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07 April 2020 | La Revue POLYTECHNIQUE

La corrosion : un problème majeur dans la construction

Le mot « corrosion » vient du latin corrodere, ronger. Il désigne la détérioration progressive d’un matériau par l’effet de substances agressives présentes dans l’environnement. Les spécialistes de l’Empa sont à l’avant-garde de l’étude de ce genre de phénomènes et trouvent souvent le moyen d’y remédier avant qu’ils ne provoquent des catastrophes, telles celle de Gênes.
Le maître d’œuvre d’un nouveau site industriel de production d’appareils de haute technologie n’en croyait pas ses yeux : des kilomètres de nouvelles conduites d’air comprimé et de refroidissement en acier inox et en aluminium, ayant coûté plusieurs centaines de milliers de francs, présentaient des signes de corrosion avant même la fin du chantier. Quel phénomène avait pu dégrader les matériaux aussi rapidement ?

Des experts de l’Empa se sont penché sur l’ensemble du système. Avait-on employé des matériaux de construction corrosifs, des produits de nettoyage suspects ou avait-on simplement mal choisi les matériaux des conduites ? Le coupable a finalement pu être identifié : un flacon dans une camionnette. Au lieu d’un liquide de contrôle d’étanchéité professionnel, l’équipe de montage employait un produit de nettoyage universel vendu en supermarché et dont la mousse leur signalait certes les fuites... mais contenait des acides et des chlorures qui ont attaqué les métaux.
Changement de décor : une école de Suisse orientale, pendant les vacances de printemps 2019. Procédant à des nettoyages, le concierge constate que les fixations des lampes de la salle de gymnastique présentent des marques de corrosion. La direction demande l’avis de l’architecte, qui a naguère supervisé le chantier. Celui-ci s’adresse à l’Empa. On démonte alors l’habillage du plafond et on découvre que toute la structure métallique est attaquée. Quelques années auparavant, des ouvriers n’ayant pas connaissance du problème lié aux mousses de résine phénolique, avaient perforé cette isolation pour poser des crochets métalliques. L’humidité ambiante a par la suite diffusé dans l’isolation, laquelle a dégagé des acides corrosifs qui ont attaqué les crochets en profondeur. Le plafond suspendu se serait tôt ou tard effondré.
 
 
 
Ingénieurs et scientifiques – deux sensibilités, une même préoccupation
Ces cas d’expertise constituent-ils le quotidien des chercheurs spécialisés en corrosion ? Seraient-ils les pathologistes de l’industrie de la construction, les médecins légistes des matériaux, des limiers traquant un coupable ? Pas du tout. Leur champ d’action est beaucoup plus vaste. Il couvre toute l’interface entre science des matériaux et construction d’une part, chimie et physique d’autre part. Nos chercheurs sont à la fois ingénieurs et scientifiques. Ils ne se concentrent pas uniquement sur le passé, ses erreurs et leurs conséquences, mais planchent également sur l’avenir.
 
L’hydrogène, source de corrosion
Prenons comme exemple l’économie de l’hydrogène. Dans les années à venir, le virage énergétique nécessitera la conversion d’importants surplus de courant électrique en hydrogène. C’est un moyen important de stocker l’énergie solaire et éolienne estivale pour l’utiliser en hiver. Il faut pour cela prévoir de grands réservoirs, mais également penser aux conduites, aux vannes, aux stations-service, aux moyens de transport et autres équipements comme les compteurs de livraison.
Tout cela est majoritairement construit en acier de haute qualité, résistant à des pressions de plusieurs centaines d’atmosphères, muni de joints d’une étanchéité capable de prévenir toute fuite pendant des années. Le problème est que l’hydrogène peut s’infiltrer dans de nombreux aciers, qu’il fragilise déjà à température ambiante. À partir de 300° C, il réagit chimiquement avec le carbone de l’acier, ce qui dégrade la qualité de l’alliage. L’Empa, qui a déjà entrepris l’étude des mécanismes de fragilisation par l’hydrogène, développe des matériaux destinés à l’approvisionnement énergétique de l’avenir.
 
Détection de la corrosion par des microcapteurs électrochimiques
L’hydrogène ne naît cependant pas que de la volonté humaine ! Les phénomènes de corrosion peuvent en engendrer, le laisser s’infiltrer dans les matériaux et, en quantité minime, fragiliser localement leur structure. Pour comprendre ces mécanismes et comment les prévenir, les chercheurs doivent zoomer sur la microstructure du matériau et analyser les réactions chimiques qui entrent en jeu dans les domaines microscopiques attaqués.
L’Empa a développé pour cela un microcapteur électrochimique capable d’analyser des surfaces inférieures à 10-5 mm2 et d’y détecter une quantité de moins d’un millionième de pourcent en masse d’hydrogène. Cette méthode permet d’étudier certaines zones critiques d’éléments de construction fragilisés par de l’hydrogène atomique et donc sujet à une défaillance, comme les joints de soudure, par exemple.
 
La corrosion ignore les frontières
L’équipe du laboratoire « Technologie des assemblages et corrosion » de l’Empa, que Lars Jeurgens dirige depuis 2012, poursuit une double activité de recherche, d’une part, et de prestations de services pour l’industrie, d’autre part. « Avec nos diplômés des EPF de Zurich et de Lausanne, nous pouvons profiter du savoir cumulé de deux grandes écoles d’ingénieurs », déclare-t-il. Lui-même vient des Pays-Bas et a longtemps travaillé à l’Institut Max-Planck de Stuttgart. « La corrosion ignore les frontières, nous entretenons des relations avec des experts universitaires et de l’industrie de plusieurs pays et échangeons nos découvertes récentes et nos méthodes. Ce partage est très précieux, il nous permet de résoudre plus facilement et plus rapidement des problèmes souvent fort complexes », poursuit-il.
 
Ce n’est pas le travail qui manque
Les spécialistes en corrosion ne sont jamais à cours de travail. Ainsi, l’industrie automobile et l’aviation utilisent toujours plus de composites, mêlant matériaux en tous genres. Leur résistance à la corrosion dans des environnements parfois extrêmes est mal connue. Les alliages d’acier, de titane et d’aluminium sont aussi très utilisés. Ils doivent cependant leur résistance à la corrosion à une couche d’oxyde inerte, nanométrique, qui leur sert de peau et qu’on ne peut mettre en évidence – à fin d’optimisation – que par des méthodes d’analyse de surface avancées.
Finalement, l’application de revêtements fonctionnels dans les circuits et composants électroniques miniaturisés engendre de nouvelles inconnues en terme de mécanismes de corrosion. Lars Jeurgens cite l’exemple suivant : « Lorsque la couche anticorrosion d’une turbine perd un centième de millimètre par année, ce n’est pas un problème. Mais si, dès le départ, la couche protégeant la composante électronique n’a qu’un centième de millimètre d’épaisseur, elle aura complètement disparu après une année. Ce qui semble résister à la corrosion à grande échelle doit être considéré différemment à l’échelle du micron. Il nous faut donc revoir la manière de fixer les échelles de susceptibilité à la corrosion. »
 
Le corps humain n’est pas épargné
Les phénomènes de corrosion se manifestent aussi là où on les attend le moins : à l’intérieur de notre corps, avec ses liquides tempérés et apparemment inoffensifs. Les experts de l’Empa étudient les dégâts que la corrosion localisée peut occasionner sur des matériaux tels que les aciers inoxydables et les alliages de titane présents dans de nombreuses prothèses, ainsi que le silicium utilisé dans de nombreux nouveaux composants implantés. Les larges surface lisses y sont peu susceptibles ; en revanche, les micro-crevasse parfois liées au design ou à la fabrication peuvent générer des attaques de corrosion induites par les liquides physiologiques.
Il y a peu, une équipe de l’Empa a pu mettre en évidence en laboratoire la lente dissolution d’une couche d’adhésion en silicium. Une microfissure s’était formée entre l’alliage de titane de la prothèse et le revêtement de surface protecteur. En l’absence d’oxygène, un milieu fortement agressif peut progressivement se développer. En lien avec le phosphate provenant du corps humain, il peut dissoudre la couche d’adhésion de silicium.
 
Des sondes spéciales pour étudier la corrosion
Les chercheurs de l’Empa disposent de sondes spéciales qui leur permettent d’étudier les processus chimiques de corrosion dans ces minuscules interstices, voire de les accélérer expérimentalement. Ils peuvent alors prédire, avant même l’opération et avec une bonne fiabilité, la durée de vie d’une prothèse.
L’étude des phénomènes de corrosion est de toute première importance dans bien des domaines, et pourtant, le travail des « pathologistes de l’ingénierie » reste souvent méconnu. Lars Jeurgens et ses collègues s’efforcent d’obtenir des universités et des hautes écoles techniques qu’elles accordent davantage d’attention à ces questions. « Le problème de la corrosion doit figurer en bonne place sur la checklist de toute construction et de chaque produit, pas seulement en queue de liste, mais dès les premiers développements », souligne Lars Jeurgens. « Il arrive trop fréquemment que l’on nous consulte qu’après avoir imprimé les prospectus en couleurs. C’est souvent trop tard pour aider le client », conclut-il.
 
Références
Lars Jeurgens
Directeur du laboratoire « Technologie des assemblages et corrosion »
Tél. 058 765 40 53
Lars.Jeurgens@empa.ch
 
Corrosion chimique, corrosion atmosphérique, recherches sur la corrosion, analyse des dommages :
Markus Faller
Tél. 058 765 42 36
Markus.Faller@empa.ch
 
Corrosion dans la construction (bâtiment, génie civil, installations), gestion des dommages, analyse in situ des matériaux :
Martin Tuchschmid
Tél. 058 765 47 71
Martin.Tuchschmid@empa.ch
 
Recherches sur la corrosion des métaux légers et des produits médicaux, électrochimie, analyse des surfaces :
Patrik Schmutz
Tél. 058 765 48 45
Patrik.Schmutz@empa.ch
 
Fragilisation par l’hydrogène, électrochimie in situ :
Thomas Suter
Tél. 058 765 49 21
Thomas.Suter@empa.ch