06 November 2017 |
La Revue POLYTECHNIQUE
Sondes et champs de sondes géothermiques en Suisse – critères de dimensionnement
Sondes et champs de sondes géothermiques en Suisse - critères de dimensionnement
Les installations dotées de sondes géothermiques existent depuis de nombreuses années et les technologies sont éprouvées. Le succès de ces installations se mesure à la longueur totale des nouvelles sondes posées chaque année. Cet article est un résumé de la conférence présentée par Daniel Pahud, du Laboratoire d’énergie solaire et de physique du bâtiment de l’HEIG-VD, lors du Symposium ER’17 d’Yverdon-les-Bains.
Le développement et la diffusion des installations dotées de sondes géothermiques conduisent, d’une part, à réaliser des champs de sondes géothermiques toujours plus grands et, d’autre part, à une densification des petites installations toujours plus importantes dans certaines zones.
L’objectif de cet article est de présenter les principaux phénomènes physiques liés à l’utilisation de sondes géothermiques afin d’en illustrer la problématique de dimensionnement.
Fig. 1. Longueur totale des nouvelles sondes géothermiques posées par année en Suisse. (Source: GSP)
|
Transferts thermiques
Le dimensionnement d’un champ de sondes géothermiques est généralement réalisé en supposant que les transferts thermiques dans le terrain soient gouvernés par la conduction de chaleur. Seule une convection forcée est prise en compte dans les tubes des sondes géothermiques destinées au transfert de chaleur entre l’installation technique et le terrain. On peut décrire les processus de transfert thermique par les trois phénomènes suivants:
-
les transferts thermiques de la sonde géothermique;
-
les transferts thermiques à court terme, caractérisés par un transfert de chaleur de type «échangeur de chaleur»;
-
les transferts de chaleur à long terme, caractérisés par l’utilisation de la ressource géothermique. C’est une utilisation de type «stockage de chaleur».
Fig. 2. Résistance thermique effective d’une sonde en double U en fonction du débit qui la traverse et de sa profondeur.
|
Transferts thermiques de la sonde
Les transferts thermiques de la sonde sont calculés de façon satisfaisante par le concept de résistance thermique effective (Hellström, 1991), qui permet de calculer la puissance thermique transférée par une sonde géothermique pour une différence de température donnée entre le fluide caloporteur et le terrain sur la paroi du forage.
La résistance thermique effective d’une sonde géothermique dépend du type de sonde, de sa géométrie, des propriétés thermiques des matériaux qui la constituent, du débit qui la traverse et de sa longueur. La figure 2 permet d’illustrer les valeurs typiques de résistance thermique effective pour une sonde en double U.
Ceci permet de constater que pour des sondes de 100 à 200 m de profondeur, il faut veiller à faire circuler un débit de 1 à 2 m3/h dans la sonde, tout en sachant que plus la sonde est profonde, plus le débit devra être élevé, afin de limiter les effets de court-circuit thermique. Ceux-ci sont prépondérants pour des sondes profondes ayant un faible débit. Il en résulte une valeur de la résistance thermique effective très élevée, comme le montre la partie gauche des courbes du graphique de la figure 2.
Fig. 3. Évolution de la température du fluide caloporteur, présentée par ses valeurs minimales mensuelles. Installation géothermique comportant une seule sonde isolée.
|
Critère de dimensionnement
En extraction de chaleur, la norme SIA 384/6 (2010) concernant les sondes géothermiques fixe une valeur minimale pour la température du fluide caloporteur, qui doit être respectée aussi bien à court terme (une saison de chauffage) qu’à long terme (50 ans). La température du fluide caloporteur, définie par la moyenne des températures à l’entrée et à la sortie de la sonde, doit rester supérieure à -1,5 °C. Cette exigence est fixée pour éviter des dégâts dus au gel dans le terrain. En cas d’utilisation d’eau pure, cette exigence est évidemment remplie puisque c’est le gel de l’eau qui doit être évité.
Fig. 4. Configuration en L pour les six sondes géothermiques de l’installation. Espacées de 8 m et profondes de 180 m, leur placement est maintenu à 5 m de la frontière de la parcelle.
|
Différence de température potentielle
La température moyenne initiale de la couche de terrain traversée par une sonde géothermique fixe le niveau de température de la ressource géothermique (Tm_ground). La température du fluide qui circule dans la sonde, quant à elle, ne doit pas être inférieure à la température limite minimale (Tf_min) fixée par le critère de dimensionnement. La différence de température potentielle est la différence entre le niveau de température de la ressource géothermique et la température limite minimale (DTpotentiel = Tm_ground – Tf_min). C’est la différence de température à disposition pour l’extraction de chaleur. À noter que Tf_min est une température extrême ponctuelle aussi bien dans l’espace que dans le temps. Elle ne représente pas la température moyenne de la ressource géothermique dans le volume de terrain occupé par les sondes. En conséquence, il n’est pas correct de dire que la ressource géothermique est épuisée lorsque la température du fluide caloporteur passe sous la température limite minimale.
Fig. 5. Évolution de la température du fluide caloporteur, montrée par ses valeurs minimales mensuelles. Installation géothermique avec un champ de six sondes géothermiques.
|
Sonde géothermique unique
Soit l’exemple d’une installation dotée d’une sonde géothermique unique de 180 m de profondeur. La température de la couche de terrain traversée par la sonde est de 12,7 °C. L’installation a été simulée à l’aide du modèle TRNSYS de SBM développé pour la simulation d’installations mesurées (Eskilson, 1986; Klein et al., 2007; Pahud, 2012; Pahud, 2015). Le dimensionnement permet d’exploiter au maximum la différence de température potentielle. Cela signifie que la température du fluide caloporteur atteint la valeur minimale après 50 ans. La figure 3 permet de tracer l’évolution de la température du fluide caloporteur, présentée avec ses valeurs minimales mensuelles.
On peut observer que pour passer le premier hiver, la température du fluide descend à -0,1 °C. Ceci permet de distinguer deux composantes dans l’abaissement effectif de la température du fluide ((DTeffectif): une différence de température saisonnière et une différence de température à long terme au bout de 50 ans:
Différence de température
- effective (DTeffectif): 14,2 [K]
- saisonnière (DTsaison): 12,8 [K]
- à long terme, 50 ans (DTlong): 1,4 [K]
Les clés de dimensionnement qui résultent de la simulation sont les suivantes:
qmax: puissance maximale extraite par mètre de sonde 35 [W/m]
Q: énergie annuelle extraite par mètre de sonde 73 [kWh/m/an]
h: taux de recharge du terrain 0 [-]
La résistance thermique effective de la sonde est de 0,13 K/(W/m) dans l’exemple simulé. Avec une puissance d’extraction de pointe de 35 W/m, une différence de température de 4,6 K doit être créée dans la sonde. Cela signifie que 32 % de la différence de température potentielle est «consommée» dans la sonde uniquement pour sortir l’énergie géothermique avec la puissance désirée.
L’abaissement de la température minimale du fluide après la première année est faible. Il reste inférieur à 10 % de la différence de température potentielle. L’effet «stockage de chaleur» est donc négligeable lorsque la sonde géothermique est isolée. C’est la raison pour laquelle le dimensionnement de la sonde dépend en premier lieu de la puissance de pointe à extraire. Toutefois, le nombre d’heures annuelles de fonctionnement à pleine charge est également pris en compte, ce qui indique déjà que la ressource géothermique ne peut pas être exploitée sans limite.
Fig. 6. Position des sondes géothermiques des douze installations dans le quartier. Les trois lignes de parcelles sont espacées entre elles par une voie de communication de 5 m de largeur.
|
Sondes géothermiques multiples pour une installation
Soit l’exemple d’une installation plus importante composée de six sondes géothermiques de 180 m de profondeur. Leur placement est montré dans la figure 4. Les caractéristiques des sondes et du terrain sont les mêmes que dans l’exemple précédent. La figure 5 permet de tracer l’évolution de la température du fluide caloporteur, présentée avec ses valeurs minimales mensuelles.
Le dimensionnement des sondes est fait pour une pompe à chaleur de 40 kW de puissance de chauffage et une production annuelle de 84 MWh/an. Il permet d’exploiter complétement la différence de température potentielle.
Comme précédemment, on déduit des résultats de la simulation, les différences de température et les clés de dimensionnement:
Différence de température
- effective (DTeffectif): 14,2 [K]
- saisonnière (DTsaison): 10,3 [K]
- à long terme, 50 ans (DTlong): 3,9 [K]
qmax: puissance maximum extraite par mètre de sonde 27 [W/m]
Q: énergie annuelle extraite par mètre de sonde 57 [kWh/m/an]
h: taux de recharge du terrain 0 [-]
Par comparaison avec l’exemple d’une sonde unique, les clés de dimensionnement sont moins favorables. En raison de l’influence thermique entre les sondes, la puissance maximale et l’énergie annuelle extraites par mètre de sonde sont plus basses. L’effet «stockage de chaleur» se fait sentir davantage, ce qui est confirmé par une baisse de température à long terme (DTlong) plus importante. Comme celle-ci est prise dans la différence de température potentielle, la différence de température à disposition pour l’extraction de chaleur à court terme (effet «échangeur de chaleur») est réduite. Ceci se traduit par une puissance maximale extraite par mètre de sonde sensiblement plus basse.
À noter qu’une recharge thermique complète du terrain permettrait de réduire à zéro l’abaissement de température à long terme (DTlong).
Fig. 7. Évolution de la température minimale du fluide caloporteur pour l’installation 1 simulée au milieu d’autres installations géothermiques d’un quartier.
|
Sondes géothermiques dans un quartier
On suppose que l’exemple de l’installation précédente est répliqué dans un quartier. En s’inspirant d’un cas réel extrême, une douzaine d’installations sont simulées. Le placement des sondes de chacune des installations est présenté dans la figure 6. Les caractéristiques des sondes et du terrain sont les mêmes que celles de l’exemple précédent.
Pour évaluer l’effet des installations du quartier sur l’installation 1, le dimensionnement de chaque installation est réalisé comme si elle était unique, donc comme dans l’exemple précédent. Chaque champ de sondes est couplé à une pompe à chaleur de 40 kW de puissance de chauffage, qui produit 84 MWh/an.
La figure 7 permet de tracer l’évolution de la température du fluide caloporteur de l’installation 1 située au milieu des autres. La courbe claire montre l’évolution de la température sans l’effet des installations voisines. On peut ainsi quantifier l’effet des installations voisines à 50 ans, comme étant l’abaissement de température supplémentaire causé par l’interaction thermique des autres installations géothermiques. Sachant que la température minimale du fluide, simulée avec l’effet de toutes les installations, s’abaisse à -10,1 °C pour l’installation 1, l’effet des installations voisines est quantifié par (-1,5 °C – (-10,1 °C)).
Différence de température des installations voisines ((DTvoisin) 8,6 [K]
Pour limiter les effets à long terme des sondes du quartier, deux solutions sont possibles: augmenter la longueur des sondes et/ou recharger thermiquement le terrain.
Le dimensionnement revient à inclure l’abaissement de la température du fluide causé par les installations voisines dans la différence de température potentielle. En admettant que l’on opte pour l’augmentation de la longueur des sondes, la longueur additionnelle se calcule comme suit:
DTvoisin/DTpotentiel= 8,6/14,2 = 60 %
L’évolution de la température minimale du fluide de l’installation 1 est présentée dans la figure 8, avec la longueur corrigée des sondes (289 m au lieu de 180 m). Comme les sondes sont plus profondes, la différence de température potentielle est légèrement plus grande en raison de la température moyenne du terrain plus élevée (14,3 °C). On peut observer que pour passer le premier hiver, la température minimale du fluide ne descend pas à moins de +7,7 °C. Ceci résulte de l’échangeur de chaleur que forment les sondes et le terrain qui est beaucoup plus grand, permettant ainsi de réduire la différence de température requise pour l’extraction de la puissance thermique. Ceci est nécessaire pour prendre en compte l’abaissement important de la température du terrain au cours des années DTlongélevé).
On observe un renversement dans les différences de température par rapport à la situation où l’installation est unique. L’effet «stockage de chaleur» devient prépondérant. La solution d’augmenter la longueur des sondes dans le cas d’un quartier ayant une densité de sondes géothermiques élevées pour l’extraction de chaleur, montre clairement qu’elle n’est pas pérenne dans le temps. Un apport de chaleur important dans le volume de terrain occupé par les sondes des installations devient nécessaire. Celui-ci, s’il n’est pas naturellement causé par un mouvement significatif de l’eau souterraine, doit être réalisé par une recharge thermique du terrain.
Les différences de température et les clés de dimensionnement deviennent:
Différence de température
- effective (DTeffectif): 15,8 [K]
- saisonnière (DTsaison): 6,6 [K]
- à long terme, 50 ans (DTlong): 9,2 [K]
qmax: puissance maximum extraitepar mètre de sonde 17 [W/m]
Q: énergie annuelle extraite par mètre de sonde 36 [kWh/m/an]
h: taux de recharge du terrain 0 [-]
Les clés de dimensionnement sont très basses, ce qui signifie que l’investissement relatif aux sondes est très lourd. Ceci renforce l’option d’une recharge thermique qui permettrait de réduire la longueur des sondes. Le capital libéré par une longueur moindre de sonde devient disponible pour le financement du dispositif de recharge (capteurs solaires ou échangeur sur l’air extérieur, p. ex.).
Fig. 8. Évolution de la température minimale du fluide caloporteur pour l’installation 1 avec la longueur de sonde corrigée pour tenir compte de l’effet des installations géothermiques du quartier.
|
Conclusion
Un champ de sondes géothermiques exploite l’énergie thermique de deux manières:
-
une composante «ressource géothermique»;
-
une composante «stockage thermique», généralement faite à l’échelle saisonnière.
La composante «ressource géothermique», prédominante avec des installations isolées, laisse peu à peu la place à la composante «stockage thermique» à mesure que le nombre d’installations augmente dans un territoire donné.
On sait que l’influence thermique d’une sonde sur une autre dépend très fortement de leur éloignement, et l’effet n’est linéaire ni dans l’espace, ni dans le temps. Cependant on peut affirmer que deux sondes ne s’influenceront jamais si leur éloignement est supérieur à leur profondeur.
Ceci permet de délimiter la zone à prendre en considération pour l’analyse des influences à long terme des installations voisines. D’autre part l’effet devient toujours plus important lorsque l’éloignement se réduit. On ne peut pas accepter que des sondes d’une installation soient posées à quelques mètres seulement de sondes d’un autre champ, à moins que ceci soit intégré et prévu dans le dimensionnement des deux installations.
L’influence à long terme des installations voisines sur une installation donnée se traduit par un abaissement supplémentaire de la température minimale du fluide. La règle du «premier venu premier servi» ne fonctionne pas, car si de nouvelles installations peuvent tenir compte des installations existantes, l’inverse n’est généralement pas possible. Il est cependant important de pouvoir dimensionner une installation en tenant compte des installations futures ou en prenant des dispositions pour adapter l’installation, si nécessaire. Si l’on peut prédire quel sera l’abaissement de température supplémentaire à prendre en considération (DTvoisin), on peut alors dimensionner l’installation comme si elle était unique, mais avec une température limite minimale augmentée de l’effet à long terme des installations voisines (+DTvoisin).
L’influence à long terme d’une installation sur une autre dépend directement de l’exploitation de la ressource géothermique. Plus la densité de sondes et le nombre d’installations sont élevés, moins la ressource géothermique peut être exploitée par chaque installation. Une manière de la limiter et de contrôler son utilisation est de prévoir une recharge thermique. À partir du moment où l’on peut fixer quelle quantité de ressource géothermique il est possible d’utiliser, on sait quelle recharge thermique minimale il sera nécessaire de prévoir pour l’utilisation des sondes que l’on souhaite poser.
Références
-
Eskilson P. (1986): Superposition Borehole Model. Manual for Computer Code. Department of Mathematical Physics, Lund Institute of Technology, Lund, Suède.
-
Hellström G. (1991: Grond Heat Storage. Thermal Analyses of Duct Storage Systems. Theory. Department of Mathematical Physics, University of Lund, Suède.
-
Klein S. A. et al. (2007): TRNSYS. A Transient System Simulation Program. Version 16.1. Solar Energy Laboratory, University of Wisconsin, Madison, États-Unis.
-
Pahud D. (2012): The Superposition Borehole Model for TRNSYS 16 or 17 (TRNSBM). User Manual for the April 2012 Version. Internal Report. ISAAC - DACD- SUPSI, Suisse.
-
Pahud D. (2015): Simulations de champs de sondes géothermiques mesurés. Programme SuisseEnergie, Office fédéral de l’énergie, Berne, Suisse.
-
SIA (2010): Norme SIA 384/6. Sondes géothermiques. Société suisse des ingénieurs et architectes, Zurich.
Daniel Pahud
LESBAT–IGT–HEIG-VD
1401 Yverdon-les-Bains
daniel.pahud@heig-vd.ch