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03 décembre 2013 | Sécurité Environnement 03/2013 | Environnement

Le dernier pirate

James Dettwiler

En fuite depuis des mois, recherché par Interpol, Paul Watson, fondateur de l’organisation de défense des océans Sea Shepherd n’a pas pour autant abandonné son combat. Cette année, dans le sanctuaire de l’Antarctique, lui et ses activistes ont mis en déroute les baleiniers japonais, qui n’ont pu pêcher que 10 % de leur quota autoattribué avec des pertes s’élevant à plusieurs millions de dollars. SECURITÉ et ENVIRONNEMENT a pu interroger Rebecca Jeanson, vice-présidente de la section Sea Shepherd Suisse.
Parler de Paul Watson, c’est un peu comme affronter une dissertation où le sujet serait: «Lorsqu’une action est moralement juste, la fin justifie-t-elle les moyens?». En ce qui concerne l’écologie et la transgression des règles internationales liées à la protection des animaux, cette question serait à poser à des dirigeants de certaines nations. En effet, pour certains pays, il devient difficile de lutter contre l’opinion publique mondiale et de justifier certains actes, qui sont directement encouragés pour des raisons commerciales.

Se dresser directement contre un Etat peut coûter cher, même pour des questions qui paraissent justes moralement. C’est exactement ce qui est arrivé au cofondateur et à l’ancien dirigeant de Greenpeace, Paul Watson, qui est également fondateur de l’organisation de défense des océans Sea Shepherd. Le 13 mai 2012, il est injustement arrêté en Allemagne, suite à une demande du Costa Rica pour une affaire d’affrontement en mer et de mise en danger d’un équipage de braconniers, remontant à 2002, alors que le Sea Shepherd se trouvait sur la zone à la demande du gouvernement équatorien. Malgré une libération sous caution et à défaut de mandat d’arrêt valable, il finit par fuir, car il redoutait qu’une extradition vers le Costa Rica ne le conduise directement dans les prisons japonaises, ce qui signerait son arrêt de mort à coup sûr. Pourtant, en trente-cinq ans, Sea Shepherd se vante de n’avoir jamais blessé, ni mis en péril personne, lors de ses opérations.
 
 
Une pêche dans un sanctuaire protégé
Mais où était Paul Watson en ce début d’année 2013? A bord de l’un de ses bateaux, le Steve Irwin, au milieu de l’océan Antarctique. Appuyé par une flottille composée de trois autres bateaux, d’un hélicoptère, de trois dromes et d’une centaine de volontaires de 24 nationalités, il a attendu de pied ferme les baleiniers japonais, estampés par «Research», qui ont un certain quota autoattribué de baleines à tuer. Pour rappel, ces artificieux nippons contournent le moratoire de 1986, interdisant toute pêche commerciale de la baleine. En effet, en vertu d’une tolérance de la Commission baleinière internationale (CBI) selon le fameux article 8, le Japon aimerait abattre 1000 baleines environ par année pour une chasse à des fins de recherche, même si la viande de ces animaux se retrouve finalement dans les marchés nippons ou les restaurants pour la consommation.
Cette année, la neuvième campagne des activistes du Sea Shepherd en faveur de la sauvegarde des baleines, baptisée Tolérance Zéro, a été jugée la plus fructueuse, mais aussi la plus dangereuse. En effet, ceux-ci ont empêché les cargos de ravitaillement d’atteindre les baleiniers, ce qui a poussé les Japonais à effectuer des manœuvres dangereuses, qui se sont soldées par des collisions spectaculaires, où les bateaux de Sea Shepherd ont eu d’énormes dégâts. Après leur action de harcèlement, les activistes se sont félicités d’avoir empêché les Japonais de chasser les espèces comme le petit rorqual ou le rorqual commun. Yoshimasa Hayashi, le ministre japonais de l’agriculture, des eaux et forêts, et de la pêche a déclaré: «C’est le nombre le plus bas de baleines pêchées depuis le début de la ‘’chasse baleinière scientifique’’ en 1987». Cent trois baleines de Minke ont été tuées et, avec certitude, aucune baleine à bosse ni aucun rorqual commun n’a été massacré. Ces chiffres incluent 50 mâles et 53 femelles. Les fœtus de 46 d’entre-elles ont été prélevés. Les Japonais n’ont pu pêcher que 10 % de leur quota. Les conséquences pour cette flotte baleinière sont des pertes s’élevant à plusieurs millions de dollars.
La prochaine campagne 2013-2014, appelée «opération sans répit», soit Operation Relentless, qui sera la dixième, commencera  en décembre 2013 pour se terminer au début de l’hiver austral. Un nouveau bateau viendra bientôt compléter la flotte pour de futures campagnes. Il a été nommé Sandoval, du nom de Jario Mora Sandoval, assassiné au Costa Rica 2013 alors qu’il essayait de sauver des tortues.
 
 
Des réactions à travers le monde
De nombreuses OGN lui reprochent ses actions qualifiées de violentes, car pour certains, c’est un camarade gênant, pour d’autres un dangereux terroriste ou encore un héros de l’écologie, tel que le Time Magazine l’a qualifié en 2000.
Les actions intentées contre Paul Watson, autant que son arrestation et son incarcération en Allemagne, ont généré de nombreuses réactions à travers le monde. De nombreuses personnalités soutiennent son action, telles que le dalaï-lama, les acteurs Sean Penn, Sean Connery, Martin Sheen, Pierce Brosnan, Daryl Hannah, les musiciens de Red Hot Chili Peppers, mais aussi, en France, les cinéastes Jacques Perrin et Mathieu Kassovitz. Terroriste ou héros, à 62 ans, Paul Watson est devenu une légende dans la lutte pour la protection des océans. Quoi qu’il arrive, sa retraite n’est pas pour tout de suite.
En exclusivité, SECURITÉ et ENVIRONNEMENTa pu interroger Rebecca Jeanson, Co-fondatrice et vice présidente de la section Sea Shepherd Suisse, une personne passionnée et dévouée pour la cause des animaux marins.
 
Pouvez-vous nous raconter quelques points forts de votre dernière campagne Tolérance Zéro?
Comme vous le précisiez, pour certains nos actions sont qualifiées de violentes ou extrémistes. Ces qualificatifs sont lancés sans raisons valables, et sans connaissances de cause. Je rappelle que nos actions sont non violentes et qu’en plus de 35 ans d’existence nous n’avons blessé personne. Nos actions sont légitimées par la Charte Mondiale de la Nature. En revanche, la flotte baleinière nippone est de plus en plus violente et agressive. Non seulement sa présence dans le sanctuaire de l’Antarctique est illégale, puisqu’elle détourne le moratoire de 86, en surfant sur un vide juridique, la recherche scientifique, mais en plus elle viole les traités de l’Antarctique, contrairement à Sea Shepherd, dont les actions sont légitimes. A plusieurs reprises, les navires japonais nous ont éperonnés, mettant en péril la vie de vingtaines de bénévoles. Des grenades du gouvernement japonais ont été lancées sur nos navires. Leur volonté de blesser est affirmée. Nous souhaitons juste faire respecter les lois internationales qui régissent ce sanctuaire, en l’absence de dispositifs coercitifs légaux. Il est clair que la véritable violence, ici, n’est pas exercée par une poignée d’écologistes bénévoles et leurs boules puantes, mais bel et bien par un arsenal illégal, armé et financièrement puissant qui fait couler le sang d’espèces protégées au sein même d’un sanctuaire. Toujours est-il qu’en dépit de ces agressions, cette campagne fut un grand succès, dont nous nous félicitons et qui, en plus, est reconnue par les autorités japonaises. Nous avons sauvé 932 baleines d’une mort atroce. La flotte baleinière n’est retournée à quai qu’avec à peine 10 % de son quota. Chaque année, les investissements des Japonais sont lourds et leurs bénéfices nuls, depuis que nous gardons et défendons le sanctuaire. Notre but est de couler économiquement leurs activités baleinières. Nous atteignons notre objectif et nous recommencerons cette année.
 
Vos actions sont reconnues pour être musclées. Pourquoi un tel acharnement à défendre les océans?
Les océans englobent les trois-quarts de la surface de la planète, constituant ainsi l’écosystème le plus essentiel pour l’ensemble du vivant. Pourtant, les Etats ne font rien pour faire appliquer les lois de protection des océans. Il y règne des zones de non droit, les eaux internationales où sévissent les pires crimes écologiques, tels que la surpêche, le braconnage ou le pillage des ressources. De plus, ces mêmes Etats cautionnent ces actes par leur négligence. Ainsi, des milliards de tonnes de poissons morts ou agonisants, toutes espèces confondues, sont rejetées à la mer tout simplement parce que les filets dérivants, ne tenant pas compte des quotas, ratissent tout sur leur passage. Les navires de pêche sont équipés de dispositifs technologiques qui ne laissent aucune chance aux bancs de poissons de s’échapper. La pêche est anarchique, le braconnage sévit partout, même dans les pays les plus pauvres, tels que l’Asie ou l’Afrique, privant ainsi des millions de personnes de nourriture, alors que celles-ci dépendent de ces ressources depuis des centaines d’années sans les tarir. Le monde occidental et asiatique ne se rend pas compte que sa consommation de poisson des mers est responsable de la plus grande catastrophe écologique, ayant des répercussions humanitaires fatales.
L’océan fournit 70 % de l’oxygène que nous respirons et pourtant il existe à peine 1 % d’aires marines et océaniques protégées. Le reste est livré en pâture à la loi du profit à court terme, au trafic illégal, au braconnage et au gaspillage.
Notre mission consiste donc, comme le cite notre capitaine Paul Watson, à naviguer en eaux troubles, pour protéger ceux qui sont sans défense de ceux qui sont sans scrupules. En plus de trente ans, vous avez tous constaté la motivation inébranlable de Paul Watson. Nous ne sommes pas prêts d’arrêter.
 
Durant les mois de juin et juillet, l’Australie, accompagnée de la Nouvelle-Zélande, a porté plainte, auprès de la Cour internationale de justice de la Haye, contre la chasse aux baleines que le Japon s’autorise chaque année dans le sanctuaire de l’océan Antarctique. Les juges vont délibérer sur ce sujet durant des mois avant de donner leur verdict. Si le Japon gagne, comment pensez-vous que le Sea Shepherd va orienter ses actions?
Je ne peux m’engager sur une décision non rendue. Une chose est sûre, c’est qu’un sanctuaire est un lieu de retraite qui ne peut être violé. De ce fait, nous continuerons à mettre un point d’honneur à ce que le sanctuaire ne soit pas violé tant qu’il reste un sanctuaire. Je rappelle que malgré les désignations non fondées d’écoterroriste, Sea Shepherd est un organisme de renfort des lois écologiques. Nous continuerons donc à veiller à ce que ces lois soient respectées.
 
En 2011, le Sea Shepherd et la Swiss Cetacean Society (SCS) ont demandé au Conseil fédéral, suite à une pétition, de quitter le camp des partisans du CBI pour la reprise de la chasse commerciale à la baleine. Actuellement, quelle est la position de la Suisse?
En effet, la Suisse est représentée par deux délégués à la Commission baleinière internationale (CBI), l’un venant du Département fédéral de l’économie, l’autre de l’Office vétérinaire fédéral. Lors de son intégration à la CBI, la Suisse s’était engagée à se positionner du côté des baleines. Nous ne comprenons donc pas pourquoi elle soutient un projet qui consiste à réglementer la chasse à la baleine par un dispositif de quotas. Le seul quota qu’elle devrait soutenir est le quota zéro. En tout cas c’est ce que pensent les 15’000 signataires de notre pétition conjointe avec la Swiss Cetacean Society et plus de 90 % des personnes sondées (sondage lematin.ch et Corriere del Ticino).
 
Existe-t-il une raison au vote de la Suisse en faveur de la pêche baleinière?
La délégation suisse à la CBI estime que trop de baleines ont été tuées depuis le moratoire de 1986. Elle estime donc que définir des quotas permettrait un meilleur contrôle des prises. Elle se plaît à rappeler que la CBI n’est pas un organisme de protection des baleines, mais un club de chasseurs. Le moratoire est juste un outil qui permet de laisser les populations de baleines se renflouer suite à une chasse excessive, qui a mené ces espèces à une quasi extinction, afin d’en reprendre l’exploitation en temps opportun. Seulement la délégation suisse à la CBI oublie plusieurs facteurs.
Le premier est que nous sommes en 2013. Ce moratoire a près de 30 ans et date du siècle dernier, le siècle du massacre. Nous sommes au XXIe siècle et plus personne n’a besoin de baleines pour se nourrir. Deuxièmement, si les Etats signataires du moratoire ne peuvent contrôler la violation de ce dernier, comment la Suisse peut-elle penser contrôler la gestion des quotas? Troisièmement, la majorité des Etats signataires du moratoire sont opposés à la reprise de l’exploitation baleinière. Si aujourd’hui il règne un statut quo à ce sujet, c’est tout simplement parce que le Japon a fait un travail de lobbying efficace pour obtenir les votes de pays initialement non présents à la CBI et en plus non côtiers, et qui ne devraient donc pas prendre part à ce débat. Les votes de ces pays faussent le jeu. La CBI est l’un des organismes les plus corrompu au monde. Et tout le monde se complaît dans cette mascarade. Quatrièmement, les scientifiques s’accordent sur le fait que les océans sont de plus en plus étroits pour les baleines, et que leur survie est menacée par le trafic maritime, la pollution agricole et industrielle, les collisions, les prises accidentelles, ainsi que la compétition avec les pêcheurs (dommage collatéral des activités de pêches industrielles et illégales)… La pression de la chasse ne ferait qu’accélérer leur déclin.
Si la délégation suisse était tant soucieuse de l’avenir des baleines, elle statuerait sur le renfort du moratoire, la création d’une police de contrôle efficace, ainsi que l’interdiction de la chasse scientifique et soutiendrait nos actions en Antarctique.
 
En 2012, vous avez assisté au «traditionnel» massacre annuel des globicéphales noirs dans les îles Féroé au Danemark. Quels étaient vos impressions et sentiments? Que faire pour arrêter cela?
Le Royaume du Danemark est responsable du massacre de mammifères marins le plus important et le plus sanguinaire. Voilà encore une convention de protection des espèces bafouée par le régime des objections. Le Danemark est signataire de la Convention de Berne, qui protège la faune et la flore sauvage européenne et dont le globicéphale noir est indexé en tant qu’espèce protégée. Seulement le Danemark a émis une objection pour les Iles Féroé et le Groenland. La signature du Danemark à la Convention de Berne n’est qu’une supercherie. Paul Watson a cité : «Hamlet nous dit qu’il y a quelque chose de pourri au Royaume du Danemark, aujourd’hui on sait ce qu’il y a de pourri, ce sont les Iles Féroé». J’ai vu de mes propres yeux, lors de cette campagne, des corps de dauphins entiers et éventrés dériver vers les océans. Nous avons découvert le cimetière de globicéphales où des individus de tous âges se décomposaient. Les Iles Féroé revendiquent ce massacre au nom de la tradition, le Danemark ferme les yeux et ponctue sur le caractère soi-disant biologiquement durable. Il n’y a rien de durable à éventrer des femelles pour en extraire un fœtus et jeter le petit corps ensuite dans une poubelle.
Les Féringiens nous disent que nous mangeons bien des vaches. L’industrie de la viande est liée à l’effondrement des écosystèmes planétaires et à la surpêche par l’utilisation de farine animale, sans oublier l’absence d’éthique. Cependant, lorsqu’on exploite une espèce sauvage, quand le dernier individu de cette espèce aura disparu, il sera alors impossible de retourner en arrière. L’extinction est radicale et définitive. Une espèce met des millions d’années à se développer, à évoluer et il nous faut quelques décennies pour l’anéantir.
Pour mettre un terme à cela, il faut forcer le Danemark à supprimer cette objection à la Convention de Berne. Sea Shepherd a été quatre fois sur le terrain. A chaque fois que nous sommes présents, les Féringiens ne tuent aucun globicéphale. Donnez-nous les moyens de marquer une présence permanente aux saisons les plus favorables pour cette chasse. Nous venons de lancer l’Operation Grind Stop 2014.
 
Comment faire pour devenir membre du Sea Shepherd Suisse et comment devenir volontaire pour aller mener une action dans l’océan Austral?
Toutes ces campagnes en mer, ne pourraient être possibles sans l’énergie et la passion des volontaires au sol. Nous recherchons donc des volontaires pour rejoindre ou créer un groupe cantonal, afin d’organiser des événements, des stands ou des collectes de fonds. Pour ce faire, il suffit d’être à jour de sa cotisation annuelle et de postuler depuis notre site www.seashepherd.ch.
Pour rejoindre les campagnes en mer de Sea Shepherd, il faut directement postuler sur le lien suivant : http://www.seashepherd.org.au/get-involved/crewing-at-sea.html. Les places à bord des bateaux sont limitées, mais il existe bien des façons d’aider à terre.
 
Quel est votre message personnel le plus important que vous désirez faire passer.
La Suisse est un pays non côtier, par conséquent, on ne devrait retrouver aucun poisson des mers dans les étales de nos magasins. Les labels ou autres indicateurs de bonnes consciences, ne sont que des bombes à retardement, qui font juste gagner un peu de temps. Il faut arrêter de manger le poisson des mers. Les espèces sont consommées avant de pouvoir se reproduire et les océans se vident. Trouvez-vous normal de consommer du thon à Lausanne, alors que ce dernier vient des Philippines où des petites filles de huit ans se prostituent pour se nourrir? L’effondrement des stocks de poissons de l’Atlantique Nord pousse les pêcheurs européens à ratisser au large de l’Afrique occidentale, obligeant les pêcheurs artisanaux à chasser dans les forêts pour se nourrir de viande de brousse, bonobos, chimpanzés… De l’exploitation des océans et de notre régime alimentaire découlent de nombreux dommages collatéraux, qui pourtant nous révoltent. Nous pouvons tous changer les choses en décidant de ce que nous mettons dans nos assiettes.
Pour tous ceux qui estiment que nous ferions mieux de nous préoccuper de l’être humain, il me semble que c’est ce que nous faisons indirectement en défendant les océans. Tout le monde peut agir en adaptant sa consommation alimentaire, ce qui peut être aussi bénéfique que d’envoyer un SMS pour lutter contre la faim dans le monde. Comme le mentionne Paul Watson: «Si nous ne pouvons sauver les baleines, nous ne sauverons pas les océans, si nous ne pouvons pas sauver les océans, nous mourrons».