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26 mars 2012 | Sécurité Environnement 02/2012 | Environnement

Un satellite pour en désorbiter un autre

Sandro Buss

Le Swiss Space Center de l’EPFL a lancé le projet CleanSpace One, visant à développer et construire le premier représentant d’une famille de satellites destinés au nettoyage des débris polluant l’espace. Mission, en 2016 ou 2017: trouver l’un des CubeSats lancés par la Suisse en 2009, l’arrimer et le mener dans les premières couches de l’atmosphère pour une désintégration conjointe.

Voici un projet porteur qui saura passionner les étudiants. Et les sensibiliser aux déchets qui gravitent autour de la Terre. L’EPFL a lancé une première étape vers des satellites éboueurs de l’espace, qui seront produits à terme par des PME, comme l’a confié Volker Gass, directeur du Swiss Space Center.
 
 
L’espace poubelle
«Quand on flotte dans l’espace on a l’impression d’une grande beauté et d’une grande propreté. Mais cette impression est trompeuse», explique Claude Nicollier, astronaute et professeur à l’EPFL.
Les débris anthropiques qui jonchent l’espace se concentrent là où circulent les satellites: aux orbites héliosysnchrone, entre 600 et 2000 km, et géostationnaire, à 36’000 km. On les répertorie selon leur taille: des centaines de milliers, voire des millions, dont 600’000 de plus d’un centimètre et quelque 16’000 de plus de 10 cm, répertoriés et suivis depuis des radars au sol, tous issus de l’activité humaine en orbite terrestre. 
Il s’agit de morceaux d’étages de fusées, de satellites abandonnés, de cellules solaires, d’éclats de peinture et même de carburant solidifié par le froid interplanétaire.  Il n’existe pour l’heure aucun satellite dont on ait pris en compte la fin de son cycle de vie. «La plupart des débris proviennent de satellites qui ne sont plus en fonction, typiquement quand ils n’ont plus d’énergie et que leurs panneaux solaires ou leurs batteries ne marchent plus. Quand ils entrent en collision entre eux ou avec d’autres débris, cela crée encore plus de nouveaux débris», explique Claude Nicollier. Comme en février 2009, lorsque deux satellites de communication américain et russe se sont carambolés.
La communauté spatiale internationale admet que la situation devient critique. Depuis Spoutnik 1 en 1957, l’homme a placé plus de 6000 satellites en orbite au-dessus de sa tête. Mais seuls quelque 800 sont encore opérationnels aujourd’hui, 200 ont explosé en vol et on en lance une centaine de nouveaux chaque année. Du plus petit au plus grand, chaque morceau, qui orbite entre 25 et 35’000 km/h, ne se désintégrera par lui-même, en entrant dans l’atmosphère, que dans des dizaines ou des centaines d’années. 
 
 
CleanSpace One à la poursuite de sa cible, l’un des CubeSats lancés par la Suisse en 2009 (Swisscube-1) ou 2010 (TIsat-1).
 
 
 
 
 

Juste avant d’atteindre sa cible, CleanSpace One déploie son mécanisme de préhension bio-inspiré.
 
 
 
 
 

Fermement attaché au débris à éliminer, CleanSpace One s’apprête à mettre en route son système de propulsion afin de se diriger vers l’atmosphère terrestre. Les deux satellites seront brûlés durant la descente.
 
 

Si ces débris ne sont qu’une menace résiduelle pour les Terriens (seuls certains énormes déchets traversent l’atmosphère sans être totalement brûlés au contact des molécules d’air), ils représentent une réelle menace pour les missions spatiales et les satellites eux-mêmes. «En moyenne, nous devions changer la trajectoire des navettes spatiales, une fois par mission pour éviter un accident», précise Claude Nicollier.
En 2006, la NASA, qui surveille la trajectoire des plus gros débris, a publié une étude montrant que l’on n’est pas loin d’avoir atteint un point de non-retour. Il est désormais admis qu’à partir de 2020, il va falloir éliminer cinq à quinze gros débris chaque année, sous peine de voir la situation échapper à tout contrôle.
Des son côté, l’Institut d’astronomie de l’Université de Berne a mené ces dix dernières années, en étroite collaboration avec l’ESA (Agence spatiale européenne), des études sur les débris spatiaux. Forte de cinq personnes, l’équipe suisse utilise des télescopes optiques installés à Tenerife et à Zimmerwald (près de Berne), pour rechercher et surveiller des débris volant principalement sur les orbites géostationnaires.
 
Photo - CC

 
Une première
Si les Chinois ont, en 2007, fait exploser un de leurs satellites météorologiques en lui envoyant une roquette, la démarche ne convainc pas, puisque l’explosion a généré des milliers de nouveaux débris. L’EPFL, par contre, tentera, pour la première fois, de faire disparaître sans traces, soit le picosatellite Swisscube, mis en orbite en 2009, soit son «cousin» tessinois TIsat, lancé en juillet 2010.
Trois défis de taille attendent ce premier nettoyeur spatial. Chacun d’entre eux implique un développement technologique qui pourra, par la suite, être appliqué à d’autres dispositifs. Après son lancement, il s’agira d’abord, pour le satellite, d’adapter sa trajectoire afin de rejoindre l’orbite de sa cible. Il pourrait pour cela utiliser un nouveau type de moteur destiné à l’espace, ultracompact, également en développement dans les laboratoires de l’EPFL.
Lorsqu’il sera parvenu à proximité de son objectif, qui fonce à 28’000 km/h et à 630 ou 750 km d’altitude, CleanSpace One le saisira et le stabilisera – une mission particulièrement délicate à ces vitesses, surtout si le satellite à éliminer est en rotation. Pour l’accomplir, les scientifiques envisagent de développer un mécanisme de préhension dont le fonctionnement s’inspirerait du monde animal ou végétal.
Enfin, couplé au satellite à désorbiter, CleanSpace One devra prendre la direction de l’atmosphère terrestre, où les deux satellites seront brûlés. Même si ce premier exemplaire sera détruit, l’aventure de CleanSpace One ne sera pas unique. «Nous voulons proposer et commercialiser une famille de systèmes clés en mains, conçus dans un souci de durabilité et adaptés à plusieurs types de satellites à désorbiter», explique Volker Gass. «De plus en plus, les agences spatiales devront prendre en considération et préparer l’élimination de ce qu’ils envoient dans l’espace. Nous voulons faire œuvre de pionnier.»