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25 june 2012 | La Revue POLYTECHNIQUE

Éditorial (6-7/2012)

Un parallèle intéressant
Le voyage vers l’infini des sondes Pioneer 10 et 11, lancées en 1972 et 1973, à l’époque des cartes perforées et des bandes magnétiques, est l’une des plus extraordinaires aventures spatiales que l’homme ait jamais imaginées. Pioneer 10 fut le premier objet à traverser la ceinture d’astéroïdes, puis à survoler Jupiter. La sonde, qui se trouve actuellement à plus de 15 milliards de kilomètres du Soleil, poursuit sa route en direction de la constellation du Taureau, qu’elle devrait atteindre dans quelques millions d’années.
Vingt ans après leur lancement, les scientifiques de la NASA ont remarqué que les deux engins spatiaux se déplacent moins vite que prévu. Ils semblent freinés par une force mystérieuse, qui leur imprime une très faible décélération. Ce phénomène a été nommé «anomalie Pioneer».
Les physiciens ont alors cherché de multiples explications, en songeant tout d’abord à une erreur de calcul. Mais les deux sondes réagissant de la même manière, il a fallu explorer d’autres pistes. Parmi celles-ci, les scientifiques ont imaginé l’effet de forces gravitationnelles exercées par la ceinture de Kuiper ou par Némésis, l’hypothétique compagnon du Soleil portant le nom de la déesse de la vengeance, une naine brune très peu lumineuse et jamais détectée, qui formerait un système binaire avec l’astre du jour. On lui attribue même l’extinction des dinosaures !
Les théoriciens ont aussi évoqué une cinquième force de la nature, la matière noire, le vent solaire ou la pression des rayons cosmiques, les frottements avec le milieu interstellaire, une fuite d’hélium provenant des générateurs des sondes, une pression thermique issue de nulle part, un phénomène physique jamais encore observé et même une modification de la vitesse de la lumière, qui induirait une perturbation de l’effet Doppler.
Mais aujourd’hui, il semble bien que l’on ait découvert la clé du mystère. En effet, une équipe italo-portugaise, ainsi que des chercheurs de la NASA et de l’université Caltech ont avancé une explication nouvelle: les sondes seraient elles-mêmes responsables de leur freinage. Celui-ci serait dû à l’émission de photons – invisibles car dans le domaine de l’infrarouge – par les générateurs thermoélectriques des sondes, qui contiennent des radio-isotopes. Ces particules, distribuées de façon isotrope, percutent l’antenne parabolique pointée vers la Terre, provoquant, par réaction, une décélération. Les chercheurs de la NASA ont réalisé un modèle numérique de la sonde et de ses sources de chaleur, qui a démontré que c’est bien le rayonnement thermique qui est à l’origine de l’anomalie Pioneer.
Le parallèle avec les neutrinos trop pressés est intéressant. Dans les deux cas, une énigme défiait les lois de la physique. Dans le premier, il s’agissait d’une erreur des instruments de mesure, dans le second, près de vingt ans de recherches ont permis de lever le voile sur ce phénomène.
 
par Michel Giannoni