04 august 2013 |
La Revue POLYTECHNIQUE 08/2013 |
Biology
Le mystère de la lèpre médiévale réside-t-il dans son génome?
Pourquoi la lèpre a-t-elle connu un recul subit à la fin du Moyen Age? Des biologistes et archéologues révèlent dans la revue Science, le génome de souches médiévales de la maladie. Leur travail permet d’éclaircir ce pan obscur de l’Histoire, et inaugure de nouvelles méthodes pour mieux comprendre les épidémies.
Dans l’Europe médiévale, la lèpre était une maladie commune. L’imaginaire collectif en a gardé la trace: on se représente volontiers le malade enveloppé d’une robe de bure, signalant sa présence dans les ruelles d’une cité en agitant sa crécelle. Le cliché n’est pas sans fondement. On estime que dans certaines régions, près d’une personne sur trente était infectée.
Soudainement, au tournant du XVe et du XVIe siècle, la maladie a reculé sur la plus grande partie du continent. Un événement aussi subit qu’inexpliqué. Se pourrait-il que l’agent pathogène ait évolué vers une forme moins virulente? Des biologistes et des archéologues ont conjugué leur savoir-faire pour apporter une réponse. Cette équipe internationale révèle, dans la revue Science, le génome presque complet de cinq souches de la bactérie Mycobacterium leprae, reconstitué à partir de restes humains prélevés dans des sépultures médiévales.
Les scientifiques sont parvenus à reconstruire la quasi totalité du génome des souches de lèpre médiévale. Il s’agit d’une véritable gageure: le matériel issu des ossements présentait moins de 0,1 % d’ADN bactérien, le reste étant constitué de matériel humain. Les chercheurs ont développé une méthode extrêmement sensible, leur permettant de séparer les deux ADN et de reconstituer le génome de leur cible avec une précision sans précédent. «Nous sommes parvenus à reconstituer ce génome sans avoir à utiliser les souches actuelles comme base», explique Pushpendra Singh, co-auteur et chercheur à l’EPFL, qui a travaillé en étroite collaboration avec l’équipe de Johannes Krause à l’Université de Tübingen,située dans le Land de Bade-Wurtemberg,en Allemagne.
L’homme sélectionné pour résister à la maladie
Le constat des chercheurs est sans appel. Le génome des souches médiévales ressemble presque trait pour trait à celui des souches contemporaines, et le mode d’action n’a pas changé. «Si l’explication du recul de la lèpre ne se trouve pas dans l’agent pathogène, c’est donc dans son hôte, c’est-à dire nous-même, qu’il faut la chercher», explique Stewart Cole, co-directeur de l’étude, à la tête du Global Health Institute de l’EPFL.
De nombreux indices laissent penser que ce serait l’homme qui aurait développé des résistances. Toutes les conditions étaient réunies pour que s’opère un intense processus de sélection naturelle: une prévalence extrêmement forte de la lèpre, ainsi qu’un isolement social forcé pour les malades. «Dans certaines conditions, les malades peuvent être simplement amenés à moins procréer», avance Stewart Cole. «De plus, d’autres études ont identifié des causes génétiques rendant la plupart des Européens plus résistants que le reste de la population mondiale, ce qui va également dans le sens de cette hypothèse».
Un trafic de pathogènes entre la Scandinavie et le Moyen-Orient
Petite curiosité, les chercheurs ont trouvé en Suède et au Royaume-Uni une souche médiévale presque identique à celle que l’on trouve aujourd’hui au Moyen-Orient. «Nous n’avons pas les données qui nous permettent de savoir dans quelle direction s’est répandue l’épidémie. Celà pourrait être les croisades qui ont amené le pathogène en Palestine. Mais le processus aurait pu se faire également dans l’autre sens».
Au-delà de l’intérêt historique, ce travail revêt une grande importance pour une meilleure compréhension des épidémies, ainsi que du fonctionnement de l’agent de la lèpre. Les méthodes de séquençage conçues autour de ce travail comptent parmi les plus précises jamais mises au point. Elles pourraient permettre de retracer de nombreux pathogènes noyés dans de l’ADN étranger. De plus, la grande résistance du matériel génétique de la bactérie Mycobacterium leprae - probablement due à son épaisse enveloppe cellulaire - laisse entrevoir la possibilité de remonter plus loin encore dans le temps. Il s’agirait alors de mieux comprendre comment et dans quelles conditions est apparue une maladie, qui touche encore plus de 200’000 personnes par année dans le monde.