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27 october 2016 | La Revue POLYTECHNIQUE

De l’électricité́ générée par de l’eau et du sel

Des chercheurs de l’EPFL ont exploité́ le phénomène de l’osmose pour produire de l’électricité́ avec une efficacité́ jamais atteinte. Leur dispositif fonctionne avec de l’eau salée, de l’eau douce, et une membrane innovante épaisse de seulement trois atomes. Il fait l’objet d’une publication dans la revue Nature.
Après l’énergie solaire, éolienne ou hydraulique, un nouveau type d’énergie propre se profile: l’énergie osmotique. Ou comment utiliser l’interaction entre l’eau salée et l’eau douce aÌ€ travers une membrane, pour produire de l’électricitéÌ.

À l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), les chercheurs du Laboratoire de biologie aÌ€ l’échelle nanométrique ont mis au point un dispositif baseÌ sur le phénomène de l’osmose, qui produit de l’électricitéÌ avec un rendement jamais atteint. L’innovation réside dans une membrane épaisse de trois atomes pour séparer deux liquides. Potentiellement, une telle membrane d’un mètre carreÌ pourrait alimenter plusieurs dizaines de milliers d’ampoules économiques. Leur travail fait l’objet d’une publication dans la revue Nature.
Le concept est relativement simple. Il s’agit de séparer, au moyen d’une membrane semi-perméable, deux solutions dont la concentration en sel est différente. Par le phénomène naturel de l’osmose, les deux solutions tendent naturellement aÌ€ équilibrer leur concentration. Si l’on met en contact de l’eau de mer et de l’eau douce, par exemple, les ions de sel de l’eau de mer se déplacent vers l’eau douce aÌ€ travers la membrane, afin que la teneur en sel s’égalise dans les deux liquides. Or, un ion n’est rien de moins qu’un atome électriquement chargeÌ. Il s’agit donc d’exploiter le déplacement de ces particules pour produire de l’électricitéÌ.
 
Une membrane sélective épaisse de trois atomes
Le dispositif de l’EPFL se compose de deux compartiments remplis de liquide et séparés par une fine membrane de disulfure de molybdène. Cette membrane dispose d’un minuscule trou - ou nanopore -, qui permet aux ions de la solution la plus concentrée de migrer vers la solution la moins concentrée, jusqu’aÌ€ l’équilibre. Lors du passage aÌ€ travers le nanopore, des électrons sont transférés vers une électrode, ce qui permet d’obtenir un courant électrique.
La membrane est sélective: elle laisse passer les ions chargés positivement, repoussant la plupart des charges négatives. Pendant la migration, une tension se crée entre le compartiment qui contient des ions chargés négativement et celui contenant des ions chargeÌ positivement. Cette tension permet de «mettre en mouvement» le courant électrique généréÌ par le passage des ions.
«Nous avons fabriqueÌ les nanopores, puis menéÌ une étude pour que sa taille soit optimale. Si l’ouverture est trop grande, la sélection des ions est moins importante et la tension trop basse. À l’inverse, si elle est trop petite, le débit des ions est insuffisant et le courant diminue», explique Jiandong Feng, premier auteur.
 
L’innovation: une membrane en deux dimensions
La véritable innovation réside dans le choix de la membrane. Dans ce genre de système, plus la membrane est fine, plus le courant électrique est important. Epaisse de quelques atomes, la membrane de disulfure de molybdène est idéale pour générer du courant osmotique. «C’est la première fois qu’un matériau en deux dimensions est utiliseÌ pour ce type d’application», précise Alexandra Radenovic, directrice du laboratoire.
 
Faire fonctionner 50’000 ampoules avec 1 m de membrane
Le potentiel d’un tel système est impressionnant. En théorie, avec une membrane de 1 m2, dont 30 % de la surface serait couverte de nanopores, il serait possible de produire 1 MW, soit de quoi alimenter 50’000 ampoules économiques standard.
Par ailleurs le disulfure de molybdeÌ€ne (MoS), qui constitue la membrane, est un matériau que l’on trouve partout dans la nature. Il peut être généréÌ par déposition en phase vapeur. Le dispositif pourrait être produit aÌ€ large échelle, même s’il reste encore aÌ€ trouver un moyen de fabriquer des nanopores uniformes.
Jusqu’aÌ€ présent, les chercheurs ont travailleÌ sur une membrane dotée d’un seul nanopore, afin de comprendre exactement tout le processus. «D’un point de vue de l’ingénierie, l’étude de systèmes aÌ€ un seul nanopore permet d’améliorer notre compréhension des processus impliquant une membrane. Cela nous fournit des informations utiles pour une éventuelle production industrielle et une commercialisation», explique Jiandong Feng.
Avec leur système mono-nanopore, les chercheurs ont déjàÌ€ pu faire fonctionner un transistor basse consommation en MoS fabriqueÌ en collaboration avec l’équipe d’Andreas Kis de l’EPFL. Des partenaires de l’UniversitéÌ d’Illinois à Urbana-Champaign (Etats-Unis) ont effectueÌ les simulations de la dynamique moléculaire.
 
Une membrane sélective épaisse de trois atomes pourrait alimenter plusieurs dizaines de milliers d’ampoules électriques. (© Steven Duensing/National Center for Supercomputing Applications, University of Illinois, Urbana-Champaign)
 

L’interaction entre les fleuves et la mer
La recherche de l’EPFL s’inscrit dans un contexte dynamique. Depuis plusieurs années, l’idée d’utiliser le phénomène d’osmose pour produire de l’électricitéÌ suscite un engouement croissant. Des projets pilotes fleurissent un peu partout dans le monde, en Norvège, aux Pays-Bas, au Japon, aux Etats-Unis, afin de récupérer cette énergie aux endroits ouÌ€ les fleuves se jettent dans la mer. Or pour l’instant, les membranes, souvent organiques, sont encore trop fragiles et leur rendement peu satisfaisant. Certains systèmes se basent non pas sur le déplacement des ions, mais sur celui des molécules d’eau pour remplir des bassins et actionner des turbines.
Si les systèmes deviennent rentables, l’énergie osmotique pourrait jouer un rôle majeur dans la production d’énergie renouvelable. Alors que les panneaux photovoltaïques dépendent de l’ensoleillement et les éoliennes du vent, l’énergie osmotique peut être produite en tout temps, aÌ€ condition de la récupérer dans les estuaires, ouÌ€ eau douce et eau de mer se rencontrent.
 
Aleksandra Radenovic
Tél.: 079 535 00 15
aleksandra.radenovic@epfl.ch