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01 April 2019 | La Revue POLYTECHNIQUE

Le futur SWISS SPACE & SUSTAINABILITY OBSERVATORY

Elsbeth Heinzelmann*

La recherche aérospatiale est un secteur lucratif. Nous lui devons plusieurs objets que nous utilisons au quotidien. Parmi ceux-ci, on peut citer les verres anti-rayures, les thermomètres auriculaires et les semelles de sport, les appareils dentaires issus du développement de l’oxyde d’aluminium polycristallin (PCA) pour protéger les antennes des systèmes de localisation de fusées, les outils sans fil pour les artisans, la navigation par satellite, la mousse à mémoire de forme pour nos matelas, les détecteurs de fumée version Skylab ou encore les fraises pour les rainures de sécurité.
La Suisse n’est pas restée à l’écart. Dès le premier alunissage en 1969, la seule expérience non américaine à bord d’Apollo 11 était un voile solaire développé par des chercheurs de l’Université de Berne pour l’analyse des vents solaires. Des scientifiques suisses réalisent également des produits de haute technologie destinés à être utilisés dans l’espace, tels que les coiffes de charge utile pour les lanceurs Ariane et Vega ou les horloges atomiques utilisées pour le système de navigation Galileo. Sans oublier Claude Nicollier, notre astronaute qui a quatre vols dans l’espace à son actif.

 
La recherche spatiale bernoise et reconnue au niveau international depuis 50 ans. Avant même le drapeau américain, le voile solaire de l’Université de Berne flottait déjà sur la Lune. Aujourd’hui, les Bernois occupent une place importante dans la recherche spatiale.
 
 

Une fenêtre sur l’espace ouverte à tous
Claude Nicollier est conseiller et ambassadeur pour le nouveau projet de construction d’un observatoire à Uecht, au milieu d’une nature préservée – dans l’obscurité totale pendant la nuit – dans les 400 km2 du parc national de Gantrisch, à 20 minutes de Berne.
«Le futur SWISS SPACE & SUSTAINABILITY OBSERVATORY a pour but de servir d’outil de formation pour les écoles et les universités, ainsi que d’ouvrir les yeux de toute personne intéressée. Nous avons l’intention de mener des recherches scientifiques toujours plus ciblées sur l’univers qui nous entoure, notre planète et la vie sur terre. Parvenir à cet objectif est de notre responsabilité», explique le seul Suisse à avoir marché dans l’espace à ce jour. «Le concept du projet prévoit un rayonnement de notre nouvel observatoire, tant au niveau national que sur le plan international, et une intégration toujours plus étroite avec nos collègues du monde entier», poursuit-il.
Toutefois, l’observatoire d’Uecht se veut différent de celui de Zimmerwald, exclusivement consacré à la recherche, et qui n’est pas ouvert au public. Cette station fonctionne 24 heures sur 24, avec un système d‘observation automatisé de mesure des distances satellitaires, à l’aide de rayons laser et de l’astronomie par CCD. Dans le nouvel observatoire – unique au monde – de Mario Botta, il s’agira, pour les participants au projet, d’offrir aux personnes de tout âge la possibilité de bénéficier de l’attraction magique du ciel nocturne, comme le formule le professeur Thomas Schildnecht, responsable astronomie optique et directeur de l’observatoire de Zimmerwald, en service depuis 60 ans déjà.
«À Uecht, les astronomes et les chercheurs ne seront pas seulement assis face à un télescope haut de gamme, ils présenteront aux personnes intéressées leurs connaissances des astres. Ils leur expliqueront de manière compréhensible, les phénomènes célestes, comme les trous noirs, les amas d’étoiles, les galaxies, la matière de l’Univers. Dans un ciel parfaitement obscur la nuit, les objets du ciel profond, situés hors de notre Système solaire, qui ne sont pas des astres isolés, mais des amas d’étoiles, des nébuleuses et des galaxies, peuvent aussi être observés».
 
La sonde Rosetta en orbite autour de la comète 67P/Tchourioumov-Guérassimenko. Le spectromètre de masse ROSINA, l’une des expériences clés de la mission, était également du voyage. (© ESA/ATG medialab/Rosetta/Navcam)
 
 

L’espace, une déchetterie
Thomas Schildknecht s’intéresse particulièrement à un sujet spécifique: les déchets dans l’espace. Les débris de fusées, les fragments et les satellites hors d’usage poursuivent leur vol depuis près de 60 ans. Quelque 25’000 objets ont été identifiés à ce jour. Les mesures effectuées permettent de dénombrer plus de 800’000 objets d’une taille supérieure à 1 cm. Chaque jour, de nouveaux déchets sont produits et le risque d’impact de ces décombres inutiles avec des satellites ou des stations spatiales en activité augmente.
Le danger est partout présent, comme Thomas Schildknecht se le remémore: «Le 10 février 2009, une collision a eu lieu entre un satellite de communication en activité et un de ses congénère hors service, à quelques 600 km d’altitude. Ce crash en orbite, à une vitesse de 40’000 km/h environ, a provoqué un nuage de débris tout autour de la Terre, et ce des mois durant».
Ces fragments ont des effets dévastateurs considérables. «Un élément d’un diamètre d’un centimètre – soit la moitié d’un morceau de sucre – provoque une explosion semblable à celle d’une grenade à main», explique le scientifique. Le problème se pose notamment à partir d’une distance de 36’000 km, là où les satellites de téléphonie, de télévision et de météorologie sont concentrés depuis des décennies. Il n’y a donc plus de place pour des déchets!
Thomas Schildknecht et son équipe ont fait de l’urgence une vertu. Ils affrontent ce défi et mesurent les trajectoires des débris, pour prévenir les organisations spatiales des risques de collisions avec les satellites en activité autour de la Terre. «Il est toutefois nécessaire de connaître la position exacte des débris largement éparpillés, pour faire naviguer les satellites actifs entre les fragments», reconnaît le chercheur. «Même à l’ère numérique 4.0, aucun élément technique ne permet de confirmer que de petits robots puissent se charger, à notre place, d’éliminer les obstacles majeurs et qu’ils se consument à leur retour dans l’atmosphère terrestre. «Le jour où nous maîtriserons réellement cette technologie, elle entraînera certainement des coûts très importants!», ajoute Thomas Schildknecht.
 
Un regard éveillé de l’Univers sur la Terre
Ouvrir les yeux sur l’état de notre planète est également possible depuis le nouvel observatoire. Andreas M. Blaser, président de la fondation et inspirateur de ce projet novateur, l’exprime en ces mots: «En ce qui touche le changement climatique, l’approvisionnement durable en énergie et la mobilité propre, contempler le lointain permet de voir ce qui nous est proche.»
Le climat et la durabilité sont des sujets chers à Thomas Stocker, professeur à l’Institut de physique de l’Université de Berne, la première université suisse à se consacrer aux études physiques en matière de changement climatique. Il y dirige le département de physique du climat et de l’environnement et est l’un des scientifiques les plus actifs et les plus connus dans ce secteur. Il est également président de l’Oeschger Centre for Climate Change Research.
 
Comprendre les processus du système terrestre
Thomas Stocker et son équipe mènent des recherches visant à comprendre les processus du système terrestre sur une échelle temporelle s’étendant de la durée d’une saison à des périodes de l’ordre du million d’années. «Nos analyses portent sur ce que l’on appelle les «archives environnementales», comme les carottes glaciaires au Groenland ou en Antarctique. Nous étudions les eaux souterraines et les cernes des arbres pour reconstituer les modifications de l’environnement», déclare le chercheur.
En 2013, avec une équipe comptant plus de 250 scientifiques internationaux, il a présenté le rapport Climate Change 2013 The Physical Science Basis’ du Conseil mondial du climat de l’ONU, un rapport qui a servi de base à la Convention sur le climat de Paris en 2015. «Notre éventail unique de modèles climatiques physico-biogéochimiques nous permet de comprendre les raisons qui ont provoqué les modifications du climat dans le passé», explique Thomas Stocker. Depuis 2008, avec son équipe, il détient le record mondial de reconstitutions de concentrations de CO2dans l’atmosphère dans le passé, soit au cours des derniers 800’000 ans, sur la base des carottes glaciaires en Antarctique.
Le professeur Thomas Stocker conclut: «La recherche dans l’espace est importante, car sans les satellites, nous ne disposerions pas d’une image aussi globale de l’évolution climatique, comme la déforestation à l’échelle planétaire ou la fonte rapide des calottes glaciaires en Arctique et en Antarctique ou encore des glaciers au Groenland.
 
Au début était la fascination
La fascination devant le ciel nocturne étoilé et la volonté irréductible d’en apprendre davantage sur nous et notre planète sont manifestement aussi anciens que l’humanité. L’observatoire solaire de Goseck, dans le land de Saxe-Anhalt, date du cinquième millénaire avant Jésus Christ. Il est contemporain du plus ancien monument archéologique à orientation astronomique, à Nabta Playa dans le désert nubien. Même Stonehenge pourrait avoir servi d’observatoire astronomique. En effet, vers 3000 avant J.-C., les habitants ont dressé un cercle mégalithique en guise de calendrier pour déterminer le moment du solstice d’été.
Une vingtaine d’observatoires solaires ont été construits en Chine au cours de la dynastie Tang pour créer un calendrier Da-Yan. Et l’observatoire de Chanquillo se dresse depuis 2300 ans sur une arête rocheuse. Enfin, le Bas Moyen-Âge connaît les observatoires destinés aux mesures à l’aide de quadrants ou d’astrolabes, par exemple. Parmi ceux-ci, on peut citer l’observatoire de Rasad el Khan, construit en 1259 pour l’astronome Nasir ad-Din al-Tusi ou celui d’Ulug Beg situé près de Samarcande. Leur base est constituée d’un gigantesque goniomètre – un cercle vertical d’un rayon de plus de 40 m, dont l’instrument, semblable à un sextant, est orienté de manière extrêmement précise sur le méridien dans la direction Nord-Sud.
Cette fascination a aussi saisi le professeur Kathrin Altwegg, qui a décodé la composition de la poussière de comètes dans le cadre de projets comme la sonde Rosetta ou le spectromètre de masse Rosina. Elle déclare: «Nous avons un intérêt naturel envers notre environnement, pour comprendre combien notre Terre, sur laquelle nous vivons, est vulnérable. Et donc, combien nous aussi, sommes vulnérables. C’est notamment le cas aujourd’hui, alors que nous avons tous le regard fixé sur nos téléphones portables».
Cette scientifique plaide ardemment en faveur de groupes mixtes, afin de parvenir à des résultats optimaux, car hommes et femmes sont complémentaires dans leur manière de penser. «L’astronomie et l’astrophysique sont particulièrement intéressantes pour les femmes, car il s’agit d’un sujet motivant, coloré et rempli de secrets, plus représentative que la physique expérimentale, d’où je suis issue», ajoute-t-elle. Avec l’ouverture du nouvel observatoire, elle souhaite stimuler les jeunes pour les matières scientifiques en général, sensibiliser les visiteurs à la notion de durabilité et parvenir à inciter quelques touristes à prendre le chemin d’Uecht. Kathrin Altwegg est ravie: «Rien n’inspire notre fantaisie davantage qu’un regard vers le ciel étoilé. Le nouvel observatoire rendra cette expérience accessible à tout un chacun», dit-elle avec enthousiasme.
 
Prêt pour l’avenir
Le professeur Christian Leumann, recteur de l’Université de Berne, est aussi de cet avis. Il s’est fait connaître en développant des acides nucléiques chimiquement modifiés, utilisés dans le traitement de maladies génétiques. «Il ne s’agit pas d’inculquer de force des connaissances spécifiques aux étudiants. Notre objectif est davantage de les motiver pour un sujet qui leur est inconnu, un sujet qui, finalement, nous concerne tous. La nouvelle maison de Mario Botta doit devenir un lieu d’expériences vécues et inciter les personnes intéressées à découvrir le ciel et ses astres. Par ailleurs, les technologies appliquées sont expliquées, ce qu’elles représentent pour les hommes est illustré», déclare le professeur.
Christian Leumann prend pour exemple le spectromètre transporté par les satellites, que le professeur Peter Wurz a développé avec son équipe à l’Université de Berne en près de 20 ans. L’équipement devait être léger, pouvoir mesurer des gaz de manière extrêmement précise, consommer peu d’énergie et faire face à des conditions peu hospitalières. L’Université de Berne a réalisé ce que personne n’avait réussi: à l’origine, de la taille de deux tables de salle à manger, le spectromètre de masse laser (LMS) du département Recherche spatiale et planétologie de l’Institut de physique de l’Université de Berne peut être maintenant être emballé dans une simple mallette. Il a la taille d’une bouteille de 0,5 litre, mais il analyse les échantillons de roches et de sols avec autant de précision que les appareils de laboratoire qui occupent un bureau entier. Christian Leumann conclut: «L’astronomie, ainsi que la recherche climatique et environnementale, forment des projets phares de l’Université de Berne. L’observatoire constitue une extension très réussie pour notre rayonnement».
 
Le SWISS SPACE & SUSTAINABILITY OBSERVATORY
Le SWISS SPACE & SUSTAINABILITY OBSERVATORY (s3o) a été créé en étroite collaboration avec l’Université de Berne ainsi que d’autres partenaires. Il est situé à 20 minutes de Berne, dans le parc naturel de Gantrisch. Le professeur Claude Nicollier, astronaute, est ambassadeur et conseiller pour le projet. L’architecte est le Tessinois Mario Botta. Le centre d’information est un symbole de la Suisse en tant que site de recherche et de collaboration avec des partenaires internationaux en astronomie, ainsi qu’en recherche spatiale et climatique. Il s’adresse à un vaste public: écoliers, jeunes gens, étudiants, astronomes, familles, entreprises, touristes suisses et étrangers pourront vivre de manière captivante des expériences scientifiques sur l’Univers, être sensibilisés aux conditions de vie sur notre planète et motivés à étudier les matières scientifiques MINT (mathématiques, informatique, sciences naturelles, technique). Pour lancer la réalisation du projet à la date prévue de mi-2019, les organisateurs du projet sont à la recherche de nouveaux partenaires.
Fondation de l’observation d’Uecht – www.s3o.org
Informations: Andreas M. Blaser, président du Conseil de fondation
 
 


*Journaliste science + technologie