13 November 2019 |
La Revue POLYTECHNIQUE
Les robots-fourmis de l’EPFL : l’union fait l’intelligence !
Georges Pop
Le laboratoire de robotique reconfigurable de l’EPFL de Jamie Paik a imaginé des petits robots très mobiles, baptisés Tribots qui, en groupe, reproduisent l’intelligence collective des fourmis. Dotés de facultés individuelles réduites, ces robots-fourmis sont capables, une fois réunis en «colonie», d’élaborer des stratégies complexes et de s’adapter pour remplir de multiples missions dans les environnements les plus variés.
Le déplacement des Tribots est clairement inspiré de celui des fourmis Ondotomachus (piège à mâchoire), une espèce d’Amérique du Sud aux mandibules surdimensionnées. Cette stupéfiante fourmi est capable de refermer ses mâchoires 2300 fois plus vite qu’un battement de cil, soit pour capturer une proie, soit pour faire un bond à la vitesse de 60 m/s afin d’échapper à un prédateur. Les robots-fourmis de l’EPFL n’en sont certes pas encore là. Ils ont cependant la capacité, comme leur modèle biologique, de sauter verticalement, de se mouvoir horizontalement pour avancer, de faire des bonds pour franchir un obstacle, de marcher sur un terrain accidenté et de ramper sur des surfaces planes. Le mécanisme de locomotion est très compact, alimenté par une batterie, et sa puissance est réglable.
Une morphologie unique pour des rôles différents
Chaque Tribot à la même anatomie, à l’image des Ondotomachus. Mais comme la fourmi, chaque petit robot peut assumer une fonction spécifique selon le contexte et la nature de la mission confiée à la troupe: l’explorateur inspecte l’environnement et en informe ses congénères; le meneur commande et organise le travail collectif et les ouvriers accomplissent la besogne, rechercher un objet ou identifier une cible, par exemple. La perte d’un ou plusieurs individus ne compromet en rien l’action collective, les Tribots pouvant changer de rôle instantanément. Selon Jamie Paik, «cela va au-delà de ce que la nature peut faire».
Née au Canada d’un père scientifique et d’une mère artiste tous deux d’origine coréenne, Jamie Paik a pris la direction du Laboratoire de robotique reconfigurable de l’EPFL (RRL) en 2012. Avec son équipe, elle s’était déjà distinguée en imaginant des petits robots pneumatiques capables de se contracter et de se détendre comme un muscle, ébauche d’un prototype de veste robotisée appelée un jour à assister l’accomplissement de travaux fastidieux. Ses origines asiatiques ne sont peut-être pas étrangères à la solution imaginée pour produire les Tribots, dans la tradition ancestrale de l’origami, l’art oriental du pliage du papier. Les robots-fourmis ont d’ailleurs aussi été informellement rebaptisés robots-origami par le Service de presse de l’EPFL.
Avec Zhenishbek Zhakypov et son équipe du Laboratoire de robotique reconfigurable de l’EPFL, Jamie Paik a mis au point un procédé de fabrication rapide des Tribot. Ils sont assemblés en un tour de main par pliage de feuilles en multi-matériaux, ce qui permet une production de masse. (© marcdelachaux_epfl) |
Un pliage simple pour une production de masse
Avec Zhenishbek Zhakypov, son bras-droit venu du Kirghizistan, et son escouade technique, Jamie Paik a mis au point un procédé de fabrication rapide,
pratique et astucieux: réalisé en forme de «T», chaque Tribot est assemblé en un tour de main par pliage de feuilles légères en multi-matériaux, ce qui autorise une production de masse. D’un poids de seulement 10 g, le robot-fourmi est autonome, sans fil, muni de capteurs infrarouge et de capteurs de proximité pour la communication et la détection. Selon les missions, d’autres capteurs pourraient facilement être ajoutés. Et si les Tribots sont capable notamment de reproduire le mécanisme de catapulte des Ondotomachus, c’est «grâce à une conception habile en origami qui mêle de multiples actuateurs en alliage à mémoire de forme», explique non sans enthousiasme Zhenishbek Zhakypov, qui s’est chargé d’annoncer en juillet l’avènement des Tribots dans la revue scientifique de référence Nature.
Sur le terrain, ces petits robots relativement rustiques peuvent être déployés en grand nombre dans l’éventualité d’une mission de recherche d’urgence. Sans recours à un GPS ou à un «feedback visuel», grâce à leur capacité multi-locomotrice et leur pouvoir de communication, ils seraient alors en mesure de débusquer leur cible avec une très grande célérité. «Par exemple, un individu enseveli sous une avalanche ou égaré en montagne», précise Jamie Paik qui ne cache ni son contentement ni son optimisme: «Nous pensons que nos robots présentent une intelligence collective unique. Ils démontrent une excellente capacité d’adaptation à des environnements inconnus. Ainsi, pour certaines missions, ils pourraient être plus efficaces que des robots plus puissants et plus volumineux», ajoute-t-il.
Demain, une application militaire ?
Comment ne pas songer au film de 2008 Le Jour où la Terre s’arrêta, où un extraterrestre d’apparence humaine, incarné par l’acteur Keanu Reeves, fait appel à de vastes essaims de micro-robots invincibles pour détruire méthodiquement les infrastructures humaines ? Ne faut-il pas craindre un jour des applications militaires ? La directrice du RRL connaît le film. Elle esquisse un sourire: «Tous les chercheurs sont conscients du fait que leurs inventions peuvent tomber entre de mauvaises mains. Mais cela ne doit pas nous empêcher de travailler pour améliorer la condition humaine. C’est la raison pour laquelle, pour ce genre de recherches, je plaide pour des financements publics plutôt que privés; afin de garder la maîtrise de nos réalisations», conclut-elle.Une hésitation puis elle ajoute, rassurante: «Mais vous savez, avec nos Tribots, nous sommes encore loin, très loin de la phase industrielle…».
Jamie Paik
Laboratoire de robotique reconfigurable de l’EPFL
Tél. 079 845 62 21
Jamie.paik@epfl.ch
Zhenishbek Zhakypov
Laboratoire de robotique reconfigurable de l’EPFL
Tél. 078 932 55 33
Zhenishbek.Zhakypov@epfl.ch