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27 décembre 2022 | Sécurité Environnement 06/2022 | Environnement

L’économie circulaire pour les nuls

Henri Klunge. Ingénieur en chimie HES. Fondateur d’Alcane Conseils

L’objectif de l’économie circulaire est de réduire au minimum l’utilisation de matériaux et d’énergie pour fabriquer des biens et des services.

La conception d’un produit « circulaire » suppose que les différents composants qui le composent puissent rester dans le cycle, par exemple grâce à une conception modulaire permettant de les démonter facilement ou par l’absence de substances chimiques ne se prêtant pas au recyclage. En même temps, il s’agit d’optimiser la durée de vie des produits et d’éviter autant que possible les déchets. Si toutefois il s’en produit, ils sont – par voie de collecte, séparation, traitement et valorisation de matière ou thermique – transformés en matières premières secondaires de qualité pour être réutilisés ou recyclés. Notre système économique s’est bâti sur une chaîne de valeurs linéaire qui fonctionne selon le principe suivant : nous prélevons des ressources et nous les transformons en usine, puis nous utilisons cette ressource modifiée avant de l’éliminer. Depuis quelques années, nous encourageons le recyclage, quand cela est possible. Remettre le produit dans le circuit est un pas dans la bonne direction, mais il ne répond pas encore à la définition de « l’économie circulaire ». Pourquoi ? L’économie circulaire est plus que du recyclage. Elle se base sur la méthode dite des « 5 R » – le nombre de « R » ayant tendance à augmenter au fur et à mesure de l’extension du principe d’économie circulaire.

L’économie linéaire et l’obsolescence programmée

L’économie linéaire, contrairement à l’économie circulaire, ne prend pas en compte la gestion du matériel une fois qu’il arrive en bout de course. Elle entraîne ainsi un grand biais dans la chaîne de valeurs. En effet, puisque le traitement du produit une fois jeté ne coûte rien, ni au producteur ni au consommateur (qui ne voit pas réellement le coût de son élimination dans ses impôts), l’impression est donnée que la gestion du produit en fin de vie n’est pas un problème. Surtout, rien n’encourage le producteur à produire du matériel ayant une bonne longévité, sachant que plus un produit dure, moins on en achètera de nouveaux.

L’achat d’une bonne conscience par le recyclage

Pour les particuliers, le recyclage est trop souvent compris abusivement comme synonyme de tri des déchets, ce qui est bien loin de l’économie circulaire. Nous sommes prêts à parier que vous, lecteur, dites recycler, alors que vous vous contentez de trier vos déchets qui sont ramassés devant votre porte ou conduits à la déchetterie la plus proche. Mais vous inquiétez-vous de savoir ce qui se passe réellement avec ces déchets ? Sûrement pas. Pourtant comme nous allons le voir, le recyclage des déchets ménagers, à l’instar de ceux de l’industrie, n’est pas encore la panacée. L’industrie recycle, elle aussi, ses déchets. C’est-à-dire qu’elle mandate quelqu’un qui devra les traiter d’une manière respectueuse de l’environnement. En règle générale, le recyclage signifie que le produit en fin de vie sera éventuellement décortiqué à grands frais pour en extraire ce qui peut être récupéré. Le reste étant brûlé et la chaleur récupérée pour un chauffage à distance ou pour alimenter le four d’une cimenterie (ce que nous appelons communément la revalorisation thermique). Parfois, les filières de recyclage sont lointaines, hors d’Europe, et l’énergie nécessaire pour permettre de traiter un déchet est énorme, ce qui rend le processus beaucoup moins intéressant du point de vue du bilan carbone, mais aussi financièrement. C’est d’ailleurs pour cela que le recyclage coûte si cher. Et c’est là que l’économie circulaire montre son intérêt. Les cinq règles de l’économie circulaire L’économie circulaire doit être vue sous deux angles : celui du consommateur et celui de l’industriel. Il est habituel de parler d’économie circulaire en termes de déchets et de consommation, car à l’échelle de l’individu, notre pouvoir d’action ne se situe que dans ces deux domaines. Dès lors, nous parlons généralement de la règle des 5R (Réfléchir, Refuser, Réparer, Réutiliser, Recycler), même s’il est courant de voir d’autres « R » apparaître, tels que « Redisign » (refonte), Réduire ou Rendre à la terre.

Le principe de base consiste donc à réfléchir avant d’acheter un produit, afin de s’assurer que nous en avons réellement besoin. Peut-être est-il possible de l’emprunter ou de le louer, surtout si nous nous en servons que ponctuellement. Dès lors, il faut renoncer à acheter un produit qui n’est pas absolument nécessaire. Une fois un produit usé, il est préférable de le réparer que d’en racheter un neuf (ressemeler une chaussure, recoudre un bouton réparer l’écran de son smartphone, etc.). Si la réparation n’est pas possible, il faut alors faire preuve d’imagination et le réutiliser sous une autre forme (faire de ses vieux habits des torchons, de ses vieilles chaussures des pots de fleurs, etc.). Ce n’est qu’en dernier recours qu’il faut recycler ou remanufacturer. On perçoit ici le véritable sens du terme « recyclage », qui demande un nouveau processus de transformation du produit.

Le secret de l’écoconception

Passons maintenant à ce que l’industrie peut faire. Bien sûr, la réflexion que tout un chacun peut mener avec les 5R de l’économie circulaire est applicable à l’industrie. Elle a cependant un autre bras de levier important. Nous avons vu dans les R supplémentaires, le terme de « Redesign ». Il s’agit d’un terme primordial pour l’industrie. En effet, il faut parfois repenser la conception d’un produit pour le faire entrer dans l’économie circulaire. Il faut, en fait, penser au cycle de vie complet du produit déjà lors de sa conception. Prévoir comment réparer simplement un produit fait partie de cette réflexion. Le rendre le plus solide possible, et surtout prévoir le moment où il devra être démonté pour que chacun de ses composants puisse être séparé des autres facilement et réutilisé d’une autre manière. Une nouvelle chaîne de valeur Comme nous venons de le voir, pour qu’un produit s’inscrive dans un principe d’économie circulaire, son cycle de vie doit être pensé dès le début de sa conception. Dans son design, mais aussi dans le choix des matières premières utilisées. À ce propos, la matière première doit-elle impérativement provenir d’un produit neuf ? Certaines entreprises ont décidé de fabriquer leurs produits à partir de matières premières usagées. À l’exemple des entreprises Freitag, qui produit des sacs à base de bâches de camions, reversible eco design, qui fait de tout à partir de n’importe quel matériau ou Ecoalf, qui fait des habits à base de bouteilles de PET. Si l’on fabrique des machines de chantiers, l’huile servant à lubrifier les pièces doit-elle être propre et immaculée ou simplement avoir une certaine viscosité pour ne pas chauffer trop vite avec le frottement et risquer de couler ? Si l’on nettoie des appareils avec un solvant, peut-il être un mélange de solvants ? Le conditionnement aussi doit être pensé Au moment de conditionner un produit, pourquoi ne pas choisir un matériau qui soit réutilisable, compostable ou se recycle facilement ? Il s’agit ici de penser à tous les cas de figure, mais surtout au cas, trop fréquent, où un emballage se retrouve dans la nature. Il est important que cet emballage se dégrade au plus vite. Il faut aussi avoir en tête que chaque gramme de matière utilisée pour emballer est un gramme de matière à faible valeur ajoutée. Mieux vaut opter pour un emballage le plus simple comportant le moins de matière possible. Et pourquoi pas réutilisable ? Une entreprise de textile pourrait employer ses chutes comme emballage. Privilégiez les cartons recyclés avec le minimum de papier bulle à l’intérieur. Tentez de grouper les commandes pour un même client.

L’importance de la réparation

Si une entreprise veut être performante dans l’économie circulaire, elle doit songer à la réparation de ses produits. Cela a sans doute un coût, mais il peut être compensé par l’apport de nouveaux clients. Les exemples sont nombreux d’entreprises offrant un important service de réparation et qui ont vu leur clientèle augmenter. Dans le textile, les sociétés Mammut, mais surtout Patagonia, sont de bons exemples. Cette dernière propose même des ateliers où elle répare des produits d’autres marques. Dans l’électronique, Seb garantit la fourniture de pièces de rechange et un support technique durant 10 ans sur tous ses produits. Fairphone vend toutes les pièces de son smartphone séparément et fournit les instructions pour les changer soi-même. Dans le mobilier, Ikea propose gratuitement plusieurs pièces de rechange pour ses meubles, au cas où elles se casseraient ou se perdraient durant un déménagement. Lors d’une réparation, seule une petite quantité de ressources est nécessaire par rapport à une production à neuf.

Et la fin de vie du produit ?

Il est certain que chaque produit arrive un jour ou l’autre en fin de vie. À ce stade, pourquoi l’entreprise l’ayant créé ne se chargerait-elle pas de l’éliminer ? Si la conception de départ a été bien faite, il doit être possible de séparer facilement les différentes pièces, certaines pouvant être réutilisées directement, d’autres pouvant nécessiter une remanufacture, le recyclage pouvant s’effectuer au sein même de l’entreprise. Le reste peut servir de matière première à une autre usine ou être injecté dans une filière de recyclage appropriée.

Et les sous-produits de production ?

Une fabrique génère souvent des sous-produits, qui sont généralement traités dans des usines spécialisées. Nous sommes ici en plein dans le cycle de l’économie circulaire. Si nous reprenons le paragraphe sur les matières premières, nous voyons que nous parlons de mélanges, de solvants, d’huiles… Toutes ces matières sont souvent des sous-produits (évitons de parler de déchets) de fabrication. Ne vaudrait-il donc pas la peine de réfléchir à la façon de valoriser les sous-produits ? Ils sont sûrement utiles à quelqu’un d’autre, qui serait ravi de pouvoir les utiliser. Actuellement, nous payons trois fois pour nos déchets : une fois quand on achète cette matière que l’on n’utilisera pas, une fois quand on la transforme pour ne pas l’utiliser et finalement une nouvelle fois pour s’en débarrasser.

Prenons l’exemple d’une orange. On l’achète au poids et on paye donc aussi pour la peau. Il faut l’éplucher, ce qui fait perdre du temps. Il faudra ensuite payer pour composter cette peau. En entrant dans l’économie circulaire, les sous-produits de fabrication sans valeur peuvent être prise en charge par une usine qui les utilisera, plutôt que de devoir prélever de nouvelles ressource. Et cette fin peut constituer un nouveau départ.