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25 april 2012 | La Revue POLYTECHNIQUE

Éditorial (4/2012)

Une saveur nouvelle et stérile
Les neutrinos n’en finissent pas de dévoiler leurs secrets. Après avoir mis le monde scientifique en émoi suite à d’hypothétiques excès de vitesse dans un tunnel reliant la Suisse à l’Italie, voilà qu’ils s’apprêtent à nous révéler d’autres mystères encore, alors qu’ils figurent parmi les particules les plus abondantes de l’Univers. Qu’on le veuille ou non, des milliards d’entre eux traversent notre corps chaque jour, sans provoquer aucun dégât grâce à leur absence quasi totale d’interaction avec la matière.
Cet ambassadeur qui nous vient du cosmos, messager de galaxies lointaines, d’explosions de supernovae ou peut-être de la «masse manquante», existe sous trois formes, que les physiciens appellent «saveurs». On connaît, en effet, dans le modèle standard, les neutrinos électroniques, muoniques et tauiques, associés aux particules éponymes. Or, des scientifiques chinois affirment avoir aperçu dans leurs détecteurs, le 8 mars dernier, à peu près 5 % de neutrinos en moins que ce qu’ils avaient prévu. C’est aussi ce qui fut observé, en juin 2011, lors d’une expérience au Japon, ainsi qu’en novembre dans les Ardennes, où des scientifiques du CEA et du CNRS ont relevé, avec une grande précision, un déficit de 6 %.
La théorie prévoit, certes, une certaine perte de neutrinos due à un phénomène appelé oscillation, qui consiste en la transformation d’une saveur en une autre. Cette propriété a été confirmée expérimentalement en 1998 dans l’observatoire Super-Kamiokande au Japon. Elle ne permet toutefois pas d’expliquer l’ampleur de la perte constatée dans la récente expérience chinoise. L’explication avancée postule que les 5 % de particules manquantes seraient des neutrinos transformés en un mélange des deux autres saveurs, pour en former une quatrième, une espèce encore jamais décelée.
Les physiciens théoriciens avaient déjà envisagé une telle interprétation pour expliquer l’anomalie des neutrinos provenant de réacteurs nucléaires, dont les mesures de flux présentaient, eux aussi, un déficit semblable. Ils ont baptisé «neutrinos stériles» ces particules hypothétiques et indétectables qui interagissent uniquement via la gravitation.  
Par ailleurs, un argument de poids vient conforter ces hypothèses. En effet, l’existence d’un quatrième neutrino est compatible avec les conjectures sur les premiers instants de l’Univers. Elle pourrait aussi aider à comprendre pourquoi l’antimatière a disparu au profit de la matière, ou encore contribuer à la découverte de la masse manquante, cette matière dont on ignore tout et qui représente 85 % de celle du cosmos.
Les expériences récentes réalisées en France, au Japon et en Chine, tout comme certains résultats provenant de l’accélérateur de particules LSND de Los Alamos, aux Etats-Unis, plaident en faveur de l’existence d’une «saveur» nouvelle et «stérile» de cette mystérieuse particule.
 
par Michel Giannoni