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26 august 2014 | La Revue POLYTECHNIQUE

Éditorial (8/2014)

La douche froide
Le Human Brain Project (HBP), plus grand projet européen de modélisation du cerveau humain, dirigé par l’EPFL en collaboration avec une centaine d’universités et de hautes écoles dans le monde, fédérant 256 laboratoires de 24 pays et financé à hauteur d’un milliard d’euros par l’Union européenne, a du plomb dans l’aile. En effet, début juillet, plus de 150 scientifiques ont critiqué, dans une lettre ouverte, la nouvelle orientation du projet, abandonnant le volet des neurosciences cognitives. Quelque six cents personnes ont signé cette missive.
Les détracteurs du Human Brain Project - principalement des neurobiologistes -, estiment que le remaniement effectué en juin, l’a trop fortement orienté sur la simulation cérébrale, sans tenir compte de la plasticité du cerveau, qui se modifie en permanence. Selon eux, il ne s’agirait plus que d’un programme informatique. Ils affirment qu’il ne suffit pas de simuler des connexions électriques entre neurones, il faut également considérer l’environnement cérébral comportant d’autres cellules, avec les vaisseaux sanguins qui les irriguent. Ainsi, des données issues de l’observation clinique, de l’imagerie médicale ou de la neuropsychologie expérimentale devraient être prises en compte. Après avoir réussi, en 2008, à reproduire par ordinateur une colonne corticale de rat dans le cadre du projet Blue Brain, l’équipe du professeur Henry Markram se serait – d’après ses détracteurs – lancée dans une aventure qui la dépasse, en ignorant les facteurs cognitifs et en négligeant de recourir à l’expérimentation. Ils estiment qu’il s’agit d’un immense gaspillage voué à l’échec. 
Cette opposition entre neuroscientifiques et «modélistes» ne date pas d’hier. Certes, le budget colossal attribué par l’Europe a de quoi attiser les convoitises. Et l’abandon du volet «neurosciences cognitives» a mis le feu aux poudres ! Mais on n’avait jamais vu se dresser pareille coalition dans le milieu très feutré de la recherche scientifique. On n’avait peut-être jamais vu non plus de projet doté d’un tel budget !
Le HBP est une grande entreprise scientifique devant fédérer les chercheurs de différentes disciplines, dans le but d’avancer dans la compréhension du cerveau humain et des maladies neurologiques. Il n’a toutefois jamais été un projet de neurosciences classiques; il a toujours eu une orientation ingénierie et informatique. Et les dirigeants du HBP rappellent qu’il est lié à la division ICT (Technologies d’information et de communication) de l’Union européenne et qu’il n’a pas pour objectif de faire de la neurobiologie expérimentale. Par ailleurs, les critiques affirmant, quelques mois seulement après son lancement et dans un contexte politique très particulier, que ce projet est inutile et «délirant», sont sans fondement. On ne peut juger du succès ou de l’échec d’une entreprise aussi ambitieuse que lorsqu’elle touche à sa fin, et ce sera dans plus d’une décennie.
 
par Michel Giannoni