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Revue internationale de CRIMINOLOGIE et de POLICE technique et scientifique
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29 Juni 2012 | Revue internationale de CRIMINOLOGIE et de POLICE technique et scientifique 02/2012

DOSSIER SPÉCIAL: Homicides

par Marc Ouimet et Maurice Cusson

Introduction: une enquête mondiale sur l’homicide
L’homicide — c’est-à-dire le crime qui consiste à tuer intentionnellement autrui — est l’acte criminel le plus grave et le mieux mesuré qui soit. Ces dernières années, les taux d’homicide ont fait l’objet d’analyses comparatives mondiales du plus haut intérêt. Selon l’United Nations Office on Drugs and Crime (2011), 468’000 homicides ont été perpétrés dans le monde au cours de l’année 2010, pour un taux de 6,9 par 100’000 habitants. Globalement, 82% des victimes étaient des hommes. Dans les Amériques, le pourcentage d’hommes victimes monte à 90%. Selon la même source, 42% du total des homicides perpétrés dans le monde l’ont été par des armes à feu. En Europe, ce pourcentage est deux fois plus bas: 21%.
Pour quelles raisons les êtres humains tuent-ils leur prochain? Il est possible de distinguer quatre enjeux principaux des conflits susceptibles de se terminer en homicide. Premièrement, la puissance et la gloire. Deux rivaux se défient réciproquement et sont prêts à se battre à mort, chacun voulant montrer à tous qu’il est le plus fort, le plus brave, le meilleur. Leur réputation, leur honneur sont en jeu. C’est ainsi que des hommes vont jusqu’à tuer pour affirmer leur supériorité, pour devenir chef, ou le rester. Des chefs de bandes armées tuent leurs rivaux et vont jusqu’à massacrer des civils pour asseoir leur domination. Deuxièmement, on trouve la volonté de possession exclusive d’une femme. Le plus souvent, c’est la femme qui est tuée, soit au cours d’une crise de jalousie, soit quand un conjoint réalise que sa femme veut le quitter ou l’a déjà fait. Il arrive aussi qu’un rival soit tué par un mari trompé. Le troisième enjeu est l’appât du gain. On tue pour s’emparer du bien d’autrui. Aujourd’hui encore, des brigands tuent des voyageurs pour s’emparer de leurs biens; des kidnappeurs enlèvent un homme riche, exigent une rançon et finissent par tuer leur victime. On tue aussi un voleur pour conserver son bien. Enfin, il arrive que la peur conduise à l’homicide. Craignant d’être tués, certains tuent préventivement. D’autres frappent leur agresseur à mort. Les proches d’une victime vengent celle-ci de peur qu’une absence de réaction puisse être interprétée comme de la faiblesse. Dans de tels cas, la violence nourrit la violence et, quelquefois, pousse les taux d’homicides vers des sommets.
L’ampleur des variations des taux d’homicide d’un pays à l’autre est considérable, comme le lecteur peut le constater à la lecture du tableau 1 (à la page suivante) qui présente les taux d’homicide des pays de plus de 5 millions d’habitants. Il y verra aussi que les pays d’Amérique latine et d’Afrique sont affligés par des taux d’homicide quelquefois très élevés, alors que les pays industrialisés, à l’exception notable des États-Unis, se signalent par des taux d’homicide remarquablement bas.
Le meurtre n’est pas une fatalité et les nations affectées par des fréquences élevées d’homicide ne sont pas condamnées à subir ce triste sort indéfiniment. Car il est possible de construire une société non violente et un savoir sur les moyens d’y parvenir est en train de se construire. Ce savoir s’élabore par quatre moyens. On trouve, premièrement, les recherches comparatives globales visant à identifier les variables associées à de faibles taux d’homicides. Parmi ces variables, il s’en trouve un certain nombre — par exemple, les taux d’élucidation des crimes graves — sur lesquelles les autorités pourraient agir; deuxièmement, les recherches systématiques sur les pays dans lesquels les taux d’homicides sont très bas permettent d’identifier les contrôles sociaux et les institutions qui contribuent à la non-violence; troisièmement, l’analyse de la situation sociale et politique des pays affligés par des fréquences élevées d’homicide fait découvrir les problèmes à l’origine de cette violence et mène ensuite à la découverte de solutions appropriées; quatrièmement, il existe un réservoir de plus en plus important de recherches évaluant l’impact des diverses mesures préventives et répressives visant la réduction des violences criminelles. Des bilans systématiques de ces travaux conduisent à une meilleure connaissance des moyens de lutter contre la violence.
Les taux d’homicide nationaux apparaissent comme des données de plus en plus fiables. Et les grandes variables économiques, sociales, démographiques et politiques qui sont en corrélation avec l’homicide sont nombreuses, assez bien mesurées et de mieux en mieux analysées dans des recherches comparatives incluant pratiquement tous les pays du monde. Ainsi il est établi que les indices de pauvreté et d’inégalité entretiennent de fortes corrélations avec les taux d’homicide. Cependant une corrélation — c’est bien connu — n’est qu’un rapport statistique et ne peut pas être assimilée à une cause. Tout au plus, met-elle sur la piste d’une éventuelle relation causale. C’est pourquoi la corrélation entre la pauvreté et l’homicide demande à être expliquée. Il faut d’abord spécifier la direction causale. Or elle peut-être bidirectionnelle: dans certains pays, des niveaux élevés de violence font fuir les familles des classes moyennes et les investisseurs, ce qui fait de l’homicide une cause de pauvreté. Simultanément, cette dernière devient une motivation pour des pauvres désespérés, résolus à s’en sortir par n’importe quel moyen. Il arrive aussi que la pauvreté entretienne une relation indirecte avec l’homicide. Par exemple, dans les pays pauvres, la police et la justice sont sous-financées, ce qui nuit à la qualité du travail des policiers et des juges. Ainsi la prolifération des homicides n’est que partiellement explicable par le niveau de pauvreté d’un pays. Elle résulte aussi d’une prévention insuffisante, ainsi que du délabrement des tribunaux, de la police et des services correctionnels.
Un vaste chantier s’ouvre devant les chercheurs qui ambitionnent de faire progresser les connaissances sur l’homicide dans le monde. C’est pourquoi nous avons pris la décision de créer un réseau de chercheurs sous la bannière de «L’Enquête mondiale sur l’homicide» (EMH). L’EMH a pour mission d’accumuler et de diffuser de nouvelles données et analyses sur les homicides dans le monde en puisant dans des sources inexploitées. Cette enquête analyse les caractéristiques des victimes et des auteurs, les divers types d’homicide et les moyens de réduire ce fléau. L’EMH applique sa méthodologie originale aux villes, pays et régions du monde. Par la diffusion des connaissances, elle veut par ailleurs contribuer à faire reculer la violence dans le monde.
Les objectifs spécifiques de l’Enquête mondiale sur l’homicide sont les suivants:
1/    Recueillir et rendre accessibles des données fiables sur: a) divers types d’homicides dans les pays et grandes villes du monde, b) la gouvernance de la sécurité dans les pays et villes du monde: sur la prévention, la police, les tribunaux et les systèmes correctionnels et, c) les données sociales, économiques, sanitaires et politiques pouvant exercer une influence sur les taux d’homicide. Ces informations seront diffusées notamment auprès des organisations internationales, des centres de recherche et des acteurs du développement.
2/    Réaliser des recherches sur les homicides, problèmes et solutions, par a) des études comparatives sur l’ensemble des pays du monde et sur des régions, b) des monographies sur des pays et grandes villes spécifiques, c) des bilans d’évaluations de l’efficacité de programmes visant à réduire la fréquence de l’homicide et, plus généralement, de la violence.
3/    Diffuser nos résultats, par le biais de notre site Web, par la publication de livres, monographies ou rapports et la tenue de rencontres internationales.
4/    Développer un réseau international mettant en contact un grand nombre de chercheurs et d’acteurs préoccupés par les problèmes de sécurité et désireux de faire reculer la violence homicide.

L’Enquête mondiale sur l’homicide fera avancer les connaissances générales sur les pratiques et les politiques permettant de faire reculer la fréquence des homicides. Ces préconisations seront dégagées des analyses globales sur les homicides dans le monde, des études des pays et grandes villes dans lesquels les homicides sont particulièrement rares et des bilans de recherches évaluatives permettant de statuer sur l’efficacité de mesures de lutte contre la violence.

 
Tableau 1: Taux d’homicide des pays de plus de 5 millions d’habitants en 2010  (Source: UNODC: Gobal Study on Homicide, 2011).

L’Enquête mondiale sur l’homicide fera aussi des recommandations adressées à un pays ou une ville en particulier. Les autorités ne disposent que rarement, sinon jamais, d’études assorties de recommandations sur la violence létale dans leur juridiction. S’appuyant sur une enquête fouillée, l’EMH identifiera les problèmes qui se posent dans une ville ou un pays et indiquera des pistes de solutions.
Les articles réunis pour ce numéro spécial portent sur des nations situées sur quatre continents: l’Europe, l’Afrique, l’Amérique du Sud et l’Asie. Après un article portant sur un total de 41 pays européens suivront trois articles sur des pays affligés par des taux d’homicides très élevés: la Colombie, le Venezuela, et la Côte d’Ivoire. Le lecteur trouvera ensuite des articles traitant de deux pays dont les taux d’homicide sont parmi les plus bas au monde: le Japon et le Maroc. Il agira de contraster des nations situées aux deux extrémités de la distribution de fréquence dans le but de comprendre les dynamiques des violences mortelles fréquentes et ensuite, les raisons pour lesquelles certains pays parviennent fort bien à contenir leur violence intérieure. Ce numéro spécial se terminera par un article sur les rapports entre l’incarcération et l’homicide dans le monde.