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22 November 2019 | Sécurité Environnement

Édito (4/2019)

Histoires d’eau
L’information est passée ici pratiquement inaperçue : l’exploitation du Nil dresse l’Égypte et l’Éthiopie l’une contre l’autre. Les relations entre les deux pays sont au plus mal ! Pour assurer ses besoins croissants en énergie, Addis-Abeba intensifie la construction de barrages sur le Nil au grand dam du Caire. Celui de la Renaissance, actuellement en voie d’achèvement, sera le plus grand d’Afrique. Haut de 170 m et long de 2 km, il aura une capacité de 6000 MW ; trois fois celle du barrage d’Assouan. L’Égypte est vent debout contre cette retenue qui va diminuer de 25 % le débit du Nil en aval et menacer sa fragile agriculture ainsi que sa sécurité alimentaire. Aucun accord n’est en vue !
En Syrie, l’eau est une arme de guerre : lors de son offensive contre les milices kurdes dans le nord du pays, l’armée turque et ses supplétifs syriens ont méthodiquement bombardé et détruit les infrastructures de gestion d’eau. Selon les Nations Unies, 400’000 habitants de la seule région d’Hassaké ont été privés d’eau potable. Ces destructions ne sont pas fortuites : depuis des années Damas dénonce les perturbations turques du débit des cours d’eau transfrontaliers indispensables à son propre développement agricole et énergétique. Non loin de là, les ressources hydrauliques du bassin du Jourdain sont l’objet d’une très âpre concurrence entre Israël, la Jordanie, la Syrie, le Liban et les territoires palestiniens de Cisjordanie.
À plus petite échelle, le Vieux Continent n’est pas épargné : la France et l’Espagne, par exemple, ont vainement tenté jusqu’ici de régler la querelle qui, depuis des années, oppose dans les Pyrénées orientales une agence française de l’eau à la ville espagnole de Puigcerdá. L’eau qui coule dans les robinets espagnols est pompée gratuitement en France aux termes d’un traité datant… de 1856 ! Les Français jugent cet accord obsolète et réclament sa suppression à cor et à cri. Mais les Espagnols refusent !
Au Proche ou en Extrême-Orient, en Afrique, en Amérique du Nord et du Sud, le réchauffement climatique et la surexploitation des cours d’eau et des nappes phréatiques amplifient les pénuries et exacerbent les disputes et les menaces, y compris entre régions ou provinces d’un même pays. En Suisse même, ne songe-t-on pas à pomper demain l’eau du lac de Neuchâtel pour arroser, plus au sud, les terres vaudoises qui, à terme, pourraient manquer d’eau ?
Il y a cinq ans, les Nations Unies indiquaient que 400 millions de personnes dans le monde devaient lutter pour conquérir une gorgée d’eau. Elles seront 4 milliards dans moins de dix ans. Le défi collectif, à l’échelle de la planète, des États, des collectivités publiques et de chaque individu est immense pour mieux gérer et partager une ressource vitale. Or aucune solution n’est encore en vue. Au contraire ! La  militarisation et la privatisation de l’eau sont en marche et annoncent conflits et privations.
Comment ne pas être pessimiste ?

Par Georges Pop

g.pop@polymedia.ch