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05 décembre 2019 | Sécurité Environnement 03/2019 | Sécurité

Traque et prévention des astéroïdes géocroiseurs

Georges Pop

La NASA poursuit à un rythme soutenu la préparation de la mission DART (Double Asteroid Redirection Test) dont le but est de vérifier l’efficacité d’un satellite impacteur pour dérouter un astéroïde géocroiseur susceptible de menacer la Terre. Le lancement de l’engin est prévu vers le début de l’an 2021. Il devrait frapper sa cible, l’astéroïde binaire Didymos, une année plus tard, première étape vers la mise en place d’une défense planétaire. Mais la sécurité de la planète passe aussi par la traque, souvent jugée ingrate, des astéroïdes potentiellement menaçants.
Le samedi 10 août dernier, vers 9 heures et demie, heure suisse, l’astéroïde QQ23 a croisé le proche voisinage de la Terre, à une distance de 7,5 millions de kilomètres, presque vingt fois la distance entre notre planète et la Lune. Découverte en 2006, cette grosse masse rocheuse de 560 m de diamètre était surveillée de près et son passage n’a inspiré aucune alarme. On ne peut pas en dire autant de 2019 OK qui a frôlé la Terre le 25 juillet. D’un diamètre d’une centaine de mètres, ce petit astéroïde est pratiquement passé inaperçu. Il a «caressé» la surface de notre planète a seulement 77’000 km de distance occasionnant étonnement et branle-bas dans le milieu astronomique. En se désintégrant dans l’atmosphère, un bloc rocheux de cette taille aurait libéré 30 fois l’énergie de la bombe d’Hiroshima.

 
DART doit frapper l’astéroïde Didymos B en octobre 2022. Les conséquences de l’impact seront observées par le mini-satellite LICIACube puis évaluées par des observatoires au sol. (© APL)
 



Un danger longtemps négligé
Il n’y a pas si longtemps, les dangers que font courir les géocroiseurs à l’humanité étaient toisés avec mépris et ironie par nombre de scientifiques qui les jugeaient dérisoires. Cette attitude dédaigneuse était qualifiée de «facteur gloussement» par les experts les plus clairvoyants. L’ultime cercle d’incrédules a sans doute été converti le 15 février 2013, lorsqu’un météore d’à peine 20 m de diamètre et dont la masse est estimée 10’000 t a explosé à quelque de 20 km d’altitude au-dessus de la ville russe de Tcheliabinsk. Le souffle brûlant de la déflagration a été ressenti à plus de 60 km à la ronde et plus de mille personnes ont été blessées par les éclats des indénombrables vitres qui ont été réduites en miettes.
Cet épisode était dans toutes les mémoires en mai dernier à Washington où  près de 300 astronomes, scientifiques, ingénieurs et experts ont planché sur un scénario catastrophe présageant un possible impact avec un astéroïde de 100 à 300 m de diamètre filant à 14 km/s, repéré à 57 millions de kilomètres de la Terre. Les solutions proposées sont restées largement théoriques en attendant notamment les résultats de la mission DART.
 
Conçu par l’APL de l’Université Johns Opkins, l’impacteur DART est d’une conception plutôt rustique et emporte un minimum d’instruments. On le voit ici avec ses panneaux solaires repliés dans un cylindre latéral. (© APL)
 
 

Un impact planifié pour 2022
Le projet DART a été validé par la NASA en juin 2017. Le lancement, prévu à la fin de l’année prochaine ou au tout début de la suivante, a été adjugé pour la somme de 61 millions de dollars à l’entreprise SpaceX. La fusée Falcon 9 placera l’impacteur DART sur une orbite haute avant que l’engin d’une demi-tonne n’actionne son moteur ionique pour rejoindre une trajectoire héliocentrique. Cette phase est censée durer plus d’une année pour permettre au satellite d’étalonner ses instruments, repérer sa cible et se mettre en position pour la percuter. L’impact devrait avoir lieu en octobre 2022 à une vitesse relative de 6 km/s. Initialement, il était prévu de confier les mesures postérieures à cette collision à un satellite élaboré par l’ESA mais les Européens y ont renoncé, faute de crédits. Ce sont finalement des observatoires au sol qui apprécieront les effets du choc.
L’astéroïde géocroiseur (65803) Didymos (jumeau en grec) n’a évidemment pas été choisi au hasard. Non seulement il est potentiellement dangereux à terme, mais il est surtout facilement accessible depuis la Terre. De plus, il s’agit d’un système binaire: le bloc principal a un diamètre estimé de 750 m et son compagnon, Dydimos B, informellement baptisé Dydimoon, de 170 m. Le plus petit – celui qui sera ciblé – tourne autour du plus gros à une distance de 1,2 km en 12 heures. Les observateurs auront ainsi deux points de référence pour jauger les conséquences de l’impact qui, selon les initiateurs de la mission, seront «faibles».
 
Le Jurassien Michel Ory (ici devant l’observatoire de Vicques) a à son actif la découverte de 200 astéroïdes dont cinq géocroiseurs. (© RTS)
 
 

Un Suisse virtuose de la traque aux astéroïdes
Sans être impliqué dans le projet DART, le Suisse Michel Ory sera sans-doute très curieux, le moment venu, d’en connaitre les résultats. Ce Jurassien de 53 ans, professeur de physique à Porrentruy, s’est fait une réputation internationale comme traqueur d’astéroïdes et de comètes. Son tableau de chasse dans la catégorie «amateur» est stupéfiant: 200 astéroïdes dont cinq géocroiseurs ont été répertoriés grâce à lui et il est l’un des cinq lauréats du prix Edgar-Wilson 2009 pour sa découverte de la comète périodique 304P/Ory qui porte son nom.
«À part la NASA, la communauté astronomique se désintéresse quasi-unanimement des astéroïdes. C’est pourquoi le réseau des astronomes amateurs a joué et joue encore un rôle très important dans la traque et surtout le suivi de ces objets. Actuellement 800’000 astéroïdes de toutes les tailles ont été identifiés. Sur ce nombre, 2000 sont des géocroiseurs. Si les objets de plus de 1 km sont connus, il en reste beaucoup à repérer parmi ceux autour de 100 m et un nombre incalculable dans la catégorie des 10 m. On peut être surpris à tout moment, comme en juillet dernier», explique-t-il. En clair, rien ne sert de se préparer à la technique des impacts préventifs si personne ne voit venir la menace. C’est pourquoi, pour Michel Ory et ses pairs à travers le monde, «la traque continue !»
 
Un télescope jurassien sur un sommet de l’Atlas
Infatigable scrutateur du ciel depuis 2001, le Jurassien et l’ingénieure française Claudine Rinner ont installé en 2008 un télescope de 50 cm de diamètre sur une éminence de l’Atlas, au Maroc, un site aménagé par l’Université Cadi Ayyad. Loin de toute pollution lumineuse, à 2700 m d’altitude, dans cette région semi-désertique, les conditions d’observation sont optimales pour la chasse aux astéroïdes. «Nous avons trouvé quelques algorithmes bien utiles et je peux observer le ciel depuis ici, sur mes écrans sans avoir à me déplacer. Mais je vais au Maroc une fois par année», explique Michel Ory.
Au moment de conclure, il lâche encore, avec un large sourire:«Ce serait bien si vous pouviez écrire que je viens de sortir un livre qui s’appelle ‘Chasseur d’astéroïdes’ illustré par le dessinateur Pitch…»
Voilà qui est fait !
 
À propos de l’impacteur DART
La conception de l’impacteur DART a été confiée au Laboratoire de Physique Appliquée (APL) de l’Université Johns-Hopkins. La structure principale de l’engin, qui pèse une demi-tonne, est un caisson mesurant 1,2 x 1,3 x 1,3 m. Doté d’un moteur ionique, la sonde possède deux grands panneaux solaires qui, une fois pleinement déployés, mesurent chacun 8,5 m de long. Sa caméra haute résolution est dérivée de celle utilisée lors de la mission New Horizons. Elle doit permettre le ciblage de l’astéroïde ainsi que la détermination du lieu de l’impact. DART emporte un mini-satellite, le LICIACube(Light Italian Cubesat for Imaging of Asteroids), conçu par l’Agence spatiale italienne (ASI). Il sera éjecté deux jours avant l’impact pour saisir les images de la collision, du nuage d’éjecta qui en résultera, et éventuellement le cratère d’impact à la surface de Didymos B.
 
 
NASA Planetary Defence

www.nasa.gov/planetarydefense/dart
 
Michel Ory
The Oukaïmeden Observatory (Maroc)
pivatte@bluewin.ch