27 Februar 2019 |
La Revue POLYTECHNIQUE
Un mystérieux messager venu d’ailleurs
Michel Giannoni
`Oumuamua, cet étrange visiteur venu de l’espace interstellaire, détecté pour la première fois le 19 octobre 2017 par le télescope Pan-STARRS 1 d’Hawaï, alors qu’il se trouvait à 30 millions de kilomètres de la Terre, poursuit sa course à travers le Système solaire, qu’il finira par quitter, emportant avec lui le mystère de ses origines.
Le 19 octobre 2017, Rob Weryk, postdoctorant à l’Institut d’astronomie de l’Université d’Hawaï, découvre à l’aide du télescope Pan-STARRS 1 situé sur le volcan Halealakala, un étrange petit corps en train de traverser l’orbite terrestre, à une distance de 0,2 unité astronomique, soit quelque 30 millions de kilomètres.
Cette découverte est particulièrement intrigante, car cet objet ne ressemble à aucun astre du Système solaire. Les observations effectuées les jours suivants, montrent qu’il est de forme oblongue et de couleur rouge foncé. Sa structure est métallique ou rocheuse, il est dépourvu d’eau ou de glace et serait revêtu d’un manteau organique riche en carbone. Sa longueur est estimée à plus de 400 m et sa largeur à 40 m, soit approximativement la taille d’un grand pétrolier. Ce qui est le plus étonnant, c’est que telles dimensions n’ont jamais été relevées parmi les quelque 750’000 astéroïdes et comètes observés jusqu’à aujourd’hui.
`Oumuamua, l’étrange corps céleste en forme de cigare venu d’un autre système stellaire, est protégé par un manteau fait de matériau organique riche en carbone. (© NASA)
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Le premier objet détecté de nature extra-stellaire
La trajectoire hyperbolique plutôt qu’elliptique, ainsi que les dimensions hors normes de cet astre semblaient indiquer qu’il pourrait s’agir du premier objet détecté provenant de l’extérieur du Système solaire. Les données recueillies par les scientifiques ont alors confirmé cette hypothèse, l’orbite observée ne pouvant pas faire partie de notre système planétaire.
La trajectoire de `Oumuamua est hyperbolique, alors que celle de tous les objets du Système solaire est elliptique. (© ESO, M. Kornmesser, L. Calcada)
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Des origines encore incertaines
Selon une équipe d’astronomes brésiliens qui a analysé les paramètres orbitaux et la vitesse de cet étrange visiteur, il serait âgé de 50 millions d’années et proviendrait d’un système naissant. D’après d’autres sources, cet objet aurait erré à travers la Voie lactée pendant des centaines de millions d’années, avant de rencontrer par hasard notre Système solaire. Certains calculs orbitaux indiquent qu’il proviendrait d’une région du ciel voisine de l’étoile Vega, située à 25 années-lumière, dans la constellation boréale de la Lyre.
Contrairement à tous les astéroïdes et comètes observés jusqu’à présent, cet astre mystérieux, qui se trouve actuellement dans le voisinage de Saturne, n’est pas ancré par la gravité au Soleil. Il quittera donc notre Système solaire pour poursuivre sa route dans l’espace interstellaire en direction de de la constellation de Pégase, après sa brève rencontre avec notre espace planétaire.
`Oumuamua, qui a été détecté le 19 octobre 2017, a passé au plus près du Soleil le 7 septembre de la même année. (© Brooks Bays/SOEST Publication Service/UH Institute for Astronomy)
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Une comète ou un astéroïde?
D’abord classé comme comète et désigné pour cette raison par le doux nom de C/2017 U1, cet étrange visiteur a été reclassé parmi les astéroïdes et donc désigné par le patronyme A/2017 U1, pour la bonne raison qu’il ne présenterait pas d’activité cométaire, aucun dégazage n’ayant été observé. L’équipe du programme Pan-STARRS a alors choisi de l’appeler `Oumuamua, un nom d’origine hawaïenne signifiant «éclaireur» ou «messager». Le premier caractère de ce mot n’est pas une apostrophe, mais un okina, une spécificité de nombreuses langues polynésiennes.
Selon une étude1 publiée dans Nature, cet objet a une vitesse légèrement supérieure à celle prévue par les calculs. Il serait donc propulsé par une force non identifiée, autre que les forces gravitationnelles du Soleil et des planètes. Bien qu’aucune trace de poussière ou de queue n’ait été détectée, l’hypothèse la plus probable est celle d’un dégazage, ce qui relancerait la théorie de la comète.
L’hypothèse d’une sonde extraterrestre
En raison de la forme exceptionnelle de `Oumuamua, l’institut SETI (Search for Extra-Terrestrial Intelligence), qui regroupe des projets scientifiques dont l’objectif est de détecter la présence de civilisations extraterrestres avancées, a décidé de l’observer à l’aide de ses puissants radiotélescopes. En effet, selon certains physiciens, il y aurait une probabilité – certes très faible mais non nulle – qu’il s’agisse d’une sonde extraterrestre.
Cette hypothèse a été reprise par deux chercheurs de l’université Harvard, dans un article très controversé. Considérant que la vitesse de cet objet n’est pas normale, ils suggèrent que ce bolide pourrait être propulsé au moyen d’un voile solaire, comme ceux que nous connaissons sur Terre. Il pourrait alors s’agir, selon eux, d’un cargo intersidéral à la dérive, de débris d’une sonde extraterrestre ou encore d’un engin envoyé intentionnellement vers notre planète – sa forme effilée minimisant les frottements avec la poussière et les gaz, étant la mieux appropriée pour des voyages interstellaires.
Selon les premières analyses du programme de recherche de vie extraterrestre Breakthrough Initiatives, qui fut notamment soutenu par Stephen Hawking et dispose d’un budget de 100 millions de dollars, il n’existe aucune preuve de signaux artificiels émanant de cet objet. Toutefois, le suivi de sa trajectoire à travers quatre bandes radio – de 1 à 12 GHz – et les analyses de sa constitution se poursuivent. Les chercheurs de Breakthrough Initiatives pensent qu’il pourrait plutôt s’agir d’un débris d’une ancienne planète rocheuse ou d’une petite comète composée de gaz congelé qui est expulsé, faisant office de propulseur.
Et si l’on rendait visite à `Oumuamua?
Plusieurs possibilités ont été envisagées pour envoyer une sonde spatiale à destination de `Oumuamua. Les astronomes ont d’abord estimé que sa vitesse – de plusieurs dizaines de kilomètres par seconde – est trop importante pour qu’un vaisseau spatial puisse la rattraper. En effet, Voyager 1, l’objet le plus rapide jamais construit par l’homme, actuellement situé aux confins de l’héliosphère, a une vitesse de «seulement» 17 km/s.
Toutefois, l’équipe scientifique du projet Lyra étudie des scénarios de missions prévoyant un lancement à l’horizon 2025. Ils utiliseraient comme lanceur le Space Launch System de la NASA ou le Big Falcon Rocket de SpaceX, qui pourraient accélérer suffisamment une sonde pour lui permettre de rattraper `Oumuamua. Les calculs montreraient qu’avec une vitesse de quelque 40 km/s, l’objet serait rejoint en 2051, à une distance de 150 unités astronomiques (UA). Si la vitesse du vaisseau spatial pouvait atteindre 70 km/s, il rejoindrait `Oumuamua en 2039, qui se trouvera alors à 85 UA «seulement». Selon ces scénarios malgré tout assez improbables, une mission pourrait être envisagée d’ici une dizaine d’années, pour atteindre `Oumuamua en quelques décennies.
Bibliographie
Une bibliographie exhaustive ainsi que les caractéristiques orbitales de `Oumuamua figurent sous https://fr.wikipedia.org/wiki/1I/%CA%BBOumuamua.
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Le projet Pan-STARRS
Pan-STARRS (Panoramic Survey Telescope And Rapid Response System) est un projet de relevé astronomique ayant pour but d’effectuer de l’astrométrie et de la photométrie d’une grande partie du ciel, quasiment en continu. En détectant toutes les différences par rapport aux observations précédentes des mêmes zones du ciel, l’objectif est de découvrir un très grand nombre de nouveaux astéroïdes, comètes et autre objets célestes.
La principale mission de Pan-STARRS est de détecter les géocroiseurs, ces astéroïdes évoluant à proximité de la Terre et qui pourraient provoquer des impacts catastrophiques. Il est prévu de créer une base de données comprenant tous les objets visibles depuis l’observatoire d’Hawaï, jusqu’à une magnitude apparente de 24.
Le premier télescope de Pan-STARRS, appelé PS1, a été mis en service le 6 décembre 2008. C’est lui qui a permis de détecter `Oumuamua. Les trois autres télescopes constituant le réseau seront achevés en 2012, pour un coût total de 100 millions de dollars, financé par l’US Air Force.
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1Marco Micheli, Davide Farnocchia, Karen J. Meech et Marc W. Buie, « Non-gravitational acceleration in the trajectory of 1I/2017 U1 (‘Oumuamua) », Nature, 27 juin 2018