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21 november 2014 | La Revue POLYTECHNIQUE 09/2014 | physical

La carte des premiers instants de l’Univers plus proche de la théorie

Grâce au télescope Planck, des physiciens ont réalisé une carte détaillée de la première lumière émise après le Big Bang. L’image présente des caractéristiques qui contredisent les théories standard de la cosmologie. Selon les scientifiques, ces anomalies s’expliquent par la manière dont les données ont été traitées.

Il y a un an, le télescope Planck offrait la première carte détaillée du fond diffus cosmologique, vestige du rayonnement originel issu du Big Bang. Or, cette image présente des caractéristiques allant à l’encontre du modèle standard de la cosmologie, qui décrit notre Univers de ses premiers instants à nos jours. Qui a raison, de la carte ou de la théorie?

Une équipe franco-suisse de l’EPFL et du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), en France, a montré que plusieurs des anomalies de la carte disparaissent lorsque l’on traite différemment les données fournies par le télescope. Pour ce faire, les chercheurs ont pris en compte divers facteurs, tels que le mouvement de la Voie lactée. Les résultats de leur recherche ont été dans le Journal of Cosmology and Astroparticle Physics.
 
Des micro-ondes issues de la nuit des temps
En dehors du spectre visible, il existe des gammes de lumière que l’œil ne perçoit pas, comme les ultraviolets ou les micro-ondes. Un faible rayonnement de micro-ondes emplit le ciel tout entier, jusqu’aux espaces entre les étoiles. Mais d’où proviennent-il?
Selon notre compréhension actuelle du Big Bang, ce rayonnement serait le vestige de la lumière émise par l’Univers lorsqu’il n’avait que de 380’000 ans. Avant d’atteindre cet âge, il était totalement opaque et la lumière restait prisonnière d’un plasma chaud. L’Univers s’est ensuite étendu et refroidi. Les électrons et les protons se sont associés en atomes stables et la lumière s’est propagée librement dans l’espace.
Ces premières lumières ont traversé le temps. Elles nous atteignent aujourd’hui sous forme de micro-ondes. De légères variations peuvent être observées au sein de ce rayonnement ambiant. Elles révèlent les origines de la structure actuelle de l’Univers, allant des planètes, des systèmes solaires et des galaxies, jusqu’aux amas ou aux super-amas de galaxies.
 
Le télescope Planck a photographié l’Univers primordial
En lançant le télescope spatial Planck, l’Agence spatiale européenne (ESA) avait précisément pour but de cartographier ce rayonnement avec une résolution sans précédent. Une fois les données de base recueillies, les chercheurs ont entrepris d’éliminer la luminosité parasite provenant d’objets au premier plan, tels des étoiles ou des galaxies. Les informations ont ensuite été réunies de manière à créer la carte la plus détaillée de ces micro-ondes d’origine cosmique – une sorte de photographie, en micro-ondes, de l’Univers primordial.
 
Les anomalies: pour quelques dizaines de millionièmes de degré
L’image confirme généralement les théories actuelles sur le Big Bang. Mais à large échelle, elle affiche également certaines caractéristiques inattendues, que les chercheurs désignent sous le nom d’anomalie. L’une d’elle concerne le fameux «point froid». Sur la carte de Planck, cette région de l’Univers apparaît comme ayant une température inhabituellement basse. La différence, qui n’est que de quelques dizaines de millionièmes de degré, peut sembler négligeable. Mais elle met à elle seule la carte en contrepied avec la théorie.
Les avis des experts divergent quant à la source de ces anomalies. Ces particularités à large échelle révèlent-elles l’existence de phénomènes requérant de nouvelles théories en physique? Ou le problème vient-il de la manière d’utiliser les informations fournies par le télescope Planck?
 
Les données ajustées, les anomalies disparaissent
Une récente étude européenne, menée par Anaïs Rassat, cosmologiste à l’EPFL, démontre que plusieurs de ces anomalies disparaissent lorsque les données du télescope sont traitées différemment. «Nous avons recouru à de nouvelles techniques pour séparer les émissions lumineuses de premier plan et de fond. Nous avons également pris en compte des éléments tels que le mouvement de notre propre galaxie», explique la chercheuse. «De la sorte, la plupart des anomalies, dont celle concernant le ’’point froid’’, ne posent plus de problème.»
Les méthodes utilisées précédemment laissaient des zones de luminosité parasites, qu’il fallait ensuite masquer pour procéder à l’analyse des informations. La démarche d’Anaïs Rassat et ses partenaires du CEA n’a en revanche nécessité aucun masquage, donnant accès à l’image du ciel dans son entier. Pour ajuster les données, les scientifiques ont encore tenu compte de différents critères et d’effets gravitationnels. Ils ont notamment intégré les mouvements de notre galaxie, ainsi que les distorsions de la lumière elle-même, issues de son long voyage au sein d’un Univers en expansion.
 
De la place pour une nouvelle physique
Si Anaïs Rassat et son équipe ont résolu les problèmes posés par plusieurs anomalies, d’autres subsistent. Pour la chercheuse, cette recherche n’est qu’une première étape dans l’analyse systématique de toutes ces irrégularités et de leur origine. Ce qui n’exclut pas que de nouvelles théories puissent également s’avérer nécessaires pour que carte et territoire correspondent.
 
Anaïs Rassat
EPFL
anais.rassat@epfl.ch
 
Jean-Luc Starck Cosmostat
CEA
jstarck@cea.fr