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03 septembre 2020 | Sécurité Environnement | Environnement

La relève des pailles à usage unique

Georges Pop

Une petite entreprise artisanale, basée à Yverdon-les-Bains, s’est lancée depuis la fin de l’année dernière dans la production de pailles réutilisables en roseau indigène. La matière première est issue de la Grande Cariçaie, le plus grand marais lacustre protégé du pays, situé sur la rive sud du lac de Neuchâtel. L’entreprise fait œuvre de pionnier en Suisse.
Infirmiers indépendants, Constance Denis et Laurent Schönmann ont la charge d’une dizaine de personnes souffrant de troubles psychosociaux. Afin de les occuper utilement, les deux soignants ont eu l’idée de leur proposer une activité à la fois écologique et sociale. C’est ainsi qu’est née la société Paille&CO, dans un atelier provisoirement installé dans la Maison des associations de la capitale du Nord vaudois, en attendant de trouver mieux. Il s’agit de la première entreprise à produire des pailles non jetables en Suisse, un marché en constante progression.
 
Les pailles de Paille&Co sont fabriquée à partir de la tige naturelle d’un roseau. Elles ont la particularité d’être par nature creuses et rigides ce qui permet de les transformer aisément en pailles pour boisson. (© Paille&Co)
 

Des roseaux issus d’une réserve naturelle

Les pailles sont fabriquées à partir de la tige naturelle d’un roseau. Elles ont la particularité d’être par nature creuses et rigides ce qui permet de les transformer aisément en paille pour boisson. Elles ne subissent aucun traitement et sont biodégradables. La paille en roseau peut être lavée au lave-vaisselle ou à la main à l’aide d’un goupillon. « Expérience faite, nos pailles peuvent supporter une bonne vingtaine de cycles de lavage », explique Laurent Schönmann, qui précise : « Pour les restaurateurs, les hôteliers ou les EMS, qui en utilisent une grande quantité, nous proposons un système de location. Il consiste à reprendre les pailles sales, pour les laver dans nos locaux, puis les remplacer par la même quantité. Notre nettoyage se fait à l’aide d’une solution à base de vinaigre blanc, qui s’est révélée très efficace. »
L’entreprise travaille en étroite collaboration avec l’Association de la Grande Cariçaie, à Cheseaux-Noréaz, qui fournit gratuitement les roseaux issus de l’entretien des marais. Ces roseaux sont coupés entre les mois de septembre et février afin de ne pas perturber les animaux, ni la végétation. La Grande Cariçaie occupe l’ensemble de la rive sud du lac de Neuchâtel. Elle abrite quelque 800 espèces végétales et 10’000 espèces animales, ce qui constitue le quart de la flore et de la faune recensées en Suisse. Elle réunit huit réserves naturelles réparties entre les cantons de Vaud, Fribourg et Neuchâtel, sur une surface de 3000 hectares.
« Notre équipe est très motivée », indique le cofondateur de Paille&Co qui précise : « Pour le moment, nous sommes encore en plein démarrage, nos clients sont surtout des hôteliers, des restaurateurs, des EMS et des particuliers de la région. Mais nous avons l’ambition de couvrir très vite une bonne partie du canton de Vaud, ainsi que tout le contour du lac de Neuchâtel ». Y a-t-il un risque de manquer de matière première ? « Non ! Pour le moment nous avons de quoi tenir une bonne année ».

 

La réserve naturelle de la Grande Cariçaie fournit gratuitement les roseaux issus de l’entretien des marais. Ces roseaux sont coupés entre les mois de septembre et février afin de ne pas perturber les animaux, ni la végétation. (© Grande Cariçaie)

 

Une menace pour la biodiversité et l’environnement
Concourir à la disparition des pailles en plastique à usage unique n’est pas un geste anodin pour la protection de l’environnement. Selon une étude de la revue américaine Science, huit millions de tonnes de débris plastiques sont déversées tous les ans dans les mers et les océans du globe, l’équivalent de 250 kilos par seconde. Au nombre de ces déchets, les pailles jetables constituent une part infime mais non négligeable : 500 millions de pailles sont utilisées chaque jour rien qu’aux États-Unis et plus d’un milliard dans le monde. Beaucoup finissent dans les poubelles, mais une quantité indénombrable achève sa course dans les cours d’eau, les océans et sur littoral. Les pailles font partie des dix objets en plastique les plus fréquemment retrouvés sur les rivages. Par leur composition et leur forme, elles menacent directement la biodiversité et contribuent à la pollution des sols et des cours d’eau.
Chaque semaine, chaque mois, de nouvelles villes, de nouveaux pays annoncent leur intention de bannir, à court ou moyen terme, l’usage des pailles à usage unique. C’est le cas, par exemple, du Canada, qui devrait franchir le pas en 2021. Dans ce pays, la recherche prépare d’ailleurs la transition : l’Université McGill, à Montréal, a récemment annoncé avoir mis au point une paille faite d’une nouvelle cellulose appelée « Cellophax », à base de végétaux. Selon les chercheurs qui l’ont mis au point, ce matériau a l’avantage de ne pas avoir le gout de papier détrempé. De plus, il pourrait servir à toute une gamme d’autres produits à usage unique comme des sacs d’épicerie.

 
Les pailles à usage unique menacent directement la biodiversité. Elles contribuent à la pollution des sols et des cours d’eau. Au Costa-Rica des sauveteurs soignent les tortues qui ont ingéré des pailles.
 
 

L’opération « Papaille » fait des adeptes
En Suisse, où aucune interdiction n’est en vue à l’échelle du pays, plus d’une centaine de cafetiers et restaurateurs romands s’affichent déjà sur la carte que publie « En Vert Et Contre Tout », un site Internet né en 2017 à Neuchâtel, dont l’objectif est de sensibiliser vendeurs et consommateurs aux thématiques de l’écologie et du développement durable. De Genève à Sion et de Bienne à Lausanne en passant par La Chaux-de-Fonds, tous ces restaurateurs ont un point commun : ils ont adhéré publiquement à l’opération « Papaille » lancée par le site pour renoncer à l’usage de pailles en plastique, soit en les remplaçant par des pailles durables ou biodégradables, soit en s’en passant complètement. « Et ce n’est là que la partie apparente ! », assure la fondatrice du site, la journaliste Leïla Rölli, qui précise : « De nombreux bars et cafés ont d’ores et déjà renoncé aux pailles jetables, sans pour autant s’inscrire sur notre site. Plusieurs festivals nous ont aussi rejoint, comme le Montreux Jazz Festival, le Paléo Festival à Nyon ou Festi’neuch ».


Un marché en expansion
Des pailles réutilisables ou compostables sont d’ailleurs déjà largement accessibles sur le marché romand. Des entreprises très actives sur le marché en ligne, telles que La Paille Verte, à Lucens (VD), Bio-Pailles, à Neuchâtel ou encore Okapaï, fondée par quatre étudiants de l’HES-SO de Fribourg, proposent, selon leur sélection, des pailles en acier, en verre, en bambou ou en blé naturel. « Mais il faut se méfier de certaines pailles mangeables importées d’Espagne qui contiennent des graisses animales. Le secteur est en pleine expansion, et certains cherchent uniquement à se faire de l’argent », relève Leïla Rölli.
L’entreprise Paille&Co de Constance Denis et Laurent Schönmann est, quant à elle, la seule, pour le moment, à produire intégralement en Suisse ses pailles réutilisables avec des végétaux indigènes. « Nos patients sont très heureux de ce travail, qu’ils peuvent accomplir dans notre petit atelier ou chez eux, ce qui est le cas actuellement dans le cadre de la lutte contre le coronavirus », souligne le cofondateur de la jeune entreprise.
 


Laurent Schönmann
Paille&Co
Quai de la Thièle 3
1400 Yverdon-les-Bains
info@pailleco.ch
Tél. 078 935 50 00

La Paille Verte
1522 Lucens (VD)
Tél. 078 662 45 81
info@lapailleverte.ch