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24 may 2017 | La Revue POLYTECHNIQUE

En Alsace, à la rencontre d’Industrie 4.0

Edouard Huguelet

Les 26 et 27 janvier 2017, sous les auspices du «Club SIAMS», une quarantaine de représentants du secteur industriel suisse ont participé à un voyage d’étude en Alsace, ayant pour objet la visite de deux grandes entreprises qui fonctionnent au rythme du concept «Industrie 4.0». Il s’agit de SEW USOCOME implantée à Mommenheim près de Strasbourg et de Cuisines Schmidt à Sélestat.
SEW USOCOME est usine de production du groupe industriel allemand SEW Eurodrive, qui possède trois usines en France, occupant un total de 2100 collaborateurs (www.sew.usocome.com). Elle assemble des systèmes d’entraînement tels que moteurs-réducteurs, variateurs et leurs systèmes d’asservissement. Ces produits sont diffusés en Suisse par Alfred Imhof AG à Münchenstein (www.imhof-sew.ch).

Le site Cuisinella de Cuisines Schmidt (www.cuisines-schmidt.com), où sont réalisés des agencements de cuisines complets par des procédés entièrement automatisés et robotisés, a été la seconde entreprise visitée au cours de ce voyage d’études. Cette entreprise possède sept points de vente en Suisse.
 
L’usine SEW USOCOME du groupe SEW-Eurodrive, à Brumath (Alsace).
 
 

Une illustration de l’usine du futur
Implantée à proximité de Strasbourg, l’usine SEW USOCOME réalise tout l’assemblage des produits du groupe SEW. La palette de produits est large et les réalisations sont pour la plus grande part configurables à la commande. Les composants usinés sont réalisés dans les usines de Hagenau et de Forbach, en Alsace. Les parties électriques et électroniques proviennent d’Allemagne.
La nouvelle usine de Mommenheim, dans la zone industrielle de Brumath, a été inaugurée il y a un peu plus d’un an. Elle représente un investissement de quelque 70 millions d’euros pour le bâtiment et 30 millions pour l’équipement. Elle comprend deux grandes halles de production de 170 x 42 m. La surface totale est de 32’300 m2.
Michel Munzenhuter, directeur général, a déclaré lors de l’inauguration: «Ce site de production est une illustration de l’usine du futur. Il constitue aussi une chance et un gage de pérennité pour la présence de SEW en France. En équilibrant la production en Alsace entre les deux sites de Haguenau et de Forbach, cela nous permet de réaliser un futur investissement pour moderniser notre site de Haguenau, qui reste bien sûr le siège de SEW USOCOME pour la France».
 
Chariots AGV dans un espace d’assemblage de SEW USOCOME.
 
 

Des chiffres qui donnent le vertige
Lumineux et de conception architecturale audacieuse, disposant de bureaux ouverts sur les lignes de production, le bâtiment a bien mérité son qualificatif d’«usine 4.0» ou d’«usine connectée». En outre, de par sa configuration, cette usine profite de façon optimale de la luminosité naturelle. Les bureaux sont réalisés selon le principe appelé «open stage», donc sans cloisonnements. «Les équipes ont travaillé sur la virtualisation des ateliers, la gestion numérique des flux, la traçabilité maximale des produits, l’intégration de la robotique», explique un porte-parole de SEW USOCOME.
Le magasin de composants dispose de 20’000 emplacements de stockage, ainsi que de systèmes de chariots autonomes, alimentés par induction, permettant l’acheminement automatique des éléments entre les îlots d’assemblage et les stocks.
Les produits sont assemblés sur commande, sur la base d’un programme modulaire comptant 50’000 références, ce qui permet théoriquement de réaliser jusqu’à 7’000’000 de combinaisons. Quatre mille à 6500 produits assemblés quittent l’usine chaque jour.
 
Transfert d’éléments en cours de montage d’un chariot AGV à un îlot d’assemblage dans l’usine SEW USOCOME.
 
 

Tout est en mouvement
Le flux de matériel est entièrement synchronisé. Les flux d’information courent depuis l’enregistrement de la commande, jusqu’à la livraison des produits finis. Le logiciel SAP réalisée la supervision.
Le magasin automatique comporte dix transstockeurs à haute dynamique. Voici quelques chiffres: il y a 20’000 emplacements de stockage, un mouvement de 1600 entrées/sorties de bacs à l’heure et 5000 références en stock. Mais le temps de séjour des composants est très bref: il n’excède pas trois jours en moyenne. Le but recherché consiste à réduire les délais. Tout fonctionne au rythme du juste à temps.
Sept stations de préparation en mode «pick by light» (des LED indiquent les fonctions) assurent quotidiennement le traitement de 40’000 composants par jour, soit un prélèvement toutes les vingt secondes. Quinze mille bacs transitent quotidiennement par cette zone.
 
Halle d’assemblage chez Schmidt Cuisines à Sélestat.
 
 

Il n’y a pas que l’automatisation qui compte
Trente-sept chariots automatiques filoguidés (alimentation et guidage par induction avec piste dans le sol) approvisionnent les îlots de montage. Ils effectuent ensemble 1100 trajets par jour, ce qui représente quotidiennement 440 km parcourus.
Les îlots, conçus selon le principe «Industrie 4.0», offrent toute la transparence aux opérateurs, lesquels sont guidés par de grands écrans; le papier a disparu. D’ailleurs, les collaborateurs ont été eux-mêmes consultés et mis à contribution pour la définition des îlots de montage. Un effort particulier porte sur l’aspect ergonomique, notamment par l’installation d’aides de manipulation et de détrompeurs pour éviter des erreurs.
Il faut aussi préciser que les systèmes de gestion de la qualité et de l’environnement sont certifiés par les normes ISO 9001, ISO 14’001 et ISO 50’001. Le site est en outre officiellement labellisé en tant qu’«Usine du futur».
L’automatisation des processus a soulevé de nombreux défis, comme éviter de tomber dans le piège de la complexité ou le fait de négliger les compétences humaines, même celles des plus humbles collaborateurs, lesquels ne manquent pas forcément d’idées! Autre risque: surestimer l’importance des organisations fonctionnelles et des procédures rigides. Il s’est aussi agi de caractériser certains processus réputés instables. Avant même d’automatiser, il a fallu tenir compte de tous ces préalables. Le pari a été tenu.
Outre l’informatique elle-même, l’automatisation nécessite des systèmes de vision fiables, des transferts de données éprouvés, les organisations doivent être adaptées, les processus parfaitement maîtrisés et synchronisés. Finalement, les compétences des collaborateurs ont été développées. En résumé, le concept «Industrie 4.0», c’est en gros 10 % d’informatique et 90 % de compétence du personnel.
 
Une ligne d’assemblage robotisée chez Schmidt Cuisines à Sélestat.
 
 

De la petit menuiserie à la production en mode Industrie 4.0
Quittons maintenant la mécatronique pour un autre domaine: la fabrication de cuisines. Dans son usine de Sélestat sise en zone industrielle nord, Schmidt et Cuisinella sont les marques du groupe Schmidt. La société a été fondée en 1934 à Türkismühle, en Sarre, par Hubert Schmidt, sous la forme d’une menuiserie artisanale. Installée en France en 1959 à Lièpvre, cité historique nichée dans le Val d’Argent (Alsace), l’implantation devient le siège social de l’entreprise, appelée dès lors SALM (Société alsacienne du meuble), le principal lieu de développement étant la zone industrielle de Sélestat. Depuis la petite menuiserie jusqu’à l’établissement industriel actuel, c’est donc plus de 80 ans d’histoire. La troisième génération est actuellement aux commandes, en l’occurrence la petite-fille du fondateur, Anne Leitzgen. En 2013, l’entreprise reçoit le «Prix de l’entreprise numérisée de l’année». À fin 2015, l’usine de Sélestat s’agrandit d’une troisième tranche de 18’000 m2, nécessitant 40 millions d’euros d’investissement et générant 100 nouveaux emplois, en plus des 700 que comptait déjà le site. Cerise sur le gâteau,en avril 2016, la SALM est rebaptisée Schmidt Groupe, renouant ainsi avec le nom de son fondateur.
 
Quelques propos de participants au voyage d’étude du Club SIAMS
Nicolas Biau (SMC Pneumatik AG): «Pour moi ce fut une très bonne expérience, très enrichissante. Non seulement par les visites de ces deux sociétés en mettant l’accent sur l’innovation et l’industrie 4.0, mais aussi par le fait de pouvoir se retrouver entre entreprises suisses, cela permettant d’échanger sur différents points de vue et aussi sur différentes idées».
 
Claude Conrad (Polydec SA): «Pour ma part, très souvent, après la visite de sociétés de pointe (en Suisse comme à l’étranger), il y a une période de «déprime». J’ai parfois l’impression que nous ne sommes pas assez bons avec notre entreprise, tellement nous sommes éloignés du modèle que nous avons visité. Puis, dans un deuxième temps, au contraire je suis «boosté». Plein d’idées naissent et surgissent, inspirées par ces visites».
 
Yann Jacob (LNS SA): Notre petit pays se doit d’être uni et combatif pour faire face aux grandes puissances; notre région, précisément l’Arc Jurassien, a tout en main pour répondre à ces exigences. Ce genre d’événement témoigne de l’importance de pouvoir resserrer les liens entre nos différents partenaires».
 
Carlos Paredes (Tornos SA): «Nous avons découvert des entreprises qui ont totalement automatisé leur production, tout en travaillant à la commande, y compris pour des lots unitaires, voire même des besoins spécifiques de leur clients. Ces entreprises ont réussi à optimiser leur stock de pièces à un niveau très bas, sans mettre en danger le flux de production».
 
Xuanfengchen Zhang(Imoberdorf AG): «Nous avons engrangé de nombreuses informations par rapport à la tendance vers l’automatisation. SEW USOCOME gère l’ensemble de sa production de manière très ergonomie et moderne».
 
 

Une affaire importante
Pas mal d’eau a coulé sous les ponts depuis la réalisation artisanale de meubles à Türkismühle. Le groupe Schmidt, qui a réalisé un chiffre d’affaires annuel de 436’000 d’euros en 2015, occupe actuellement quelque 1500 collaborateurs et possède 707 points de vente dans le monde, soit 459 magasins Schmidt et 248 magasins Cuisinella. Il pointe au cinquième rang des fabricants européens de cuisines. Outre deux usines à Sélestat, le groupe possède un site de production à Lièpvre et un autre à Türkismühle. Le groupe Schmidt serait à notre connaissance le seul fabricant en France à cumuler les certifications ISO 9001, ISO 14001, ISO50001, OHSAS 18001 et PEFC international (gestion durable de la forêt). Il est également le précurseur de la norme NF (norme française) «Environnement Ameublement».
L’usine est entièrement automatisée et robotisée; pourtant chaque produit est unique et individuel. Toutes les réalisations sont personnalisées et réalisées sur mesure, qu’il s’agisse du matériau, de la façon, des dimensions, de la couleur, tout est défini à la commande. Bien qu’il n’y ait aucun stock au niveau de la production, quelque 1400 à 1500 commandes sont traitées quotidiennement.
Toute la production, à quelques petits détails près, est entièrement automatisée, numérisée et robotisée. Tout est synchronisé comme les instruments de musique dans un orchestre.
 
 
Le SIAMS et son «Club»
La SIAMS (Salon des moyens de production microtechniques) a lieu tous les printemps des années paires. La prochaine édition se tiendra au Forum de l’Arc à Moutier, du 17 au 20 avril 2018. L’idée d’un «Club SIAMS», qui est une initiative destinée à compléter l’offre du salon par des actions ciblées, a été validée par le comité des exposants au SIAMS. Selon Pierre-Yves Kohler, directeur du SIAMS, «cette initiative a pour but d’apporter encore plus de valeur au salon avec l’idée de base d’organiser des manifestation, des visites d’entreprises et autres actions, dans un esprit interactif et convivial, ce qui procure aux participants une possibilité unique d’élargir aussi bien leur horizon professionnel que le cercle de leurs relations». C’est dans cet esprit qu’une première manifestation (objet de cet article) a été organisée sous la forme d’un voyage d’études de deux jours, ayant pour objet la visite en exclusivité de deux grandes entreprises industrielles alsaciennes, en principe très secrètes et difficiles d’accès, dont les processus de production sont entièrement automatisés et robotisés dans l’esprit du concept «Industrie 4.0». Ce fut un succès, avec la participation d’une quarantaine de représentants de l’industrie arc-jurassienne. D’autres manifestations seront organisées tout au long de l’année.

www.siams.ch