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Revue internationale de criminologie et de police technique et scientifique
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29 march 2012 | Revue internationale de criminologie et de police technique et scientifique | Uncategorized

Bibliographie (1/2012)

La frénésie sécuritaire, retour à l’ordre et nouveau contrôle social, par Laurent Mucchielli (éd.), éditions La Découverte, Paris, 2008,138 p.

Voilà un ouvrage qui fera plaisir aux lecteurs qui, depuis quelque temps déjà, observent avec scepticisme les choix du gouvernement français en matière de politique criminelle. Dès l’introduction, Laurent Mucchielli donne le ton: il dénonce les discours alarmistes sur la criminalité qui conduisent à l’adoption frénétique de lois, les unes succédant si rapidement aux autres que les premières n’ont pas le temps de faire la preuve de leur inefficacité qu’elles font déjà l’objet d’amendements. Jean Danet illustre cette thématique en examinant l’abondante évolution législative entre 2002 et 2007; il en questionne les cibles, et dénonce la criminalisation de tout comportement menaçant, non pas dangereux mais semblant créer un risque d’atteinte à l’ordre public (qui semble d’ailleurs être redéfini à travers le processus: les prostituées de rue, les mendiants et les jeunes oisifs se retrouvent en ligne de mire).
La contribution de Christine Lazerges porte sur le populisme pénal et le mineurs délinquants. L’auteur y présente les développements législatifs relatif à la responsabilité pénale des mineurs et aux sanctions du droit des mineurs. Philip Milburn questionne les innovations censées remédier aux carences du système judiciaire mais qui ont finalement révélé des effets pervers. Ainsi, le système des comparutions immédiates (pour lutter contre la lenteur des procédures) et celui des alternatives aux poursuites (visant à contrebalancer l’opportunité des poursuites qui avait pour conséquence que bon nombre de délits peu graves étaient ignorés par la justice, créant un sentiment d’impunité chez les auteurs et les policiers) fonctionnent comme des appels d’air en attirant dans le système des individus qui y auraient échappé auparavant. Même constat chez Bruno Aubusson de Cavarlay, qui envisage l’augmentation du taux de détention depuis 2001 et analyse ses causes.
Avec Serge Slama, l’on aborde ensuite la thématique de la politique d’immigration. Il y présente les deux aspects principaux de la spirale sécuritaire mise en place depuis quelques années, à savoir la globalisation des contrôles sur l’entrée et le séjour des étrangers et des demandeurs d’asile et l’industrialisation des procédures d’éloignement et d’enfermement des étrangers. Quant à Christian Mouhanna, il constate la ferveur avec laquelle Nicolas Sarkozy a combattu la police de proximité depuis son accession au Ministère de l’intérieur en 2002. Il analyse cette attitude, en propose des interprétations et dénonce les dérives de la culture du résultat, système dans lequel le principal (voire le seul) indicateur pris en compte pour évaluer le travail des forces de l’ordre est le taux d’élucidation des affaires. Cette thématique est d’ailleurs plus amplement développée dans une contribution de Laurent Mucchielli. Mathieu Rigouste aborde ensuite la problématique de la militarisation du contrôle des quartiers populaires, où des zones de non droit requièrent l’intervention de l’Etat dans une logique de véritable guerre intérieure. L’auteur montre comment les guerres d’Indochine et d’Algérie ont modelé un nouveau rapport entre l’Etat et la population et replace cette évolution dans le contexte de la chute de l’Union soviétique, et comment ces théories de la guérilla urbaine façonnent les modes d’intervention de l’Etat sur son propre territoire et contre sa propre population.
La vidéosurveillance comme mirage médiatique et politique, tel est le thème abordé par Eric Heilmann. Cette technologie, qui a connu un essor important dès 2001 sous prétexte de lutte contre le terrorisme, peut-elle servir de politique en matière de sécurité? L’ouvrage se clôt par une contribution de Pierre Piazza, «La biométrie: usages policiers et fantasmes technologiques». Elle se construit autour de deux thèmes principaux, à savoir le développement de bases de données biométriques et l’apparition de puces porteuses desdites données. L’auteur y aborde la question de la faillibilité de ces méthodes, remet en cause leur nécessité et dénonce l’atteintes à la vie privée et aux libertés que cela engendre, ainsi que le contrôle toujours plus étroit de certaines catégories de la population.
On l’aura compris, les auteurs invités à contribuer à cet ouvrage adoptent une position critique face au gouvernement Sarkozy. Ils dénoncent des décisions prises sans aucun fondement scientifique dans des domaines tels que la vidéosurveillance, les peines planchers ou le droit des mineurs, et qui sont utilisées moins comme instruments de régulation de la déviance que comme moyens de communication politique. Les coûts et les atteintes aux libertés fondamentales engendrées leur semblent d’autant plus contestables que les nouvelles technologies sont actuellement utilisées sans réelle vision stratégique et dans ce qui semble être un but plutôt démagogique. Ils s’interrogent ensuite sur les causes du durcissement pénal: s’agit-il véritablement d’une augmentation de la sévérité des juges ou d’une perte d’indépendance de ces derniers par rapport aux pouvoirs exécutif et législatif? Facile à lire, cet ouvrage offre un rapide tour d’horizon des grandes questions soulevées par la politique criminelle française actuelle et propose des pistes de réflexions intéressantes dans des domaines variés tels que les taux de détention, la lutte contre la récidive, les modes d’interventions de l’Etat face aux nouveaux «mouvements subversifs» et l’identification des personnes.

Inventing fear of crime, Criminology and the politics of anxiety, par Murray Lee, Willan Publishing, 2007, 237 p.
L’expression «fear of crime» est apparue dans le courant des années 1960 aux Etats-Unis. Or, s’il n’est pas franchement étonnant de constater que l’importance prise par la «peur du crime» (ndlr: le terme «peur du crime» a été préféré à celui de «sentiment d’insécurité», le premier étant plus conforme à la perception anglo-saxonne des chose, alors que le second – plus européen – fait référence à une peur plus diffuse, éventuellement liée à d’autres facteurs que le seul crime) est parallèle à l’expansion des sciences criminologiques, cela soulève tout de même la question de la primogéniture de l’une ou de l’autre; autrement dit, les criminologues ont-ils inventé la peur du crime ou n’ont-ils fait qu’étudier son évolution?
L’auteur présente tout d’abord les travaux de grands penseurs tels que Beccaria, Bentham et Howard, qui ont chacun présenté des stratégies pour gérer le crime et la sanction de façon rationnelle. Il montre également que des préoccupations telles que le choix des sanctions, le travail de la police, la prévention générale et spéciale, les raisons motivant la commission des délits, ne sont pas nouvelles, puisqu’on en trouve trace au XVIIIème siècle déjà, même si, à cette époque, faire de la peur du crime une notion en soi, indépendante de la prévalence des comportements contraires à la loi, n’aurait pas été pensable. La fin du XIXème siècle sera marquée par de grands travaux de classification et de rationalisation des connaissances liées aux criminels: ce sera vrai pour Lombroso et son Uomo Criminale comme pour Charles Booth et ses plans de la ville de Londres, dont il répertoriait les habitants rue par rue pour localiser les «classes dangereuses». Henry Mayhew oeuvrera également en ce sens en mettant l’accent sur l’importance de distinguer les types de criminels et leurs motivations à enfreindre la loi.
Après avoir présenté la genèse des premiers sondages de victimisation (illustrée par de nombreux exemples de questionnaires de l’époque) et fait leur critique en dénonçant notamment l’aspect directif des questions posées, l’auteur explicite comment l’apparition d’une criminologie féministe a suscité un intérêt nouveau pour la peur du crime; la remise en cause d’un ordre social patriarcal, l’attention portée aux femmes victimes de la violence des hommes, et le développement d’infrastructures visant à leur venir en aide (comme les «rape crisis centers» et les refuges pour femmes battues) ont peu à peu fait naître l’idée que la peur du crime n’était peut-être pas toujours irrationnelle. Les magazines féminins ont également contribué à ce mouvement par la très large diffusion des connaissances qu’ils ont permis et aux nombreux sondages qu’ils ont initiés. Pour la première fois, les statistiques officielles n’étaient plus les seules sources d’information. En donnant une nouvelle image de la victimisation des femmes et en mettant en lumière sa fréquence, ils ont donné une impulsion aux politiques étatiques d’information et de prévention.
Selon l’auteur, la peur du crime est un problème aussi sérieux que le crime lui-même. Elle déploie des effets sur les dépenses étatiques, sur le système judiciaire et sur le traitement de ceux que l’on considère comme des criminels. En fait, elle représente une véritable industrie: pas seulement pour les chercheurs, mais également pour les politiciens, les décideurs, les services de sécurité et les assureurs. L’auteur décrit également (et illustre par de nombreux exemples) l’impact de la peur du crime sur la gouvernance, c’est-à-dire comment la peur du crime est utilisée pour pousser la population à adopter certains comportements (mesures préventives, assurances), que le citoyen s’impose à lui-même plutôt que de se les voir imposés par l’Etat (par exemple, il évitera d’être dans les espaces publics à des heures avancées de la nuit, ce qui revient au fond à respecter une sorte de couvre-feu volontaire et ainsi à maintenir l’ordre). Ce discours n’est d’ailleurs pas le seul fait de l’Etat; il provient de nombreuses sources, gouvernement certes, mais aussi associations d’aide aux victimes, assurances, forces de police locales, société de sécurité, universités, etc. Malheureusement, les ressources ne sont pas homogènes dans la population et certains groupes ne peuvent pas se prémunir contre ces risques. Ce discours a donc également pour conséquence de culpabiliser et/ou de stigmatiser les victimes, en faisant penser que si elles ont été victimisées, c’est bien parce qu’elles n’ont pas pris les mesures nécessaires à leur propre protection.
Après s’être intéressé aux fearing subjects, l’auteur se tourne naturellement vers leurs pendants, les feared subjects. Caricaturée, dépeinte comme une silhouette sombre que l’on peine à distinguer dans la nuit qui lui sert de refuge, cette figure n’est pas nouvelle, puisque depuis le XVIIIème siècle, les images de parias divers et variés se sont succédées dans nos imaginaires collectifs. Jusqu’à la figure récente du terroriste, qui semble avoir entraîné un amalgame dans le discours public des notions de criminalité et de terrorisme, de peur du crime et de peur du terrorisme, et – plus problématique – de politique policière et de politique de la défense (militaire), avec de nouvelles législations octroyant aux forces de l’ordre des moyens d’intervention toujours plus critiquables du point de vue de la sauvegarde des libertés individuelles.
Comme son titre l’indique, le but de cet ouvrage est de présenter une généalogie de la peur du crime. L’auteur s’appuie sur de très nombreuses références bibliographiques, dont les extraits évocateurs  feront peut-être sourire le lecteur, mais qui ont façonné les concepts pour les décennies suivantes. Il réfute deux hypothèses: non, l’apparition de la peur du crime n’est pas due à une augmentation massive de la criminalité, et non, elle n’a pas existé toujours et partout, mais aurait été «découverte» il y a seulement un demi-siècle. Une réaction (individuelle) au crime a sans doute toujours existé, mais ce n’est qu’au travers du prisme offert par les chercheurs et les politiques que le concept de peur du crime est apparu. Après plus de 200 pages sur le sujet, l’auteur conclut donc que la peur du crime n’existe pas en soi, de façon objective et indépendante. L’intérêt du sujet réside plutôt dans les conditions de son émergence en tant que concept criminologique et sociologique, dans les dynamiques qui ont conduit à sa création et dans les effets qu’il produit à son tour, tant politiques, sociaux qu’économiques.