29 Juni 2020 |
La Revue POLYTECHNIQUE |
Éditorial
L’invincible Armada (éditorial 6-7/2020)
Michel Giannoni
L’invincible Armada
Ils étaient bien tranquilles dans la forêt du Yunnan. Personne ne les dérangeait, ils ne dérangeaient personne. Ils habitaient chez leurs hôtes, de drôles de souris ailées dormant la tête en bas, sorte de ptérodactyles des temps modernes. Puis l’envahisseur est arrivé. Avec ses bulldozers, ses tronçonneuses et ses pelleteuses, il a détruit leur habitat. Il les a déportés pour les exhiber dans ses marchés, les mettre dans ses assiettes et s’en régaler. Mais il n’avait pas vu que leurs proies hébergeaient un locataire. Ce n’était pas un terrible guerrier, ni un redoutable reptile, encore moins un fauve sanguinaire, mais un simple brin d’ARN, qu’ils ont affublé du nom de SARS-CoV-2.
Alors l’acaryote a réagi. Peu impressionnant de par sa taille, celle de sa population l’est bien davantage. Si l’espèce de ses envahisseurs compte quelque sept milliards d’individus, le nombre des coreligionnaires de SARS-CoV-2 s’écrit avec plus de cinquante chiffres. Bien qu’ils ne soient pas tous lourdement armés, ces microbes forment toutefois une impressionnante armada. Mais elle n’était pas motorisée. SARS-CoV-2 était sédentaire. Il s’est alors remémoré comment ses ancêtres avaient procédé.
Dans l’Antiquité déjà, une fièvre typhoïde venant d’Éthiopie frappa la Grèce en pleine guerre du Péloponnèse, faisant 70’000 morts. Propagée par les légionnaires lors de leur retour de Mésopotamie, la peste antonine toucha l’Empire romain entre 165 et 190, tuant un tiers de la population de sa capitale. Au VIe siècle, la peste de Justinien sillonna les voies commerciales du bassin méditerranéen, provoquant la mort de 20 à 25 millions de personnes. Entre 1347 et 1352, après avoir emprunté la route de la soie qui reliait la Chine à la Turquie, la peste noire tua 30 à 50 % des Européens. Elle réapparut en 1720 à Marseille, propagée par un bateau en provenance de Syrie. Elle décima la moitié de la population de la cité phocéenne, puis se transmit dans toute la Provence, où elle fit plus de 100’000 victimes. Quant à la grippe espagnole, apparue au Kansas, elle traversa les États-Unis avant de prendre la mer pour l’Europe, l’Asie et l’Afrique, faisant de 50 à 100 millions de morts.
Alors SARS-CoV-2 a pu se réjouir. Et il ne s’en est pas privé. En effet, jamais ses prédécesseurs n’avaient disposé d’autant de moyens – trains, avions, navires, voitures – pour se diffuser à travers le monde.
À l’instar de Francis Drake qui, en 1588, réussit avec sa flotte à vaincre l’invincible Armada, Homo sapiens parviendra-t-il à venir à bout de celle qui, aujourd’hui, nous transmet la Covid-19 ? Probablement, avec les moyens dont dispose actuellement la médecine. Mais les virus ne disparaîtront jamais. « Pour le monde que je voulais décrire, j’avais besoin de tuer 95 % de la population mondiale en gardant les infrastructures intactes. Un virus m’a semblé l’arme idéale », a déclaré Deon Meyer en parlant de l’un de ses romans.
Ils étaient bien tranquilles dans la forêt du Yunnan. Personne ne les dérangeait, ils ne dérangeaient personne. Ils habitaient chez leurs hôtes, de drôles de souris ailées dormant la tête en bas, sorte de ptérodactyles des temps modernes. Puis l’envahisseur est arrivé. Avec ses bulldozers, ses tronçonneuses et ses pelleteuses, il a détruit leur habitat. Il les a déportés pour les exhiber dans ses marchés, les mettre dans ses assiettes et s’en régaler. Mais il n’avait pas vu que leurs proies hébergeaient un locataire. Ce n’était pas un terrible guerrier, ni un redoutable reptile, encore moins un fauve sanguinaire, mais un simple brin d’ARN, qu’ils ont affublé du nom de SARS-CoV-2.
Alors l’acaryote a réagi. Peu impressionnant de par sa taille, celle de sa population l’est bien davantage. Si l’espèce de ses envahisseurs compte quelque sept milliards d’individus, le nombre des coreligionnaires de SARS-CoV-2 s’écrit avec plus de cinquante chiffres. Bien qu’ils ne soient pas tous lourdement armés, ces microbes forment toutefois une impressionnante armada. Mais elle n’était pas motorisée. SARS-CoV-2 était sédentaire. Il s’est alors remémoré comment ses ancêtres avaient procédé.
Dans l’Antiquité déjà, une fièvre typhoïde venant d’Éthiopie frappa la Grèce en pleine guerre du Péloponnèse, faisant 70’000 morts. Propagée par les légionnaires lors de leur retour de Mésopotamie, la peste antonine toucha l’Empire romain entre 165 et 190, tuant un tiers de la population de sa capitale. Au VIe siècle, la peste de Justinien sillonna les voies commerciales du bassin méditerranéen, provoquant la mort de 20 à 25 millions de personnes. Entre 1347 et 1352, après avoir emprunté la route de la soie qui reliait la Chine à la Turquie, la peste noire tua 30 à 50 % des Européens. Elle réapparut en 1720 à Marseille, propagée par un bateau en provenance de Syrie. Elle décima la moitié de la population de la cité phocéenne, puis se transmit dans toute la Provence, où elle fit plus de 100’000 victimes. Quant à la grippe espagnole, apparue au Kansas, elle traversa les États-Unis avant de prendre la mer pour l’Europe, l’Asie et l’Afrique, faisant de 50 à 100 millions de morts.
Alors SARS-CoV-2 a pu se réjouir. Et il ne s’en est pas privé. En effet, jamais ses prédécesseurs n’avaient disposé d’autant de moyens – trains, avions, navires, voitures – pour se diffuser à travers le monde.
À l’instar de Francis Drake qui, en 1588, réussit avec sa flotte à vaincre l’invincible Armada, Homo sapiens parviendra-t-il à venir à bout de celle qui, aujourd’hui, nous transmet la Covid-19 ? Probablement, avec les moyens dont dispose actuellement la médecine. Mais les virus ne disparaîtront jamais. « Pour le monde que je voulais décrire, j’avais besoin de tuer 95 % de la population mondiale en gardant les infrastructures intactes. Un virus m’a semblé l’arme idéale », a déclaré Deon Meyer en parlant de l’un de ses romans.
par Michel Giannoni