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25 february 2018 | La Revue POLYTECHNIQUE

Le capteur de couleurs empilé

Empiler les capteurs de couleurs sensibles au rouge, au bleu et au vert au lieu de les aligner à la manière d’une mosaïque: ce principe pourrait permettre de réaliser des capteurs d’images d’une résolution et d’une sensibilité à la lumière encore jamais atteinte précédemment. Des chercheurs de l’Empa et de l’EPFZ ont développé un prototype de capteur qui absorbe la lumière de manière quasiment idéale et dont la fabrication, s’avère peu onéreuse.

Pour percevoir les couleurs, l’œil humain est pourvu de trois différents types de cellules sensorielles: les cellules sensibles au rouge, au vert et au bleu se relayent dans l’œil et rassemblent leurs informations pour obtenir une image complète de la couleur. Les capteurs d’images – tels que les appareils photos des téléphones portables – ont un fonctionnement semblable: comme sur une mosaïque, les capteurs bleus, verts et rouges alternent. Les algorithmes intelligents des logiciels calculent une image colorée de haute résolution à partir des différents pixels de couleur.

Toutefois, ce principe se heurte à certaines limites. Puisque chaque pixel ne peut absorber qu’une petite partie du spectre optique, une grande quantité de lumière se perd. En outre, les capteurs ne peuvent guère être miniaturisés davantage et des perturbations d’images non souhaitées – les effets dits moirés –, peuvent apparaître et doivent être retirés de l’image.
 
Image originale (à gauche) et représentation correspondante dans les domaines rouge, vert et bleu, ainsi qu’une image composée.(Image: Empa)
 
 

Transparent pour certaines couleurs seulement
Depuis quelques années, des chercheurs se penchent sur l’idée d’empiler les trois capteurs au lieu de les placer côte à côte. Bien sûr, cela implique que les capteurs supérieurs laissent passer vers les capteurs inférieurs les fréquences lumineuses non absorbées. À la fin des années 1990, on est parvenu pour la première fois à fabriquer un tel capteur. Il était composé de trois couches de silicium empilées, dont chacune n’absorbait qu’une seule couleur.
C’est ce qui a d’ailleurs conduit au développement d’un capteur d’images disponible dans le commerce. Néanmoins, celui-ci n’a pas su s’imposer sur le marché. Puisque les spectres d’absorption des différentes couches n’étaient pas suffisamment séparés, une partie de la lumière verte et rouge était déjà absorbée par la couche sensible au bleu. Résultat: des couleurs qui s’estompent et une sensibilité à la lumière qui s’avère même inférieure à celle des capteurs de lumière traditionnels. En outre, la production des couches de silicium absorbantes a impliqué un processus de fabrication complexe et coûteux.
 
Un prototype composé de pérovskites
Récemment, des chercheurs de l’Empa sont parvenus à développer un prototype de capteur qui pallie ces problèmes. Il se compose de trois différents types de pérovskites – un type de matériau semi-conducteur de plus en plus important depuis quelques années, dans le développement de nouvelles cellules solaires, par exemple, grâce à ses propriétés électriques hors du commun et sa bonne capacité d’absorption de la lumière.
En fonction de leur composition, ces pérovskites peuvent absorber une partie du spectre optique, tout en restant transparentes pour le reste de ce spectre. C’est ce principe que les chercheurs de l’équipe de Maksym Kovalenko de l’Empa et de l’École polytechnique fédérale de Zurich ont appliqué pour fabriquer un capteur de couleurs dont la taille ne dépasse pas un pixel. Ils sont ainsi parvenus à reproduire aussi bien de simples images unidimensionnelles, que des images plus réalistes à deux dimensions – et ce, en restant extrêmement fidèles aux couleurs.
 
Une pile au lieu d’une mosaïque: chaque couche de pérovskite absorbe une partie seulement du spectre lumineux.(Image: Empa)
 

 

Reconnaître les couleurs avec précision
Les avantages de cette nouvelle approche sont évidents. Les spectres d’absorption sont clairement séparés les uns des autres, la reconnaissance des couleurs est donc bien plus précise que pour les couches de silicium. En outre, les coefficients d’absorption – notamment pour les parties du spectre de longueurs d’ondes plus grandes (vert et rouge) – sont bien plus élevés dans le cas des pérovskites que dans celui du silicium. Cela permet de fabriquer des couches bien plus petites et donc des pixels de taille plus réduite.
Cela n’a rien de décisif pour les capteurs d’appareils photo habituels; mais pour d’autres technologies d’analyse, comme la spectroscopie, cela pourrait ouvrir la porte à une résolution spatiale bien plus élevée. En outre, les pérovskites peuvent être fabriquées dans le cadre d’un processus peu onéreux par rapport à d’autres.
Pour développer ce prototype et en faire un capteur d’images exploitable dans le commerce, un travail de développement reste toutefois à faire. La miniaturisation des pixels et les méthodes permettant de fabriquer en une seule fois une matrice entière de pixels de ce type sont, par exemple, des questions essentielles. Selon Maksym Kovalenko, cela devrait néanmoins être possible par le biais de technologies existantes.
 
Les pérovskites, un matériau prometteur
Les pérovskites constituent un matériau si prometteur dans la recherche, que la revue Science Magazine a publié une édition spéciale à ce sujet. Elle comporte un article du groupe de chercheurs de l’Empa et de l’EPFZ autour de Maksym Kovalenko, portant sur l’état actuel de la recherche et les perspectives en matière de nanocristaux de pérovskites plomb-halogénures. Les propriétés que présentent ces derniers en font des candidats prometteurs pour le développement de nanocristaux semi-conducteurs destinés à différentes applications optoélectroniques, comme des écrans de télévision, des LED ou des cellules solaires. Leur fabrication est peu onéreuse, ils présentent une grande tolérance en matière de défauts et peuvent être préparés avec exactitude pour renvoyer la lumière dans un certain spectre de couleurs.
 
Référence
M Kovalenko, L Protesescu, MI Bodnarchuk; Properties and potential optoelectronic applications of lead halide perovskites nanocrystals; Science (2017); DOI: 10.1126/science.aam7093
 
Prof. Maksym Kovalenko
Tél. 0 58 765 45 57
maksym.kovalenko@empa.ch
www.empa.ch