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24 april 2013 | La Revue POLYTECHNIQUE

Le rôle de la Suisse dans la sécurité alimentaire

Esther Volken

Comment la Suisse peut-elle contribuer à la sécurité alimentaire dans le monde? L’ouverture des marchés internationaux et les changements structuraux qui vont de pair, les effets du changement climatique et la raréfaction des ressources n’ont pas seulement des conséquences importantes à l’échelle de la planète, mais aussi en Suisse. Quel rôle doit-elle jouer dans le marché mondialisé de l’alimentation?
Le défi
Aujourd’hui, la Suisse assure elle-même 50 à 60 % de sa subsistance. Elle dépend donc en partie du marché international et profite de l’éventail offert dans le monde. Les effets d’une ouverture accrue du marché suisse sont évalués de manière contrastée. Les entreprises axées sur l’exportation devraient plutôt en bénéficier, alors que les sociétés actives sur le marché intérieur seraient confrontées à de nouveaux défis. L’agriculture considère aussi cette ouverture d’un œil sceptique, car elle provoquerait une baisse du prix des produits agricoles aisément transportables.
La globalisation des marchés peut creuser ou atténuer les disparités affectant la prospérité dans le monde. Les objectifs du développement durable – supportable au plan environnemental et social, au nord comme au sud – ne seront atteints que si les pays industrialisés et en plein développement ne profitent pas unilatéralement de l’ouverture croissante des marchés. La Suisse est plutôt bien lotie en regard des défis posés à la sécurité alimentaire dans le monde. C’est aussi vrai pour son approvisionnement actuel et futur, que pour sa production vivrière. Mais il faut impérativement que notre pays se préoccupe des conséquences du changement climatique dans le monde, de la raréfaction du sol, ainsi que de l’avenir de l’agriculture indigène.
 
CC - Jürg Fuhrer, Agroscope
 

Evolutions attendues
Situation alimentaire dans le monde
On s’attend à ce que l’intensification des événements météorologiques extrêmes accroisse les pertes de production dans d’importants pays exportateurs, ce qui occasionnera de grosses fluctuations de prix sur le marché mondial et compliquera l’approvisionnement des pays importateurs pauvres. Les denrées dont le prix varie sans cesse deviennent des cibles intéressantes pour les spéculateurs actifs sur les marchés financiers, ce qui tend à amplifier encore les fluctuations. En comparaison avec les pays importateurs pauvres, la Suisse restera privilégiée: on ne s’attend pas à ce qu’elle connaisse des problèmes d’approvisionnement, car elle a les capacités nécessaires pour couvrir ses besoins en recourant à l’importation. Mais elle doit utiliser raisonnablement ses propres ressources agricoles et s’impliquer en faveur d’un commerce équitable afin de contribuer au développement durable dans le monde. Des produits sont échangés équitablement lorsque les bénéfices qu’ils génèrent font l’objet d’un juste partage avec les producteurs. C’est pourquoi il est toujours plus important d’indiquer de manière complète et transparente comment, où et par qui les aliments importés sont produits.
 
Ouverture du marché suisse
L’évolution du marché suisse de l’alimentation peut suivre différents scénarios: (1) une ouverture lente, due à l’augmentation du tourisme des achats et du trafic de perfectionnement, ainsi qu’à la suppression de certains droits de douane dans le cadre d’accords de libre-échange avec des partenaires extra-européens; (2) une ouverture progressive et accompagnée vis-à-vis de l’Union européenne dans le cadre d’un accord de libre-échange agroalimentaire (ALEA); (3) une convention mondiale dans le cadre du Cycle de Doha de l’OMC; (4) une combinaison du deuxième et du troisième scénario. Les conséquences pour l’industrie alimentaire diffèrent selon le scénario, l’orientation de l’entreprise considérée et sa taille. Pour sa part, l’agriculture suisse voit généralement d’un mauvais œil cette ouverture accrue du marché. Les produits helvétiques sont en effet peu compétitifs au plan international à cause du coût élevé du travail en Suisse. Mais l’isolement – et la disparition de la concurrence qui en découle – ne représente pas une option viable pour la production agricole suisse. Il est d’autant plus important de s’assurer un avantage concurrentiel en proposant des produits de haute qualité.
 
Raréfaction des terres agricoles
La superficie vouée à l’agriculture diminue en Suisse. Depuis 1996, 2200 hectares ont été abandonnés chaque année en moyenne, ce qui correspond à la superficie de plus de trois mille terrains de football. L’urbanisation due à l’augmentation de la population et de la surface habitable par personne continuera d’exercer une forte pression sur l’agriculture. Viennent s’y ajouter des impératifs écologiques (aires de compensation) et la demande d’espace pour les loisirs de proximité et en pleine nature.
 
Changement climatique
En Suisse, un réchauffement modéré, inférieur à 2-3 °C jusqu’en 2050, bénéficiera probablement à l’agriculture. Le rendement des prairies et de diverses cultures ne sera pas pénalisé car elles auront suffisamment d’eau et de nutriments à disposition. Ce sera peut-être l’occasion de planter de nouvelles cultures et variétés ou de transférer certaines productions. L’agriculture par irrigation gagnera en importance. Parmi les effets négatifs du changement climatique, on s’attend à ce que les périodes de canicule et de sécheresse deviennent de plus en plus longues et fréquentes alors que les mauvaises herbes et les insectes parasites devraient proliférer. En cas de réchauffement marqué, supérieur à 2-3 °C jusqu’en 2050, la production agricole éprouverait plus d’inconvénients que d’avantages, même en Suisse.

Mesures et approches
  • Tandis que les rendements agricoles profiteront encore du réchauffement climatique à court et à moyen terme en Suisse et dans d’autres pays d’Europe centrale, certaines régions, d’Afrique subsaharienne notamment, souffrent déjà de ses conséquences. La solidarité des pays du Nord envers ceux du Sud revêtira toujours plus d’importance. Les conditions régissant les échanges, les politiques de subventionnement et les modes de fixation des prix doivent permettre de commercer équitablement avec les producteurs du Sud (et de l’Est). A cet effet, il faut mieux intégrer et homogénéiser les politiques en matière de développement et d’agriculture et encourager l’innovation et le transfert de connaissances.
  • La Suisse est à même d’atténuer la pénurie alimentaire dans les pays défavorisés en soutenant la mise en place de structures de formation adaptées et efficaces dans le domaine agroalimentaire, en encourageant des recherches et des transferts de technologie, ainsi que de connaissances appropriés.
  • La Suisse contribue à garantir la sécurité alimentaire dans le monde en poursuivant une politique agricole axée sur le développement durable.
  • Il faut attirer l’attention des consommateurs sur l’écobilan de leur alimentation afin de préserver les bases naturelles de la vie. Des mesures doivent être prises pour diminuer la suralimentation, les pertes lors du traitement des aliments et les quantités de nourriture rejetée.
  • Une ouverture accrue du marché suisse demandera une adaptation de son agriculture. Les mesures mises en œuvre devront être supportables au plan social et environnemental.
  • Comme le sol est un bien disponible en quantité limitée en Suisse également, il faut le gérer avec plus de parcimonie et d’égards que jusqu’ici. Les différents intérêts en jeu (surfaces habitables, terrains agricoles, aires de compensation écologique, espace pour les loisirs de proximité et en pleine nature) doivent être mis en balance.
  • L’agriculture suisse doit s’adapter au changement climatique en adoptant des cultures, des variétés de plantes, des méthodes de travail, des modes de gestion et des procédés d’irrigation adaptés, basés sur des recherches appropriées. L’eau d’irrigation doit être consommée le plus efficacement possible.
 

Bibliographie
[1] Food security for a planet under pressure. RIO+20 Policy Brief #2. One of nine policy briefs produced by the scientific community to inform the United Nations Conference on Sustainable Development (Rio+20), 2011.
[2] Anseeuw, W., L. Alden Wily, L. Cotula, and M. Taylor, 2011. Land Rights and the Rush for Land: Findings of the Global Commercial Pressures on Land Research Project. ILC, Rome.
[3] Gustavsson, J., Cederberg, C., Sonesson, U., van Otterdijk, R. & Meybeck, A.FAO, 2011. Global food losses and food waste: extent, causes and prevention. (Study conducted for the International Congress «Save Food!» at Interpack2011, Düsseldorf, Germany).
[4] International Assessment of Agricultural Knowledge, Science and Technology for Development (IAASTD), Global Summary for Decision Makers. Accessed online 23 September 2008.
[5] Steinfeld, H., H. A. Mooney, F. Schneider, L.E. Neville (ed). Livestock in a Changing Landscape: Drivers, Consequences and Responses. Island Press, Washington, DC. Bundesamt für Landwirtschaft, 2011. Rapport agricole. Bern.
 
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