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04 april 2014 | La Revue POLYTECHNIQUE 02/2014 | Énergie

Le développement prudent de la géothermie

James Dettwiler

Dans sa stratégie énergétique 2050, le gouvernement suisse est prêt à miser ces prochaines années sur l’énergie géothermique. Pourtant, la viabilité de celle-ci n’a pas encore été démontrée, ni la capacité de convaincre la population qu’elle est une source d’énergie sûre. Parmi les premiers essais, deux projets de stations géothermiques ont provoqué des secousses sismiques non négligeables.
La géothermie désigne à la fois la science qui étudie les phénomènes thermiques internes du globe terrestre et la technologie qui vise à l’exploiter. Par extension, la géothermie représente également l’énergie issue de la chaleur de la Terre, qui est convertie en chaleur. Cette dernière a deux origines:
  • La première provient de la formation de la Terre il y a 4,5 milliards d’années par accrétion des poussières d’étoiles. On estime que cette chaleur initiale représente 10 % environ de la chaleur géothermale.
  • La seconde vient d’isotopes radioactifs de noyaux comme l’uranium, le thorium ou le potassium présents à l’intérieur de la Terre depuis sa formation.
 
La température de la Terre est élevée, puisque 99 % de son volume a une température supérieure à 200 °C. Cependant, la croûte terrestre est un mauvais conducteur de chaleur, ce qui rend la vie à la surface de la Terre possible. Il existe dans la croûte terrestre, épaisse en moyenne de 30 km, un gradient de température appelé gradient géothermique, selon lequel plus on creuse et plus la température augmente; en moyenne de 3,3 °C par 100 m de profondeur. Toutefois, il est possible de trouver des zones privilégiées où ce gradient est plus élevé: il est de plus de 10 °C tous les 100 m en Alsace.
 
Photo: Richard Bartz

 
Une énergie abondante de faible intensité
Le flux de chaleur géothermique à la surface de la Terre est de l’ordre de 0,06 W/m2, à comparer au flux solaire, qui est quelque 6000 fois plus important (340 W/m2). Toutefois, lorsque la chaleur est prélevée à un endroit et que la ressource locale est épuisée, il est nécessaire d’attendre que la zone se réchauffe. Le rythme d’exploitation est donc supérieur au rythme de renouvellement naturel de la chaleur, ce qui peut entraîner un épuisement de la ressource à terme.
Cette source d’énergie est en général diffuse et rarement concentrée, avec un flux moyen de 0,1 MW/km² et un niveau de température faible. Cependant, il arrive qu’elle soit plus concentrée vers les failles tectoniques, entre les plaques terrestres, en particulier vers les formations volcaniques ou encore dans d’autres types de formations géologiques favorables, par exemple.
L’énergie géothermale est utilisée pour deux applications: produire de la chaleur, c’est l’usage direct, ou fabriquer de l’électricité. Celle-ci, n’étant pas encore aussi évoluée que celle appliquée au chauffage, est produite avec l’utilisation de sources géothermales de température moyenne ou haute.
Il est possible de classer grossièrement les sources géothermales en trois familles:
 
Les sources à basse température (30 à 90 °C)
Ce type de géothermie consiste à extraire une eau à moins de 90 °C dans des gisements situés entre 1500 et 2500 m de profondeur. Les réservoirs exploités se trouvent en principe dans les bassins sédimentaires, car ceux-ci recèlent généralement des roches poreuses, telles que des grès, des conglomérats, ainsi que du sable, imprégnés d’eau. Le niveau de chaleur fourni est insuffisant pour produire de l’électricité, mais parfait pour le chauffage des habitations et certaines applications industrielles.
 
Les sources à moyenne température (90 à 150 °C)
Ce genre de géothermie se présente sous forme d’eau chaude ou de vapeur humide à une température comprise entre 90 et 150°C. On la retrouve dans les zones propices à la géothermie haute énergie, mais à une profondeur inférieure à 1000 m. Elle se situe également dans les bassins sédimentaires, à des profondeurs allant de 2000 à 4000 m. Pour la production d’électricité, une technologie nécessitant l’utilisation d’un fluide intermédiaire est nécessaire.
 
Les sources à haute température (>150 °C)
Cette géothermie concerne les fluides qui atteignent des températures supérieures à 150 °C. Les réservoirs, généralement situés entre 1500 et 3000 m de profondeur, se situent dans des zones de gradient géothermal anormalement élevé. Lorsqu’il existe un réservoir, le fluide peut être capté sous forme de vapeur sèche ou humide pour la production d’électricité.
 
La géothermie en Suisse
Le gouvernement suisse est prêt à miser sur l’énergie géothermique dans le cadre de sa stratégie énergétique 2050. Mais ses promoteurs n’ont pas encore démontré sa viabilité, ni leur capacité de convaincre la population qu’elle est une source d’énergie sûre et sécuritaire. En effet, des projets de centrales géothermiques ont provoqué des tremblements de terre, qui ont eu lieu dans deux régions différentes.
Fin 2006 et début 2007, dans la région de Bâle, plusieurs séismes, dont certains d’une magnitude supérieure à 3,2 sur l’échelle de Richter, ont eu lieu, causés par des forages dans le cadre du premier projet de centrale géothermique de Suisse. Les travaux ont été arrêtés à cause de ces séismes provoqués par l’injection d’eau pressurisée à 5000 m de profondeur. Ce projet devait fournir du chauffage pour 2700 habitations et de l’électricité pour 10’000 ménages bâlois. Ce projet de centrale géothermique à Bâle a été depuis abandonné.
Plus récemment, en juillet 2013, à l’ouest de la ville de St-Gall, une secousse d’une magnitude de 3,6 a été ressentie du lac de Constance jusque dans la région d’Appenzell. L’hypocentre, soit le point souterrain à l’origine du séisme, était situé à une profondeur de 4 km. Dans les deux cas, l’objectif était de trouver de l’eau à 140 °C à 4500 m de profondeur, et de construire une centrale qui alimenterait la moitié des immeubles de la ville. Actuellement, les Services industriels de St-Gall évaluent l’ensemble des données recueillies et détermineront sur cette base la suite à donner à ce projet.
Aucune centrale géothermique n’a encore vu le jour en Suisse. La technologie impliquée n’est pas enterrée pour autant. Le gouvernement suisse veut que la géothermie couvre jusqu’à 7 % des besoins en électricité du pays d’ici à 2050, c’est-à-dire qu’il faudrait produire 4400 GWh environ d’ici 40 ans. Quant aux experts de l’énergie, ils se disent convaincus que les projets de géothermie peuvent se concrétiser.