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20 September 2018 | La Revue POLYTECHNIQUE

La sûreté du Grand collisionneur de hadrons

Le Grand collisionneur de hadrons du CERN pourra parvenir à une énergie jamais atteinte à ce jour dans un accélérateur de particules. Cependant, cette énergie restera inférieure à celle que produit couramment la nature dans les collisions de rayons cosmiques. Des études sont menées depuis de nombreuses années pour répondre aux inquiétudes sur ce que pourraient engendrer des collisions de particules à des énergies aussi élevées.
À la lumière de nouvelles données expérimentales et des connaissances théoriques actuelles, le Groupe d’évaluation de la sécurité des collisions du LHC (LSAG) a réactualisé l’analyse menée en 2003 par le Groupe d’étude sur la sécurité du LHC, un groupe de scientifiques indépendants.

Le LSAG reprend à son compte et prolonge les conclusions du rapport de 2003, à savoir que les collisions produites dans le Grand collisionneur de hadrons(LHC) ne présentent aucun danger et qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter. Le LHC ne fait que reproduire des phénomènes qui se sont produits naturellement bien des fois depuis la naissance de la Terre et des autres corps célestes.
Le Comité des directives scientifiques du CERN, un groupe de scientifiques extérieurs donnant des avis au Conseil du CERN, l’organe de tutelle de l’organisation, a examiné et avalisé le rapport du LSAG. Les principaux éléments de ce rapport sont récapitulés ci-dessous. Pour davantage de détails, il convient de consulter directement le document et les articles scientifiques spécialisés auxquels il se réfère.
 
Le LHC et ses aimants.
(Photo: CERN)
 
 

Les rayons cosmiques
Le LHC, comme d’autres accélérateurs de particules, recrée dans des conditions de laboratoire maîtrisées, les phénomènes naturels que sont les rayons cosmiques, ce qui permet de les étudier plus en détail. Les rayons cosmiques sont des particules produites dans l’espace extra-atmosphérique, dont certaines atteignent des énergies très supérieures à celles du LHC. L’énergie de ces rayons et la fréquence avec laquelle ils atteignent l’atmosphère terrestre font l’objet de mesures expérimentales depuis 70 ans.
Au cours des derniers milliards d’années, la nature a déjà produit sur Terre autant de collisions qu’en généreraient un million d’expériences du LHC, et notre planète est toujours bien présente. Les astronomes observent une multitude de corps célestes plus grands que la Terre, disséminés dans l’Univers, qui sont tous, eux aussi, percutés par des rayons cosmiques. Pris dans son ensemble, l’Univers est le théâtre à chaque seconde, de plus que dix mille milliards de collisions du type LHC. La possibilité que ces collisions aient de dangereuses conséquences est incompatible avec les observations des astronomes: les étoiles et les galaxies sont toujours là.
 
Les trous noirs microscopiques
Des trous noirs se forment dans la nature lorsque certaines étoiles, beaucoup plus volumineuses que le Soleil, s’effondrent sur elles-mêmes à la fin de leur vie. Elles concentrent une énorme quantité de matière en un très petit espace. Les conjectures sur la création d’éventuels trous noirs microscopiques au LHC se réfèrent aux particules produites lors de collisions entre deux protons possédant chacun une énergie comparable à celle d’un moustique en plein vol. Les trous noirs de l’espace sont beaucoup plus lourds que tout ce qui pourrait être produit au LHC.
Les propriétés bien établies de la gravité, décrites par la relativité d’Einstein, excluent que des trous noirs microscopiques puissent être produits au LHC. Quelques théories de type spéculatif prédisent toutefois la production de telles particules dans le Grand collisionneur de hadrons. Toutes ces théories prévoient que de telles particules se désintégreraient aussitôt. Ainsi, ces trous noirs n’auraient pas le temps d’amorcer l’accrétion de matière et resteraient sans effets macroscopiques.
De plus, bien que l’apparition de trous noirs microscopiques stables ne soit pas prévue par la théorie, l’étude des conséquences de leur production par des rayons cosmiques montre leur caractère inoffensif. Les collisions qui interviennent au LHC et celles qui interviennent entre des rayons cosmiques et des corps célestes tels que la Terre, diffèrent par le fait que les nouvelles particules produites lors des collisions dans le LHC tendent à se déplacer plus lentement que celles que font naître les rayons cosmiques.
Des trous noirs stables pourraient être soit chargés électriquement, soit neutres. S’ils étaient chargés, ils interagiraient avec la matière ordinaire et seraient arrêtés en traversant le globe terrestre, qu’ils proviennent des rayons cosmiques ou du LHC. Le fait que la Terre existe encore exclut la possibilité que les rayons cosmiques ou le LHC puissent produire des micro-trous noirs chargés dangereux. Si des trous noirs microscopiques stables étaient dépourvus de charge électrique, leurs interactions avec la Terre seraient très faibles. Ceux que produiraient les rayons cosmiques traverseraient le globe terrestre pour poursuivre leur course dans l’espace sans occasionner aucun dommage, et ceux qui viendraient du LHC pourraient demeurer sur la Terre.
De toute façon, il existe des corps célestes beaucoup plus volumineux et beaucoup plus denses que la Terre dans l’Univers. Des trous noirs produits lors de collisions de rayons cosmiques avec des corps célestes, tels que des étoiles à neutrons et des naines blanches, seraient arrêtés. La pérennité de ces corps denses, et de la Terre, exclut la possibilité que le LHC puisse produire des trous noirs dangereux.
 
Schéma d’un aimant dipôle du LHC.
(© 1999-2018 CERN)
 
 

Les «strangelets»
On appelle «strangelet» un hypothétique bloc microscopique de «matière étrange», contenant à parts presque égales, les particules appelées quarks up, down et étranges. D’après la plupart des travaux théoriques, la matière étrange devrait se muer en matière ordinaire en l’espace d’un millième de millionième de seconde. Mais les strangelets pourraient-il se combiner avec de la matière ordinaire pour la transformer en matière étrange ? La question a été posée pour la première fois avant le lancement du Collisionneur d’ions lourds relativistes (RHIC), en l’an 2000 aux États-Unis. Une étude menée à l’époque a établi qu’il n’y avait pas lieu de s’inquiéter et le RHIC fonctionne sans qu’aucun strangelet n’ait été déniché.
Le LHC accélère parfois des faisceaux de noyaux lourds, tout comme le RHIC. Les faisceaux du LHC sont dotés de davantage d’énergie, mais cela ne fera que diminuer les probabilités de voir se former des strangelets. Aux hautes températures produites par ces collisionneurs, l’accrétion de matière étrange est plus difficile, tout comme de la glace ne se forme pas dans de l’eau chaude. De plus, les quarks seront plus dilués au LHC qu’au RHIC, ce qui rend l’accrétion de matière étrange plus difficile. Ainsi, les strangelets risquent moins d’être produits au LHC qu’au RHIC et l’expérience acquise au RHIC a déjà confirmé que les strangelets ne pouvaient pas être produits.
 
Les bulles de vide
Selon certaines conjectures, l’Univers ne se trouverait pas dans sa configuration la plus stable et des perturbations causées par le LHC pourraient le faire basculer dans un état plus stable, appelé «bulle de vide», où nous ne pourrions pas exister. Si le LHC peut produire cet effet, les rayons cosmiques le peuvent aussi. Comme aucune de ces bulles de vide n’a été produite dans l’univers visible, elles ne seront pas produites au LHC.

Les monopôles magnétiques
Les monopôles magnétiques sont des particules hypothétiques possédant une charge magnétique unique, soit nord, soit sud. Selon certaines théories, s’ils existaient, les monopôles magnétiques pourraient entraîner la désintégration des protons. Selon ces mêmes théories, ces monopôles seraient toutefois trop lourds pour être produits au LHC. Par ailleurs, si les monopôles magnétiques étaient suffisamment légers pour apparaître au LHC, les rayons cosmiques qui viennent heurter l’atmosphère terrestre en produiraient déjà et la Terre ferait très efficacement obstacle à leur course et les piégerait. Le fait que la Terre et d’autres corps célestes continuent d’exister exclut donc la possibilité que de dangereux monopôles magnétiques mangeurs de protons puissent être assez légers pour être produits au LHC.

Études et évaluations
Des études relatives à la sécurité des collisions à haute énergie à l’intérieur d’accélérateurs de particules ont été menées en Europe et aux États-Unis, par des physiciens qui ne sont pas impliqués dans les expériences du LHC. Leurs analyses ont été évaluées par des experts, qui ont confirmé que les collisions de particules dans les accélérateurs sont sûres. Le CERN a également mandaté un groupe de physiciens des particules, eux aussi non impliqués dans les expériences du LHC, pour répondre à toutes les spéculations sur les collisions au LHC.