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10 April 2018 | Sécurité Environnement

Éditorial (2/2018)

Le nuage de Mayak n’a pas connu de frontière…
Fin septembre et début octobre de l’an dernier, les autorités de contrôle de la radioactivité de l’air de plusieurs pays européens ont détecté la présence d’un nuage de ruthénium 106 à des taux anormalement élevés.
Occupant la 44e case du tableau de Mendeleïev et de masse atomique 101, le ruthénium (Ru) est un métal de transition du groupe du platine. Il possède 34 isotopes, dont sept sont radioactifs. Mais comme le 106Ru n’existe pas à l’état naturel, aucun doute n’est permis: cette pollution était d’origine anthropique.
Les détecteurs ayant constaté l’absence d’autres produits de fission, tels que l’iode 131 ou le césium 137, une provenance accidentelle issue d’un réacteur en fonctionnement était improbable. L’hypothèse de la chute d’un satellite équipé d’un générateur nucléaire ayant également été exclue par une délégation internationale d’experts, la piste la plus plausible devait conduire à une installation de la chaîne du combustible nucléaire ou à un site de production d’isotopes destinés à la médecine ou à l’industrie.
Des analyses détaillées des relevés météorologiques et des données des stations de surveillance ont permis de déterminer que la zone d’où provenait ce nuage radioactif se situait au sud de la chaîne de montagnes de l’Oural. Tout laissait donc croire qu’il était d’origine russe, bien que les autorités de la région de Tcheliabinsk, ainsi que Rosatom, l’Agence fédérale de l’énergie atomique, l’aient formellement démenti.
Selon certaines informations, cette pollution serait imputable à un accident survenu lors du retraitement de matières hautement radioactives dans le complexe nucléaire de Mayak, près de la frontière kazakhe. En effet, ce centre effectuait une expérience de physique pour le compte de l’Italie et de la France.
C’est dans ce cadre que le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) et son homologue italien – l’INFN – avaient la responsabilité de la fabrication d’une source radioactive très spécifique, en cérium 144, destinée à un détecteur de neutrinos installé au laboratoire du Gran Sasso, en Italie. Le site de Mayak a été le seul à répondre à l’appel d’offres, car il était aussi le seul au monde capable de la produire. Or, fabriquer une telle source nécessite le retraitement de plusieurs tonnes de combustible nucléaire pour obtenir une vingtaine de grammes de cérium.
La source aurait dû être livrée au Gran Sasso au printemps 2018 pour être utilisée pendant dix-huit mois, puis retourner en Russie pour son entreposage final. Et comme par hasard, peu après l’accident, les Russes ont informé les commanditaires italiens et français qu’ils ne pourraient pas la fournir, car leur procédé n’aurait pas permis d’atteindre le niveau d’activité requis !
À l’instar du nuage de Tchernobyl, celui de Mayak n’a pas non plus connu de frontière.
 
Par Michel Giannoni