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27 Juni 2016 | La Revue POLYTECHNIQUE 04/2016 | Soziologie

L’environnement urbain est-il responsable de l’obésité ?

Les habitants de Lausanne nous permettront peut-être d’en savoir plus sur certaines causes de l’obésité. Dans les quartiers populaires de l’Ouest, le surpoids des résidents résiste aux explications habituelles. L’urbanisme pourrait en être la cause, comme l’ont constaté une équipe de chercheurs de l’EPFL et des hôpitaux universitaires lausannois et genevois, composée de médecins et de géographes.
Nous ne sommes pas égaux face à l’obésité. Si la génétique joue un rôle, les principales causes du surpoids sont sociales. Aux Etats-Unis, les chercheurs ont depuis longtemps constaté que les populations à bas revenus présentent davantage d’obèses que la moyenne. Le phénomène n’épargne pas l’Europe, ni les villes suisses de Genève et Lausanne, comme l’ont constaté une équipe de chercheurs romands.

Médecins et géographes ont conjugué leur expertise afin de déployer une carte lausannoise de l’indice de masse corporelle (IMC) et de sa dépendance à l’espace urbain. Cette représentation montre bien une corrélation entre revenus modestes et surpoids – les quartiers populaires apparaissent criblés de rouge (IMC plus élevé que la moyenne), tandis que les banlieues bourgeoises sont couvertes de bleu (IMC plus bas que la moyenne).
Mais la représentation géographique ne fait pas que confirmer des résultats attendus.
Dans l’Ouest lausannois, notamment, les facteurs habituels ne suffisent pas à expliquer l’embonpoint des résidents. Niveau d’éducation, revenu, âge, état de santé, origine ethnique, sexe, consommation d’alcool… Quelque chose manque dans l’explication, et les chercheurs émettent l’hypothèse que c’est l’urbanisme lui-même qui pourrait jouer un rôle. Leurs conclusions sont publiées dans le British Medical Journal Open.
 
La carte de l’indice de masse corporelle (IMC) de la région lausannoise.

 

Des milliers de résidents sur la balance
Plus de 6000 volontaires résidant dans le grand Lausanne ont participé à l’étude CoLaus. Les médecins ont soigneusement consigné leur IMC, bien sûr, mais aussi des données relatives à leur état de santé, leur niveau de revenu, ainsi que d’autres critères sociaux-culturels. Cette enquête a été menée deux fois, à six ans d’intervalle et avec les mêmes personnes. Les données, anonymes, ont servi de base à l’étude effectuée par les géographes de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) et les épidémiologistes des hôpitaux universitaires lausannois (CHUV) et genevois (HUG).
Les chercheurs disposant également de l’adresse des volontaires, ont pu dessiner une carte précise de l’IMC des lausannois. IMC favorables et défavorables s’affichent respectivement sous forme de points bleus et rouges. Des regroupements apparaissent clairement – on voit notamment un très net contraste entre l’Est bourgeois et l’Ouest populaire.
 
Un résultat inattendu
C’est à ce moment que l’approche des géographes fait apparaître un résultat inattendu. Normalement, ces derniers appliquent une méthode de pondération, afin de s’assurer qu’ils disposent de tous les éléments d’explication. «Nous ajustons les données d’IMC de manière à prendre en considération tous les facteurs connus pour influer sur le poids, que ce soit le revenu, le niveau d’éducation, l’âge ou d’autres facteurs encore», explique Stéphane Joost, chercheur à l’EPFL. Normalement, une fois les valeurs ajustées, les zones colorées doivent disparaître.
Or, malgré cette manipulation, la carte de l’Ouest lausannois reste rouge. L’IMC des habitants résiste aux explications habituelles. «Cela veut dire qu’il existe d’autres facteurs qui nous ont échappé, ou alors ils interagissent de manière plus complexe que l’on ne pense», ajoute le chercheur.
 
Identifier de nouvelles causes pour lutter contre l’obésité
Selon le Dr Idris Guessous, co-auteur et médecin épidémiologiste au CHUV et aux HUG, l’urbanisme est sans doute la clé pour une meilleure compréhension des causes de l’obésité. «Il semble que l’environnement urbain ait un impact important, indépendamment du revenu ou des autres facteurs habituellement pris en compte», déclare-t-il. Une question de distance aux espaces verts, d’accès aux commerces ou à la restauration rapide, de cloisonnement géographique ? Pour le médecin, ce sont autant de possibilités à vérifier.
Le Dr Idris Guessous cite également le phénomène de dépendance spatiale, qui renforce encore les différences entre quartiers. «On tend à ressembler à ses voisins, à s’imiter mutuellement, et ce même s’il y a de fortes différences socioculturelles», affirme-t-il. Il s’agit d’un véritable phénomène de contagion comportementale. Parmi les comportements concernés, certains ont un impact sur la santé.
Si elle se vérifie, l’hypothèse d’un rôle important de l’urbanisme pourrait constituer un nouvel angle d’attaque contre l’obésité. «On ne peut pas changer son âge, il n’est pas facile d’agir sur la question de l’éducation et il est sans doute utopique d’imaginer des revenus égaux pour tous», commente le médecin. En revanche, on peut agir sur l’urbanisme. Quand nous comprendrons mieux le phénomène, nous pourrons nous inspirer des banlieues les mieux loties pour réaménager certains quartiers défavorisés.
 
Stéphane Joost
EPFL ENAC IIE LASIG
1015 Lausanne
Tél.: 021 693 57 82
 
Dr Idris Guessous
Hôpitaux Universitaires de Genève
Tél.: 022 305 58 61
Idris.Guessous@hcuge.ch