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01 März 2017 | La Revue POLYTECHNIQUE

La première observation du spectre de l’antimatière

Dans un article publié dans la revue Nature, la collaboration ALPHA du CERN rend compte de la première mesure jamais réalisée s’agissant du spectre optique d’un atome d’antimatière. Ce résultat s’appuie sur des innovations technologiques qui ouvrent une ère nouvelle dans la recherche sur l’antimatière.
Les atomes sont composés d’électrons orbitant autour d’un noyau. Lorsque ceux-ci transitent d’une orbite à l’autre, ils absorbent ou émettent de la lumière à des longueurs d’onde bien spécifiques, qui constituent le spectre de l’atome. Chaque élément a un spectre caractéristique qui lui est propre. C’est pourquoi la spectroscopie est un outil communément utilisé dans de nombreux domaines de la physique, de l’astronomie et de la chimie. C’est un moyen de caractériser les atomes et les molécules, de même que leurs états internes. Ainsi, en astrophysique, l’analyse du spectre de la lumière provenant des étoiles lointaines permet aux scientifiques de déterminer leur composition.

 
La première mesure jamais réalisée du spectre optique d’un atome d’antimatière s’appuie sur des innovations technologiques qui ouvrent une ère nouvelle dans la recherche sur l’antimatière.

(Image: Maximilien Brice/CERN)

 
 

Des atomes encore mal connus
Constitué d’un unique proton et d’un unique électron, l’hydrogène est l’atome le plus abondant, le plus simple et le mieux connu de l’Univers. Son spectre a été mesuré avec une très grande précision. En revanche, les atomes d’antihydrogène sont mal connus.
Comme l’Univers semble constitué entièrement de matière, il faut, pour pouvoir mesurer le spectre de l’antihydrogène, commencer par produire ses constituants, à savoir des antiprotons et des positons (antiélectrons), puis les assembler en atomes. Le processus est fastidieux, mais cet effort vaut la peine d’être entrepris, car toute différence mesurable entre les spectres de l’hydrogène et de l’antihydrogène pourrait remettre en cause les principes fondamentaux de la physique et nous aider à comprendre l’énigme du déséquilibre entre matière et antimatière dans l’Univers.
 
Un piège magnétique unique en son genre
L’expérience ALPHA (Antihydrogen Laser Physics Apparatus) auprès du décélérateur d’antiprotons du CERN, est un dispositif unique en son genre, capable de produire des atomes d’antihydrogène et de les retenir dans un piège magnétique spécialement conçu, en les manipulant par petites quantités. Une fois piégés, les atomes d’antihydrogène peuvent être étudiés au moyen de lasers ou d’autres sources de rayonnement.
«Il est facile de déplacer et de piéger des antiprotons et des positons, qui sont des particules chargées», explique Jeffrey Hangst. «Mais quand vous assemblez les deux, vous obtenez de l’antihydrogène, qui est neutre et beaucoup plus difficile à piéger. C’est pourquoi nous avons inventé un piège magnétique très spécial, qui utilise le fait que l’antihydrogène est légèrement magnétique», poursuit le chercheur.
 
«Utiliser un laser pour observer une transition dans l’antihydrogène, puis comparer le résultat avec ce qui se passe pour l’hydrogène pour voir si le phénomène obéit aux mêmes lois de la physique, a toujours été un axe essentiel de la recherche sur l’antimatière», explique Jeffrey Hangst, porte-parole de la collaboration ALPHA.
(Image: Maximilien Brice/ CERN)

 
 

Comment fabriquer l’antihydrogène
Pour fabriquer de l’antihydrogène, on mélange un plasma d’environ 90’000 antiprotons, issus du décélérateur d’antiprotons du CERN, avec des positons provenant de la désintégration radioactive de noyaux de sodium 22, ce qui aboutit à la production de quelque 25’000 atomes d’antihydrogène par tentative. Les atomes d’antihydrogène peuvent être piégés s’ils se déplacent suffisamment lentement au moment de leur création. Le gaz obtenu a été refroidi à une température inférieure à 1 K (1 K = -272,15 °C) et certains de ces atomes d’antihydrogène ont ensuite été piégés magnétiquement. Cela a ensuite permis d’étudier finement les transitions atomiques en excitant ces atomes à l’aide de faisceaux lasers.
En utilisant une technique nouvelle, consistant à empiler les antiatomes résultant de deux cycles de mélange successifs, il est possible de piéger en moyenne 14 antiatomes par tentative, contre un seul avec les méthodes utilisées précédemment. En éclairant les atomes piégés au moyen d’un faisceau laser, à des fréquences très précises, les scientifiques arrivent à observer l’interaction du faisceau avec les états internes de l’antihydrogène. En l’occurrence, ils ont observé la transition 1s-2s, 1s et 2s étant les deux premières sous-couches électroniques d’un élément chimique. L’état 2s dans l’atome d’hydrogène a une longue durée de vie, ce qui correspond à une faible largeur de la raie spectrale; cet atome est donc particulièrement adapté aux mesures de précision.
 
Aucune différence de spectre constatée
Le résultat publié par ALPHA est la première observation d’une raie spectrale dans un atome d’antihydrogène. Cette observation permet de comparer, pour la première fois, le spectre de lumière de la matière et de l’antimatière. Dans les limites de l’expérience, aucune différence n’a été constatée par rapport à la raie spectrale équivalente de l’hydrogène. Ce résultat est conforme au modèle standard de la physique des particules, la théorie qui décrit le mieux les particules et les forces qui s’exercent sur elles. En effet, cette théorie prédit que l’hydrogène et l’antihydrogène doivent avoir des caractéristiques spectroscopiques identiques.
 
Mais si c’était le cas…
Si toutefois une différence venait à être observée, cela signifierait que l’on est en présence d’une violation de la symétrie CPT (symétrie de la charge, de la parité et par renversement du temps), un théorème qui s’applique à toutes les théories quantiques relativistes des champs, donc au modèle standard. Selon ce théorème, le comportement d’un atome d’antihydrogène devrait être le même que celui d’un atome d’hydrogène. Il ne devrait pas être possible de découvrir des différences au niveau des spectres d’émission et d’absorption des deux atomes.
Si tel n’était pas le cas, on pourrait peut-être comprendre pourquoi l’Univers ne semble pas contenir d’antimatière, à part celle présente dans les rayons cosmiques et qui résulte, comme sur Terre, de collisions ou de désintégrations avec des particules de matière. Une violation du théorème CPT dans l’expérience ALPHA indiquerait que la théorie de la relativité restreinte ne s’applique pas dans certaines situations, ce qui serait une révolution ouvrant une fenêtre sur une nouvelle physique.
La collaboration ALPHA prévoit d’améliorer la précision de ses mesures dans le futur. La possibilité de mesurer le spectre de l’antihydrogène avec une haute précision est un nouvel outil au potentiel extraordinaire, qui permettra de déterminer si la matière se comporte différemment de l’antimatière et, par conséquent, de mettre à l’épreuve la validité du modèle standard.
Le résultat que le CERN vient d’annoncer démontre que les recherches sur les symétries fondamentales dans l’antimatière progressent rapidement.
 
www.cern.ch