des miracles! Bien entendu, les donateurs bénéficieront de retombées et d’avantages; ils pourront participer activement au développement d’une école au service d’une région riche de savoir-faire uniques au monde».
 
L’Association de Recherche Communautaire des Moyens de production Microtechnique (ARCM)
Créée en 1985, sous le nom d’«Association suisse pour la recherche horlogère», elle mène pour ses membres des travaux de recherche communautaires, visant à exploiter les avancées scientifiques et techniques afin de contribuer à renforcer la position de leader de l’industrie horlogère suisse. Les membres de l’association sont des entreprises horlogères (marques et manufactures), des fournisseurs de produits, de moyens de production et de services pour l’horlogerie et la microtechnique, ainsi que des laboratoires de recherche et des institutions ayant un lien avec le monde horloger.
 

 
Le programme EcoSwissMade
Le programme thématique de la HES-SO EcoSwissMade a pour ambition de réduire massivement la consommation d’énergie dans la production industrielle suisse, tant dans le domaine de l’utilisation des machines que dans ceux de leur construction et de leur recyclage. Afin de contribuer au maintien de l’industrie suisse de pointe, il est indispensable d’améliorer des procédés existants ou de développer de nouveaux procédés à la fois innovants, respectueux de l’environnement, moins coûteux, difficilement copiables et moins énergivores.
Le programme doit proposer des méthodes d’usinage apportant une amélioration des performances ou une optimisation des matériaux, des flux d’énergie et des outils de production, prenant en compte notamment la performance énergétique. Les solutions proposées seront évaluées, notamment en termes d’efficience d’utilisation de la matière première, d’efficacité énergétique, de durabilité, d’adaptabilité et de flexibilité. Elles doivent être immédiatement transposables à l’industrie. Un film de présentation est à découvrir sur YouTube:
https://www.youtube.com/watch?v=1LLiVXfoxbE&feature=youtu.be.
 
Haute École Arc Ingénierie
2000 Neuchâtel
Tél.: 032 930 13 13

www.he-arc.ch/ingenierie

 

 
 

 

 


 

* Directeur, FAJI SA, 2740 Bévilard