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29 october 2012 | La Revue POLYTECHNIQUE 09/2012 | Énergie

La démystication des semi-conducteurs

Le groupe ABB fabrique des semi-conducteurs de forte puissance depuis des décennies. Ces composants essentiels se trouvent au cœur de nombreuses technologies pointues, comme le transport d’électricité en courant continu à haute tension (CCHT) et la variation électronique de vitesse. En investissant dans les installations de son site suisse de Lenzbourg, le groupe ABB s’est donné les moyens de développer et de fabriquer toute une gamme de semi-conducteurs de puissance perfectionnés.
L’électronique de puissance se charge de maîtriser, d’adapter et de convertir l’énergie électrique, à l’aide de composants de commutation à semi-conducteurs, encore appelés «interrupteurs statiques» (figure 1). Les récents progrès de la discipline ont débouché sur un nombre toujours croissant d’applications. Les conséquences du réchauffement planétaire dû à la combustion des énergies fossiles jouent un rôle majeur dans le recours accru aux semi-conducteurs de puissance pour optimiser la production des énergies renouvelables et améliorer la performance énergétique.
 
Figure 1. Les dessous de
l’électronique de puissance.

 
Même aux premières heures de l’électricité, le critère de l’efficacité du transport a dicté le choix du courant continu (CC) ou alternatif (CA). À l’origine, les systèmes électriques étaient majoritairement bâtis sur des circuits CC, malgré l’impossibilité d’en modifier les niveaux de tension, qui en limitent l’usage. On construisit alors des générateurs permettant de répondre aux besoins de la charge sur le circuit en adaptant, par exemple, le niveau de tension à l’éclairage, aux moteurs, etc. Pour autant, l’inefficacité du transport à ces basses tensions obligeait à installer ces générateurs à proximité des consommateurs.
Le développement ultérieur des alternateurs et des transformateurs fut décisif pour porter cette tension à 110 kV ou plus, et améliorer ainsi le transport électrique sur de longues distances. Les générateurs pouvaient s’éloigner des lieux de consommation et s’affranchir de l’obligation d’adapter leurs niveaux de tension à la charge raccordée, des transformateurs «abaisseurs» accomplissant cette tâche. Ces premières avancées ont joué un rôle central dans le choix de la nature et de la topologie des réseaux de transport et de distribution.
Si les systèmes électriques se heurtent aujourd’hui à de nouvelles contraintes (rendement énergétique, écocompatibilité, etc.), la technologie reste le principal moteur de leur évolution. Ces dernières décennies, les progrès accomplis dans le domaine des semi-conducteurs ont considérablement influencé l’architecture des systèmes électriques du monde entier. Parmi les innovations qui en ont bénéficié, citons le transit massif d’électricité sur CCHT (transport d’électricité en courant continu à haute tension), l’introduction de la vitesse variable dans la motorisation d’une chaîne cinématique (source d’économies d’énergie), le passage d’une fréquence à l’autre en courant alternatif (50/60 Hz ou 50/162/3 Hz), ainsi que l’avènement des systèmes de transport flexibles en courant alternatif «FACTS» (Flexible AC Transmission Systems) pour stabiliser le réseau et en accroître la capacité de transfert.
 
Les domaines d’application
La grande majorité des dispositifs à semi-conducteur a fait de l’électronique grand public son domaine de prédilection: ordinateurs, lecteurs de DVD, téléphones mobiles, électroménager, consoles vidéo… Autant de produits qui fonctionnent généralement à des puissances de la gamme du milliwatt et du nanowatt. Leur course à la miniaturisation s’accompagne d’une complexité accrue qui oblige à loger sur des «micropuces» des centaines de millions d’interrupteurs commutant au niveau du nanowatt. La fonction de ces composants est habituellement gravée à la surface du matériau semi-conducteur (figure 2).
 
Figure 2. Semi-conducteurs employés
dans l’électronique grand public.

 
De plus, de nombreux semi-conducteurs de faible puissance servent aujourd’hui à modifier la forme du courant électrique, c’est-à-dire sa tension ou sa fréquence:
- convertisseurs continu-continu généralisés dans la plupart des appareils nomades (mobiles, MP3, etc.) dont ils maintiennent la tension à une valeur fixe, quel que soit le niveau de charge de la batterie;
- convertisseurs alternatif-continu («redresseurs») pour raccorder un appareil électronique au secteur (ordinateurs, téléviseurs, consoles de jeu, etc.);
- convertisseurs alternatif-alternatif, que l’on retrouve dans les adaptateurs de courant, les variateurs d’éclairage… Dans l’objectif de modifier le niveau de tension ou la fréquence;
- convertisseurs continu-alternatif («onduleurs») permettant d’alimenter les équipements CA d’une voiture à partir d’une batterie CC, par exemple.
 
De nos jours, ces composants commutent des mégawatts. Généralement au silicium, ils ont pour fonction de bloquer ou de conduire le courant électrique en utilisant les trois dimensions du semi-conducteur (figure 3). Souvent moins emblématiques que leurs minuscules cousins de l’électronique grand public, ils s’appuient sur les mêmes principes pour modifier la tension et la fréquence, mais à une échelle industrielle. Ils constituent les robustes interrupteurs de grande puissance à deux états stables, «passant» ou «bloqué».
 
Figure 3. Semi-conducteurs employés
dans l’électronique de puissance.

 
Même si l’électronique de puissance se contente d’un segment relativement modeste du marché des semi-conducteurs, l’explosion de la demande en composants de forte puissance, ces cinq dernières années, lui a permis de grignoter des parts pour répondre à de nouvelles applications aujourd’hui bien établies. Le groupe ABB compte parmi les grands producteurs et développeurs mondiaux de semi-conducteurs de forte puissance. Cette position de choix lui permet d’élargir leur champ d’application, grâce à une gamme de produits visant à doper l’efficacité énergétique.
 
Principaux composants
Le premier semi-conducteur de puissance – une diode de 7 kW – voit le jour au début des années 1950. Ce dispositif a pour particularité de ne laisser circuler le courant que dans le sens «direct» (figure 4). Les sociétés mères du groupe ABB, ASEA et BBC, ont tout de suite décelé le potentiel des semi-conducteurs en électronique de puissance et joué un rôle de premier plan dans leur développement et leur fabrication depuis le milieu des années 50. Les diodes à semi-conducteurs ont d’ailleurs équipé les premiers redresseurs statiques. Au tout début, les diodes haute tension produites par les devancières du groupe ABB servaient à redresser le courant alternatif dans l’électrométallurgie de l’aluminium. Ces travaux précurseurs ont contribué à faire du groupe ABB l’un des premiers fournisseurs mondiaux de semi-conducteurs de forte puissance.
 
Figure 4. Diodede redressement.

 
La fin des années 1950 voit l’avènement d’un nouveau semi-conducteur bipolaire, le thyristor. Il s’apparente à la diode, puisqu’il bloque le courant dans le sens inverse, mais il empêche aussi le flux d’électrons dans le sens direct, tant qu’il n’a pas reçu d’impulsion de commande. Ainsi la puissance ou le courant fournis à une charge peuvent-ils être contrôlés en déclenchant la conduction à un instant donné d’une période, en un point de la forme d’onde. Une fois amorcé (fermeture du contact), le thyristor reste conducteur et ne revient à l’état bloqué (ouverture du contact) qu’une fois par cycle, par extinction naturelle, au passage à zéro suivant du courant (figure 5). A l’état passant, il se comporte comme une diode. Capable de commuter plusieurs mégawatts, il peut convertir le courant alternatif en continu et vice-versa pour le transport CCHT. En 1954, la société ASEA installe la première liaison CCHT au monde; longue de 96 km et d’une puissance de 20 MW, elle alimente l’île de Gotland en courant de 100 kV, même si, à l’origine, ce système utilise exclusivement des redresseurs à vapeur de mercure. En 1970, les stations de conversion sont complétées par des valves à thyristors que l’on raccorde en série aux valves à vapeur de mercure pour porter la tension à 150 kV et la puissance de transport à 30 MW.
 
Figure 5. Thyristor amorcé par un signal
de gâchette et bloqué au zéro de courant.

 
Les systèmes CCHT actuels, équipés de thyristors en série, sont capables d’acheminer 6400 MW sur plusieurs milliers de kilomètres, constituant des méthodes de transport efficaces de l’énergie électrique, des groupes de production distants aux grands centres de consommation. Autre avantage: pour une même capacité de transit, les liaisons CCHT présentent des pertes inférieures à celles des lignes CA optimisées. Il faut bien sûr ajouter à cela les pertes dans les stations de conversion. Pour autant, celles-ci ne dépassant guère 0,7 % de la puissance transitée dans chaque station, les pertes totales du CCHT s’avérant globalement inférieures à celles de l’alternatif, au-delà d’une certaine distance (environ 500 km pour les lignes aériennes) (figure 6). De plus, le CCHT est l’unique solution viable pour les liaisons sous-marines de plus de 70 km.
 
Figure 6. Comparaison des pertes de transport
sur des lignes aériennes CA et liaison CCHT.

 
Des moteurs absorbent 65 % de l’énergie utilisée dans l’industrie
Même si les thyristors connectés en série peuvent commuter des puissances de plusieurs milliers de MW, il suffit d’un dispositif de ce type, de 10 MW, pour modifier la fourniture de tension et de courant, par l’intermédiaire d’un variateur moyenne tension, et réguler efficacement la vitesse d’un moteur industriel. Selon les estimations, les applications pilotées par des moteurs électriques absorbent 65 % de l’énergie utilisée dans l’industrie, dont une part considérable est consommée en pure perte par les méthodes traditionnelles de régulation de la vitesse des moteurs. Or, en utilisant des semi-conducteurs de puissance pour moduler la tension et la fréquence, on peut adapter la vitesse d’un moteur à courant alternatif, tout en diminuant fortement ses pertes. La vitesse variable permet de réduire en moyenne de 30 à 50 % la consommation d’énergie.
 
Le thyristor blocable par la gâchette «GTO»
Les progrès accomplis dans le domaine des semi-conducteurs ont débouché sur le thyristor blocable par la gâchette «GTO» (Gate Turn-Off thyristor) qui, contrairement au thyristor simple, peut être commandé à l’ouverture en un point arbitraire de la forme d’onde pour mieux contrôler la fourniture de puissance (figure 7). Le GTO est aujourd’hui courant dans les convertisseurs qui adaptent la fréquence du réseau électrique national à celle de la traction ferroviaire (trains et métros). Les deux premiers convertisseurs de fréquence utilisant des GTO, d’une puissance unitaire de 25 MVA, furent mis en service en 1994, à Giubiasco (Suisse). Ces appareils ont essaimé dans le monde entier pour adapter l’électricité fournie par le réseau aux besoins du rail.
 
Figure 7. Thyristor GTO avec commande
à l’amorçage/extinction par un signal HF.

 
Le thyristor intégré commuté par la gâchette «IGCT»
Le GTO ne tarda pas être concurrencé par le thyristor intégré commuté par la gâchette «IGCT» (Integrated Gate-Commutated Thyristor). Comme le GTO, l’IGCT peut basculer à l’état passant ou bloqué, mais son extinction beaucoup plus rapide lui permet de commuter à des fréquences bien supérieures à celles de son prédécesseur. Il peut gérer de rapides élévations de tension en affichant des pertes par conduction plus faibles. Aujourd’hui, des milliers de variateurs de vitesse embarquent des IGCT. L’IGCT peut à lui seul commuter des puissances à de hauts niveaux de tension, ce qui lui vaut d’être un composant essentiel du compensateur statique de puissance réactive* et d’autres constituants du réseau électrique.
 
Le transistor bipolaire à grille isolée «IGBT»
Il y a une vingtaine d’années, une variante en apparence simple du MOSFET (Metal-Oxide-Semiconductor Field-Effect Transistor) de puissance au silicium amorçait un tournant dans l’électronique de puissance avec la création du transistor bipolaire à grille isolée «IGBT» (Insulated-Gate Bipolar Transistor). En 1997, le groupe ABB commence à investir dans la production de tranches pour IGBT, à Lenzbourg (figure 8). Basé sur la technologie BiMOS (Bipolar-Metal-Oxide-Semiconductor), l’IGBT estréputé pour ses performances et sa rapiditéde commutation, basculant de l’étatpassant à l’état bloqué et inversement,plusieurs fois par cycle.
 

Figure 8. L’usine ABB de semi-conducteurs à Lenzbourg
Usine Début de la production: 1978 (bipolaire)
  Ajout BiMOS: 1997
  Achèvement de l’extension: 2010/2011
  Effectif: env. 500 employés environ
Fabrication Composants bipolaires
  Tranches BiMOS
  Modules BiMOS
Spécialisation Composants bipolaires (PCT (phase controlled thyristors), IGCT, diodes, GTO), plage 1,6 kV–8,5 kV
  Tranches BiMOS (diodes, IGBT), plage 1,2 kV à 6,5 kV
  Modules IGBT (boîtiers HiPakTM et StakPakTM), plage 1,7 kV à 6,5 kV
  Modules de puissance
 

 
Assemblés demultiples façons, les IGBT modifient latension ou la fréquence pour une kyrielled’applications, du transport en courantcontinu à haute tension HVDC Light® (figure 9) à la vitesse variable basse tension (figure 10).Ces deux domaines font certes appel àdes redresseurs et des convertisseurs.Néanmoins, comme dans toute application,c’est le mode d’assemblage de cescomposants à semi-conducteurs quiconditionne leur puissance de fonctionnement.
 
Figure 9. La station de conversion HVDC Light®
du parc éolien BorWin Alpha.

 
Les différentes familles de semi-conducteurs et leur assemblage déterminent leur adéquation à une application donnée. L’encapsulation de chaque composant vise non seulement à préserver son intégrité et ses performances, mais aussi à garantir sa sécurité de fonctionnement et sa longévité dans des environnements difficiles. Les modules HiPakTM du groupe ABB se destinent aux rudes milieux de la traction électrique et de l’industrie, par exemple. Ils sont appelés à fonctionner dans une vaste plage de température et d’hygrométrie, ou dans des conditions de vibrations ou de chocs intenses. Ils doivent aussi endurer de forts cycles thermiques. Les modules HiPak équipent des engins de traction, des variateurs et des aérogénérateurs. Un autre type de boîtier, le StakPakTM, exclusivité du groupe ABB, convient tout particulièrement au raccordement en série des nombreux modules d’IGBT nécessaires aux applications haute tension.
 
Figure 10. Variateurs de vitesse.

 
Les semi-conducteurs de puissance sont indissociables d’un nombre croissant de produits et systèmes ABB investissant la quasi totalité des applications électriques. Ils assurent la commande en vitesse variable de moteurs de 10 W à plusieurs centaines de MW et le transport de fortes puissances (jusqu’à 6 GW) sur des lignes CCHT de 800 kV. Ils permettent aux trains, engins de levage et ascenseurs de fonctionner sans à-coups, et aux énergies renouvelables, comme l’éolien et l’hydroélectrique, de se raccorder au réseau. Sans oublier les systèmes radar des aéroports qui en font les infaillibles «pilotes» de la navigation aérienne.
 
Les auteurs:
Claes Rytoft (claes.rytoft@ch.abb.com)
Responsable Technologies des systèmes d’énergie
ABB Power Systems
Zurich
 
Bernhard Eschermann (bernhard.eschermann@ch.abb.com)
Responsable Semi-conducteurs de puissance
ABB Power Systems
Lenzbourg
 
Harmeet Bawa (harmeet.bawa@ch.abb.com)
Responsable Communication
Power Products and Power Systems
Zurich
 
Mark Curtis (mark.curtis@ch.abb.com)
Rédacteur technique
Revue ABB
Zurich
 

* Dispositif basé sur la technologie des condensateurs commutés par thyristors, des inductances commandées par thyristors et des filtres d’harmoniques, capable de fournir et d’absorber du courant réactif pour améliorer la stabilité de la tension.