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27 Kann 2018 | La Revue POLYTECHNIQUE

Une poudre de bactéries pour stabiliser les terrains granuleux

Dans le but de renforcer les sols de sable et de gravier, le Laboratoire de mécanique des sols de l’EPFL a mis au point une technique aisément reproductible, à base de bactéries et d’urée. Des réactions chimiques engendrent la formation rapide de cristaux qui agissent comme des liants entre les particules composant le sol.
Les sols des zones urbaines, propices aux constructions, sont déjà largement occupés. Ceux qui restent demandent souvent un gros travail de stabilisation et de renforcement pour minimiser les risques à long terme liés aux fissures et aux menaces environnementales. Les techniques de consolidation utilisées actuellement, à savoir l’injection de béton ou la construction de profondes fondations, peinent à remplir les attentes en matière d’impact environnemental, de rentabilité économique ou encore de facilité d’utilisation.

Dimitrios Terzis et Lyesse Laloui, deux chercheurs du Laboratoire de mécanique des sols de l’EPFL, ont mis au point un procédé à base de bactéries et d’urée, permettant de lier durablement les particules du terrain au moyen de cristaux de calcite. Biologique, facile à mettre en pratique et peu onéreux, ce bio-ciment prometteur et résistant a fait l’objet d’un article de la revue Nature.
 
Le doctorant Dimitrios Terzis et le professeur Lyesse Laloui du Laboratoire de mécanique des sols de l’EPFL devant l’installation permettant, à base de bactéries et d’urée, de lier durablement les particules d’un terrain au moyen de cristaux de calcite.(crédit: Alain Herzog)
 


Une combinaison d’urée et de calcium
Pour engendrer les cristaux de calcite, plusieurs réactions chimiques sont nécessaires. Comme agent déclenchant, les chercheurs ont fait appel à des bactéries, les Sporosarcina Pasteurii, qu’ils ont lyophilisées afin de les rendre facilement utilisables. Dispersées sur le terrain, elles se fixent aux grains de sable ou de gravier, se multiplient et formentfinalement un film adhésif et protecteur. Le rôle de ces micro-organismes sera alors de jouerles entremetteurs entre l’urée – une molécule de synthèse hautement soluble et nontoxique – et le calcium, qui sont pulvérisés sur la surface.
 
Des cristaux qui s’accrochent aux particules du sol
Les bactéries décomposent les molécules d’urée pour se nourrir et améliorer leur environnement. Ce faisant, elles libèrent du carbonate qui se lie avec le calcium pour former des cristaux de calcite. Ceux-ci s’accrochent aux particules du sol et grandissent en nombre et en taille, pouvant atteindre plusieurs centaines de microns.
L’enzyme uréase, également libérée par les bactéries durant leur digestion, se charge d’accélérer le processus. Elle permet un gain de temps non négligeable – la réaction est ainsi mille fois plus rapide –, qui permet d’obtenir le résultat escompté en quelques heures, voire quelques jours. Ces enzymes ont même le pouvoir de répliquer toutes seules la décomposition des molécules d’urée, une fois les bactéries dégradées. L’efficacité de ce processus étant équivalente à celle fournie par la bactérie, les chercheurs ont tenté avec succès de se passer de cette dernière. «Une alternative “sans-cellule” permettra de faciliter l’application à très grande échelle en réduisant le coût», souligne le professeur Lyesse Laloui.
 
Des cristaux de calcite à base de bactéries et d’urée agissent comme liant entre les particules composant le sol. (crédit: Alain Herzog)
 
 

Différents niveaux de cimentation peuvent être créés
La résistance de cette cimentation, ainsi que sa microstructure, ont également été testées sur divers sols, avec d’excellents résultats. Une nouvelle méthode d’observation quantitative a été développée en parallèle par le Laboratoire de mécanique des sols. Les chercheurs ont eu recours à des analyses de microtomographie aux rayons X, ainsi qu’à des reconstructions en trois dimensions, afin d’avoir un aperçu en temps réel de la nature du mécanisme de croissance et de l’état interne des liaisons cristallines. Des éléments comme la taille des liaisons, leur nombre et leur orientation ont ainsi pu être observés. Cela a permis de mieux comprendre les principes du fonctionnement de la technique.
 
Un biociment produit sur place
Ce biociment peut être produit sur place, à moindre coût, à température ambiante et avec un besoin en énergie limité. Différents niveaux de cimentation peuvent être créés et utilisés selon les besoins du projet de construction.
De faibles quantités de calcite permettent d’obtenir une résistance suffisante pour que les sols graveleux résistent à des forces de cisaillement lors d’importants tremblements de terre ou apporter des solutions aux problèmes de stabilisation des pentes ou de restauration de fondations existantes. Avec des contenus de calcite plus importants, le produit peut être considéré comme matériau de construction ou même utilisé pour des applications d’imperméabilisation des sols.
 
Lauréats du Prix Roberval
Laurent Vulliet et Lyesse Laloui, professeurs au Laboratoire de mécanique des sols (LMS) de l’EPFL, ont reçu le 16 janvier dernier, le 30e Prix Roberval «Enseignement Supérieur» pour leur livre Mécanique des sols et des roches, publié aux Presses polytechniques et universitaires romandes en 2016. Jian Zhao, troisième co-auteur de l’ouvrage, est un ancien professeur de l’EPFL, actuellement à l’Université Monash, en Australie.
Le prix a été remis par Sébastien Candel, président de l’Académie française des sciences, à l’Institut national de France en la présence de 150 invités. Ce prix récompense la promotion et la diffusion de la science et des technologies en langue française. Il a eu comme précédents lauréats, des prix Nobel tels que Georges Charpak et Pierre-Gilles de Gennes.
Cet ouvrage est présenté dans la rubrique Bibliographiede ce numéro.
 

Dimitrios Terzis, doctorant au Laboratoire de mécanique des sols

EPFL,
dimitrios.terzis@epfl.ch
Tél. 021 693 53 98

Lyesse Laloui, professeur au Laboratoire de mécanique des sols
EPFL
lyesse.laloui@epfl.ch
Tél. 021 693 23 14