08 january 2013 |
La Revue POLYTECHNIQUE
Cette énergie qui dort sous nos pieds
Pierre-Henri Badel*
Source d’énergie inépuisable et disponible en permanence, quelle que soit la période de l’année ou l’heure de la journée, l’énergie thermique issue de notre sous-sol prend chaque année plus d’importance en Suisse. L’engouement pour cette source d’énergie est dû à sa gratuité, aux coûts toujours plus élevés des matières fossiles et à l’absence de pollution qu’elle engendre.
La mauvaise expérience réalisée en ville de Bâle - où un forage a provoqué en 2006 un tremblement de terre de magnitude 3,4 - est assurément encore dans les esprits de tous ceux qui suivent, de près ou de loin, les techniques de forage, en vue de réaliser des projets de géothermie. Cet incident, qui n’a par chance provoqué aucun dégât majeur, a aussi démontré les limites de cette technique.
Désormais, ce sont surtout dans les régions peu sujettes aux tremblements de terre que la géothermie rencontre le plus de succès. En Suisse romande, le canton du Valais est, tout comme celui de Bâle, assez exposé aux tremblements de terre. Les expériences de géothermie y sont donc assez limitées.
Figure 1. Le chauffage des maisons individuelles est très prisé par leurs propriétaires. (Photo: Augsburger Forages) |
S’attaquer aux grandes profondeurs
En Suisse, plus de 1950 GWh d’énergie géothermique ont été produits en 2010, et ce chiffre ne cesse de progresser. Près de 76 % de cette énergie proviennent des installations équipées de sondes géothermiques. En 2010, deux millions environ de mètres courants de sondes géothermiques ont été posées en Suisse. On distingue trois types de géothermie: celle à basse température, celle à moyenne température et celle à haute température. C’est dans cette dernière technique que l’industrie entrevoit actuellement les meilleures perspectives. C’est celle-ci que le projet DHM (Deap Heat Mining) avait voulu développer à Bâle, avec l’échec cuisant qui en découla. Aujourd’hui, un projet de forage dans les zones aquifères profondes est en cours à Lavey-les-Bains.
«Les techniques n’ont pas tellement évolué au cours de ces dernières années», admet Marco Neva, directeur administrateur de la société Augsburger Forages. «Si ce n’est que l’on a tendance à aller toujours plus loin dans les profondeurs de la Terre». Et d’expliquer que maintenant que la tendance à la géothermie est déjà bien ancrée dans le cas du chauffage des villas, les projets se multiplient un peu partout et on assiste à la prolifération des forages en grande profondeur. Ceux-ci atteignent facilement 300 ou 400 m et des projets pointent même jusqu’à 500 m de profondeur, même si les réalisations ne sont pas encore effectuées à une très large échelle.
Des situations différentes selon les cantons
Les forages en plus grande profondeur sont naturellement conditionnés par la géologie et les matériaux rencontrés. Si, dans les cantons de Neuchâtel et du Jura, les autorités freinent un peu les projets de géothermie, c’est par crainte que dans les zones calcaires, les eaux de surface viennent s’infiltrer dans les nappes phréatiques et les polluent. Dans le canton de Vaud, les autorités se montrent aussi prudentes suivant la géologie, et cela pour les mêmes raisons. A noter que dans ce même canton, il n’est pas possible de forer sous les bâtiments, alors qu’une telle interdiction n’est pas de mise à Genève. Une telle mesure est-elle vraiment justifiée? «Cela découle d’erreurs faites par des entreprises de forages, qui n’avaient peut-être pas pris toutes les précautions et s’étaient lancées un peu à l’aveuglette», répond Marco Neva.
La situation varie aussi d’un canton à l’autre, parce qu’ils ont adopté des stratégies différentes. «Dans le canton de Berne, on protège les sols, alors que dans celui de Vaud et de Fribourg, on se préoccupe davantage des eaux souterraines», admet Marco Neva.
Dans le canton de Genève, l’accent est beaucoup plus axé sur les énergies renouvelables, qui sont favorisées et subventionnées. Les projets de géothermie fleurissent donc un peu partout sur le territoire.
Réduire les risques de pollution
En matière de géothermie, les évolutions s’orientent, de plus en plus, vers l’abandon de l’antigel dans les circuits d’eau, qui soutirent la chaleur du sous-sol. «En diminuant la puissance de soutirage de 50 à 40 W/min, on évite aussi d’utiliser de l’antigel et du même coup les risques de pollution dans les nappes phréatiques», admet Marco Neva. Par contre, cela nécessite d’accroître le nombre de forages ou de forer en plus grande profondeur.
Suppression des climatisations
Les projets de géothermie présentent un intérêt particulier dans l’immobilier commercial et de bureau où ils facilitent l’échange de chaleur au sein des bâtiments à usage professionnel. On peut ainsi plus facilement se libérer des systèmes énergivores. Un atout de plus pour cette source d’énergie qui permet de consommer jusqu’à dix fois moins d’électricité et d’atteindre, selon les projets, des retours sur investissement en moins de deux ans.
Chez IKEA, à Vernier, 58 forages de 300 m de profondeur ont été réalisés. Le système géothermique est justement un exemple emblématique de ce que l’on peut faire pour assurer tant le chauffage que la climatisation d’un ensemble commercial. Avec comme résultat un surcoût amorti en deux ans seulement.
A la cinémathèque également, le projet de centre de recherche et d’archivage de Penthaz (VD) intègre un système de géothermie dont le but est de refroidir les locaux d’archivage des films, dans l’objectif d’éviter leur destruction. Comme quoi, l’énergie soutirée du sous-sol permet aussi de sauvegarder la mémoire humaine.
* Ingénieur ETS, journaliste spécialisé RP AJS