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17 may 2020 | La Revue POLYTECHNIQUE 05/2020 | Écologie

Des albatros pour traquer la pêche illégale

Des chercheurs du CNRS et de La Rochelle Université, associés à l’administration des Terres australes et antarctiques françaises, ont utilisé des albatros équipés de détecteurs pour évaluer le nombre de bateaux de pêche pêchant illégalement dans la zone économique exclusive (ZEE) française, dans l’océan Austral. Menée dans le cadre du programme « Ocean Sentinel », ces « patrouilles » inédites ont révélé que plus du tiers des navires de pêche, découverts par les oiseaux dans les eaux internationales, n’étaient pas déclarés.
Lancé en 2018, le programme « Ocean Sentinel », labellisé par le Conseil européen de la recherche (ERC), a permis d’équiper quelque170 albatros des îles Crozet et Kerguelen de détecteurs, pour surveiller les bateaux de pêche dans la zone économique exclusive (ZEE) française de l’océan Austral. L’objectif était d’offrir une première estimation de la proportion de navires de pêche opérant illégalement dans cette région. Selon le compte-rendu, publié au début de cette année dans PNAS (Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America), les chercheurs du CNRS et de La Rochelle Université ont constaté que plus d’un bateau de pêche sur trois, opérant dans cette zone, n’était pas déclaré.
 
Quelque 170 albatros des îles Crozet et Kerguelen ont été munis de détecteurs pour surveiller les bateaux de pêche dans la zone économique exclusive française de l’océan Austral. (© CNRS)
 
 
La pêche à la palangre menace les albatros

Le programme « Ocean Sentinel » a été mis sur pied en réaction au déclin démographique alarmant des albatros des îles Crozet et Kerguelen. « Les albatros font partie de la famille d’oiseaux la plus menacée, en particulier par la pêche. Celle-ci utilise des palangres, des grandes lignes mises à l’eau pour pêcher. Comme les albatros suivent les bateaux pour se nourrir des déchets, lorsque les palangres sont mises à l’eau, les oiseaux attrapent les petits poissons qui servent d’appât. Ils se retrouvent accrochés et se noient... », explique l’auteur de l’étude, le naturaliste Henri Weimerskirch, chercheur au Centre d’études biologiques de Chizé (CEBC) du CNRS.
Pour détecter les bateaux de pêche qui n’ont pas de système d’identification automatique (AIS), ou qui l’ont désactivé, les albatros ont été équipés d’un système Argos, d’un GPS et un d’un détecteur de radar miniaturisé, unique au monde. Les pêcheurs illégaux ayant forcément besoin d’un radar pour naviguer, lorsqu’un albatros s’approche de leur embarcation, sa balise détecte son signal radar et indique sa position aux scientifiques. Si elle ne correspond pas à celle d’un navire identifié par l’AIS, le bateau est reconnu « suspect ». Selon Henri Weimerskirch, « on peut, grâce à ce dispositif, comparer les bateaux déclarés et ceux qui ne le sont pas. Et savoir ainsi quelle est la proportion de bateaux en pêche illégale. »

 
Les palangres utilisées par les bateaux de pêche constituent un danger pour les albatros. Les oiseaux attrapent les petits poissons qui servent d’appât. Ils se retrouvent accrochés et se noient. (© Wikipédia)
 
 
Des oiseaux adaptés à ce genre de mission

Les chercheurs associés à « Ocean Sentinel » font valoir que les albatros sont parfaitement adaptés à ce type de mission ; ils couvrent de larges distances en vol et sont particulièrement attirés par les bateaux de pêche. Les170 albatros équipés de balises durant six mois ont ainsi permis de surveiller plus de 47 millions de kilomètres carrés de l’océan Austral. Les données recueillies se voulaient exclusivement estimatives. Il appartient aux autorités françaises de les utiliser, ultérieurement, à des fins répressives.
Fort du succès de la campagne « Ocean Sentinel », des programmes similaires sont en phase de test en Nouvelle-Zélande et à dans les îles Hawaï. L’expérience acquise avec les albatros des îles Crozet et Kerguelen pourrait servir pour d’autres espèces marines, comme les requins ou les tortues de mer.

Henri Weimerskirch
Naturaliste
Centre d’Études Biologiques de Chizé
79360 Beauvoir-sur-Niort
Tél. +33 (0)5 49 09 78 17
www.cebc.cnrs.fr