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12 décembre 2013 | Sécurité Environnement 03/2013 | Sécurité

La fin mondiale du retardateur de flamme

Grâce à de nombreux travaux de recherche, l’Institut Empa a contribué à ce que le retardateur de flamme HBCD (hexabromocyclododécane), incorporé dans le plastique, les composants électroniques et les textiles, et tout particulièrement dans les panneaux isolants, soit dorénavant intégré à la Convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants (POP).
Il est dorénavant interdit de produire ou d’utiliser le retardateur de flamme HBCD. C’est la décision prise fin mai par les représentants de plus de 160 pays, lors d’une conférence organisée sur les produits chimiques à Genève par l’ONU. La procédure, permettant d’identifier un polluant comme tel, puis d’expliquer ses effets nocifs et de l’interdire au niveau mondial, est fastidieuse. Norbert Heeb, chimiste du laboratoire de chimie analytique de l’Empa en sait quelque chose. Il a contribué à découvrir les structures exactes de l’HBCD (hexabromocyclododécane). L’observation précise de la substance a permis de déceler qu’elle était constituée, en réalité, de tout un groupe de connexions. Il a publié plusieurs études en collaboration avec les chercheurs de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ), de l’Institut fédéral pour l’Aménagement, l’Epuration et la Protection des Eaux (EAWAG) et de l’Université des Sciences appliquées de Zurich (ZHAW), qui déterminent la structure de l’HBCD, définissent quelles formes s’enrichissent dans l’environnement et peuvent être considérées comme des polluants organiques persistants (POP).
L’HBCD est utilisé dans le plastique, les textiles, les meubles, l’électronique et les matériaux isolants comme retardateur de flamme. Plus de 20’000 tonnes en étaient produites chaque année, dont la majeure partie destinée aux panneaux isolants en polystyrène servant à l’isolation des bâtiments. Chaque mètre cube de polystyrène extrudé contenait jusqu’à un kilogramme d’HBCD; des quantités conséquentes sommeillent donc dans les foyers suisses.
 
Les chercheurs de l’Empa ont produit des cristaux à partir d’un stéréoisomère décontaminé d’HBCD (image produite par microscope optique).

 

Des premiers soupçons à l’interdiction mondiale
Depuis longtemps, des soupçons fondés planaient sur le fait que l’HBCD était un poison écologique pour les poissons et les mammifères. Il est suffisamment liposoluble pour s’enrichir tout au long de la chaîne alimentaire. Il se désintègre si lentement dans l’environnement qu’il peut être transporté sur de grandes distances. Actuellement, l’HBCD est également détecté dans les régions arctiques. La mission des experts de l’ONU consistait à évaluer si l’HBCD correspond aux critères définis pour les POP par la Convention de Stockholm. Au-delà de la définition de structures chimiques, il s’agissait également de démontrer scientifiquement la dégradabilité (persistance), la bioaccumulation, le potentiel de transport à grande distance, ainsi que les effets nocifs de chaque stéréoisomère de l’HBCD.
Illuminés par des rayons X, les cristaux ont permis de définir les structures spatiales exactes de différents stéréoisomères HBCD. Voici par exemple, la structure de l’(+)alpha-HBCD, qui ne peut se décomposer que très difficilement dans l’environnement.

 

Une stéréochimie complexe
Les chercheuses et chercheurs de l’Empa et de l’EPFZ ont d’abord découvert que l’HBCD technique était en fait constitué d’un amalgame d’au moins huit stéréoisomères différents. Ceux-ci sont des substances ayant une structure chimique certes identique, mais qui se différencient par l’agencement spatial de leurs atomes. Six des huit stéréoisomères disposent d’images non superposables dans un miroir, c’est-à-dire qu’ils sont chiraux et sont l’un avec l’autre comme la main gauche et la main droite. En revanche, les images des deux autres stéréoisomères et leurs reflets dans un miroir sont identiques - on parle alors de composés méso: même si ce type de molécule possède des centres stéréogènes, il est toutefois achiral. Norbert Heeb et ses collègues en ont déduit, très tôt, que chaque stéréoisomère pouvait être différencié, non pas exclusivement en fonction de sa forme tridimensionnelle, mais aussi de sa toxicité et de son comportement environnemental - ce qui a été confirmé par d’autres groupes de recherche. Les travaux de l’Empa portant sur le polystyrène ignifugé ont également montré que l’HBCD se transformait déjà au cours du traitement des matériaux en produits dérivés jusqu’alors inconnus, potentiellement toxiques eux aussi.
Avec leurs collègues de l’EAWAG, les scientifiques de l’Empa ont aussi pu établir que l’HBCD se retrouvait les cours d’eau suisses et donc les poissons et sédiments, sans doute par transfert atmosphérique. Etant donné que les textiles, les tapis, les plastiques, ainsi que les appareils électroniques ignifugés sont utilisés avant tout à l’intérieur, il n’est pas étonnant de constater que l’HBCD apparait également dans la poussière domestique. L’homme absorbe de l’HBCD non seulement au contact de cette poussière, mais aussi à travers la consommation d’aliments d’origine animale riches en graisse. Une équipe organisée autour d’Andreas Gerecke, chercheur à l’Empa, a pu démontrer que la découpe de panneaux en polystyrène avec des fils chauffés libère de l’HBCD lié à de minuscules particules de plastique. Ces particules peuvent être inhalées, contribuant ainsi à une exposition plus élevée à l’HBCD.
 
Structures cristallines d’HBCD (-)alpha, (-)beta et (-)gamma (de haut en bas). Les formes d’HBCD alpha se décomposent particulièrement mal et s’enrichissent tout au long de la chaîne alimentaire.
 
Des éléments de preuve imparables: une culpabilité confirmée
Ces résultats fsont inalement sans équivoque: 30 ans après le début de sa production industrielle et de son utilisation planétaire, le comité d’experts de la Convention de Stockholm a référencé l’HBCD comme POP, franchissant ainsi la première étape en vue de son interdiction dans le monde entier. La décision, actée formellement le 9 mai 2013, entrera en vigueur après une phase de transition d’environ un an. Norbert Heeb déclare à ce propos: «Une fois de plus, nous devons chercher de meilleures alternatives. Et les nombreux bâtiments isolés avec des polystyrènes contenant de l’HBCD sont devenus une source de pollution héritée du passé, qui va induire des coûts de traitement élevés à l’avenir».
 
 
Empa
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