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07 march 2016 | La Revue POLYTECHNIQUE 01/2016 | Astrophysics

À la recherche des ondes gravitationnelles

Michel Giannoni

Il y a près d’un siècle qu’Albert Einstein avait prédit l’existence des ondes gravitationnelles. La sonde spatiale LISA Pathfinder, qui a été lancée le 2 décembre dernier, emporte à son bord une technologie de pointe, mise au point par l’EPFZ et l’Université de Zurich, afin de tester l’électronique de commande nécessaire à la mission eLISA qui, à partir de 2034, devra tenter de détecter ces ondes.
Prédites il y a près d’un siècle par Albert Einstein dans sa théorie de la relativité générale, les ondes gravitationnelles – des oscillations de la courbure de l’espace-temps - sont générées par des événements cosmiques à très haute énergie, comme des explosions stellaires, des étoiles à neutrons ou des trous noirs. Malgré les efforts considérables fournis par les scientifiques, ceux-ci ne sont, jusqu’à aujourd’hui, pas parvenus à prouver par voie d’expérience, l’existence de telles ondes.
 
Les composants de la sonde spatiale LISA Pathfinder.
(Graphique: ESA/ATG medialab)
 
Qu’est-ce qu’une onde gravitationnelle ?
Selon la théorie de la relativité générale établie par Einstein en 1915, la gravité provient de la courbure de l’espace-temps, provoquée par la présence d’objets possédant une masse. Lorsque de tels objets se déplacent dans l’espace-temps, ils peuvent produire une perturbation qui se propage de manière analogue à des ondes électromagnétiques. On appelle «onde gravitationnelle» ce type de perturbation.
Tout comme l’accélération de particules chargées produit des ondes électromagnétiques, l’accélération de particules possédant une masse produit des ondes gravitationnelles. Les théories de gravité quantique postulent l’existence d’un quantum correspondant, appelé graviton, par analogie avec l’électrodynamique quantique dans laquelle le vecteur de la force électromagnétique est le photon.
Avec une fréquence située dans le domaine audible, les ondes gravitationnelles constituent non seulement la bande son de l’Univers, mais elles pourraient également fournir des indications sur des phénomènes encore inexpliqués, tels le Big Bang ou la genèse des trous noirs.
 
La sonde LISA Pathfinder et la mission eLISA
La sonde spatiale LISA Pathfinder de l’Agence spatiale européenne (ESA) a été mise au point afin de tester, durant 12 mois, des technologies de mesure qui seront mises en œuvre lors de la mission eLISA (evolved Laser Interferometer Space Antenna). L’astronomie gravitationnelle étant l’un des thèmes majeurs d’étude de l’ESA pour les deux prochaines décennies, la mission eLISA, qui devrait débuter en 2034, a pour objectif d’envoyer dans l’espace trois satellites équipés de lasers, destinés à ouvrir une nouvelle fenêtre d’observation sur les ondes gravitationnelles.
 
Le déroulement de la mission LISA Pathfinder
La sonde spatiale LISA Pathfinder a été lancée le 2 décembre 2015 sur une orbite légèrement elliptique, depuis la base spatiale européenne de Kourou, en Guyane française. À l’aide de son propre module de propulsion et durant deux semaines, l’engin a suivi une orbite terrestre, qui s’agrandit progressivement jusqu’à ce que le satellite entame son voyage de deux mois à destination de son orbite opérationnelle.
À ce moment-là, LISA Pathfinder évoluera sur une orbite dite de Lissajous: elle suivra une trajectoire régulière autour du point de Lagrange interne L1. Situé à environ 1,5 million de kilomètres de la Terre, celui-ci est placé de sorte à ce que les champs gravitationnels du Soleil et de la Terre se compensent. L’orbite autour du point L1 offre ainsi les conditions idéales pour tester les technologies embarquées à bord de LISA Pathfinder.
 
Le voyage de LISA Pathfinder dans le Système solaire. (Graphique: ESA/ATG medialab)

 

Les points de Lagrange
Les points de Lagrange sont des positions de l’espace où les champs de gravité de deux corps en orbite l’un autour de l’autre, se combinent de manière à fournir un point d’équilibre à un troisième corps de masse négligeable, de manière à ce que les positions relatives des trois corps soient fixes. Dans le cas où les deux corps sont en orbite circulaire, ces points représentent les endroits où un troisième corps de masse négligeable resterait immobile par rapport aux deux autres. En réalité ces points sont plutôt des volumes. 
Lorsqu’un satellite s’y trouve à intérieur, les positions relatives des trois corps (satellite, Terre et Soleil) sont fixes. Ainsi, un satellite terrestre placé sur l’un de ces points n’en bouge plus et tourne de manière fixe, avec la Terre, autour du Soleil.
Il existe deux points de Lagrange stables (L4 et L5) et trois points instables (L1, L2, L3), appelés parfois points d’Euler. On ne trouve pas d’objets naturels autour des trois points instables dans le Système solaire. Les points L4 et L5 étant situés sur des orbites stables, les satellites n’ont pas besoin de propulsion mécanique, car ils ne dépendent pas des masses relatives des deux autres corps.
Ces points ont été nommés en l’honneur du mathématicien Joseph-Louis Lagrange (1736-1813) qui, en 1772, étudia le cas d’un petit corps, de masse négligeable, soumis à l’attraction de deux plus gros. Il découvrit qu’il existait des positions d’équilibre pour le petit corps, des endroits où toutes les forces se compensent.
Le point de Lagrange L1, qui sera occupé par la sonde LISA Pathfinder, est situé à environ 1’500’000 km de la Terre, en direction du Soleil. Le satellite d’observation solaire SoHO s’y trouve actuellement.
Le point de Lagrange L2 est situé à la même distance de la Terre, mais dans la direction opposée au Soleil. C’est un endroit privilégié pour observer l’Univers. Les sondes Gaia et Lames Webb se trouvent à ce point. Les satellites Planck et Herschel, aujourd’hui sur une orbite de rebus, étaient situés au point L2.
Le point de Lagrange L3 se trouve à 150 millions de kilomètres de la Terre, de l’autre côté du Soleil, légèrement au-delà de l’orbite terrestre. On ne connaît actuellement aucun objet à cet endroit.
Les points L4 et L5 sont situés sur l’orbite terrestre, en avance de 60° par rapport à la Terre.
 
L’apport du savoir-faire helvétique
LISA Pathfinder emporte à son bord une technologie de pointe et un savoir-faire issus des hautes écoles helvétiques.
L’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ) est chargée de fournir l’électronique de commande et de mesure destinée à un élément central de la sonde LISA Pathfinder, à savoir le capteur de référence gravitationnelle. Ces systèmes électroniques mesurent et pilotent la position de deux masses de test (deux cubes constitués d’un alliage or-platine) en rapport avec le boîtier d’électrodes dans lequel elles sont installées.
Une fois que le satellite aura atteint sa position définitive, ces deux masses de test seront lâchées depuis leur bras de maintien et resteront en «flottaison» (chute libre). Le logiciel du satellite mesurera leur position et leur localisation. Il les contrôlera, via les champs électriques, au moyen des systèmes électroniques. Il veillera également à ce que les masses n’entrent pas en contact avec les parois du boîtier.
La spécification de l’électronique a été effectuée à l’Institut de géophysique de l’EPFZ, par une équipe placée sous la direction du professeur Domenico Giardini, en collaboration avec des partenaires internationaux. Le développement et la réalisation ont été confiés à l’entreprise suisse RUAG Space. L’équipe de l’EPFZ participe, en outre, à la préparation de la mission, à la surveillance de l’électronique tout au long de celle-ci et, enfin, à l’analyse des données.
L’Université de Zurich (UZH) a été plus particulièrement chargée des aspects théoriques liés à la relativité générale et à l’astrophysique. Avec l’EPFZ, elle évaluera les ondes gravitationnelles qui pourront un jour être mesurées grâce à ce projet.
Philippe Jetzer, professeur de physique à l’Université de Zurich, effectue avec son équipe, des recherches sur les applications astrophysiques en lien avec la théorie de la relativité générale. Comptant parmi les dix membres du comité du consortium du projet eLISA, Domenico Giardini et Philippe Jetzer apporteront leur contribution à l’évaluation des ondes gravitationnelles dont – espérons-le – eLISA permettra un jour de prouver l’existence.
 
Données clés sur LISA Pathfinder
Date de lancement: 2 décembre 2015
Lieu du lancement: Kourou, Guyane française
Durée de la mission: 12 mois environ
Masse au décollage: 1910 kg (avec carburant)
Orbite: orbite de Halo autour du point de Lagrange L1
Objectif: tester les technologies destinées à prouver l’existence des ondes gravitationnelles
Contribution de l’EPFZ: système électronique de commande et mécanisme de propulsion
Contribution de l’UZH: applications astrophysiques
Les composants de la sonde spatiale LISA Pathfinder. (Graphique: ESA/ATG medialab)
 
EPFZ

Prof. Domenico Giardini
Institut de Géophysique
Tél.: 044 633 26 10
domenico.giardini@erdw.ethz.ch
 
Université de Zurich
Prof. Philippe Jetzer
Institut de Physique
Tél: 044 635 58 19
jetzer@physik.uzh.ch