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08 june 2016 | La Revue POLYTECHNIQUE 04/2016 | Fusion nucléaire

Le stellarator: une étape dans la recherche sur la fusion

Michel Giannoni

En décembre dernier, le projet de recherche sur la fusion Wendelstein 7-X de l’Institut Max-Planck de physique des plasmas a produit son premier plasma. Avec la mise en service de ce stellarator supraconducteur - la plus grande installation de fusion de ce type au monde -, une étape importante a été franchie dans la recherche sur la fusion nucléaire. Le stellarator est une approche alternative au réacteur thermonucléaire ITER, actuellement en construction dans le sud de la France.
La première rencontre du Forum nucléaire suisse de l’année 2016 a été consacrée au stellarator supraconducteur Wendelstein 7-X, situé à Greifswald, dans le nord de l’Allemagne. Le professeur Thomas Klinger, directeur scientifique de l’expérience Wendelstein 7-X menée à l’Institut Max-Planck de physique des plasmas, a présenté à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, un exposé sur la mise en service de cette installation qui, en produisant son premier plasma en décembre dernier, constitue une étape importante dans la recherche sur la fusion nucléaire.

Le professeur Klinger a donné un aperçu des principes de base de la fusion nucléaire, tout en rappelant les principales caractéristiques physiques des stellarators. Il a également parlé des défis associés au développement d’un tel prototype et mis en évidence le caractère pionnier et audacieux que revêtent la conception et la construction d’une installation qui est unique en son genre. Le professeur Klinger a présenté les perspectives de développement des centrales à fusion du type stellarator et décrit les principales questions restant à régler dans ce domaine par la recherche mondiale.
 
 
Le confinement du plasma dans le tokamak.

Le confinement du plasma dans le stellarator.

Deux technologies pour un même but

Tout comme le tokamak, le stellarator utilise des champs magnétiques de très haute intensité pour confiner le plasma. Mais si, dans le tokamak, le confinement est réalisé par un courant toroïdal circulant à l’intérieur du plasma, le stellarator utilise un champ magnétique hélicoïdal créé par l’arrangement complexe de bobines supraconductrices en NbTi dites «poloïdales» autour du tore, alimentées en courants forts.
Dans un tokamak, la chambre de confinement magnétique est créée en partie par des champs magnétiques externes qui entourent une enceinte de plasma toroïdale. L’autre partie du champ magnétique est produite par un courant continu, qui circule dans le plasma et qui est fourni par un transformateur sous la forme d’impulsions. C’est la raison pour laquelle un tokamak ne fonctionne pas en continu.
Etant donné que, pour des raisons techniques, une centrale électrique ne doit pas fonctionner par impulsions, les scientifiques espèrent que, lors d’une phase ultérieure de développement, le courant continu pourra être maintenu – notamment par des ondes électromagnétiques à haute fréquence, domaine dans lequel le Swiss Plasma Center (SPS) de l’EPFL (anciennement CRPP, Centre de recherche en physique des plasmas) est spécialisé.
Contrairement aux tokamaks, les stellarators peuvent être exploités en continu. Dans ce concept, le champ magnétique généré dans la chambre à plasma - elle aussi toroïdale -, l’est entièrement par des bobines magnétiques externes. Ces bobines présentent toutefois une forme bien plus complexe que celles d’un tokamak.
Le tokamak et le stellarator sont deux technologies complémentaires plutôt que concurrentes. L’installation Wendelstein 7-X a pour objectif d’étudier l’aptitude de ce type de construction pour de futures centrales, alors qu’ITER a pour but de prouver la faisabilité technique de la fusion nucléaire.
Deux autres installations de recherche existent dans le monde:l’Helically Symmetric Experiment (HSX) à l’université de Wisconsin-Madison aux États-Unis et le Large Helical Device au Japon.

Les principaux éléments du stellarator.

Vue en coupe du stellarator supraconducteur Wendelstein 7-X.
(Illustration: Institut Max Planck)
 
L’installation Wendelstein 7-X
Afin de démontrer le fonctionnement du principe du stellarator dans le cadre d’une centrale électrique autrement que par ITER, l’Institut Max-Planck de physique des plasmas a lancé au printemps 2005, à Greifswald, sur la mer Baltique, le montage de la machine «Wendelstein 7-X». Celle-ci a été achevée en mai 2014 et, après un contrôle par étapes de l’ensemble des systèmes techniques, le premier plasma à partir d’hélium a été généré en septembre 2015, puis avec de l’hydrogène quelques mois plus tard. Ce stellarator, qui est le plus grand du monde, doit permettre d’attester l’aptitude au fonctionnement en continu en générant des décharges d’une durée d’une demi-heure.
Selon Thomas Klinger, le stellarator Wendelstein 7-Xdevrait être capable de confiner le plasma plus longtemps qu’un tokamak de taille équivalente. Si sa construction est beaucoup plus compliquée, en raison de l’agencement très particulier des bobines magnétiques, son utilisation est, en revanche, plus simple, car plutôt que d’utiliser du courant pour confiner le plasma, il n’utilise que des bobines magnétiques.
 
Un plasma de 100 millions de degrés
Dans une expérience réalisée sur l’installation Wendelstein 7-X,le 3 février dernier, les physiciens de l’Institut Max-Planck ont réussi à créer un plasma de 100 millions de degrés en bombardant des atomes de deutérium avec des micro-ondes. Ils ont pu maintenir ce plasma pendant un quart de seconde. Des décharges d’une durée pouvant aller jusqu’à 30 minutes devraient être possibles d’ici quatre ans environ. 
 
Le stellarator Wendelstein 7-X. L’installation terminée. (Illustration: Institut Max Planck)

 

Les réactions de fusion
Parmi toutes les réactions de fusion possibles, celle de l’hydrogène «lourd» (deutérium et tritium) en hélium est la plus favorable. Le grand défi technique réside dans le fait que sur Terre, la fusion ne peut s’allumer qu’à des températures supérieures à 100 millions de degrés, en raison des forces de répulsion des noyaux atomiques chargés positivement. À une température aussi élevée, les électrons sont détachés des noyaux atomiques, qui sont ainsi ionisés, et le gaz prend la forme de plasma. Ce plasma étant conducteur, il peut être influencé par des champs magnétiques. C’est cette propriété qui est utilisée dans le réacteur de fusion en confinant le plasma chaud dans une chambre magnétique et en le tenant ainsi éloigné des parois du réacteur.
Parmi les noyaux atomiques qui participent au processus de fusion, seul le tritium est radioactif. Il possède une demi-vie de douze ans. Il se forme uniquement dans le réacteur et se transforme de manière continue en hélium non radioactif. Avec le temps, les neutrons de haute énergie libérés activent toutefois les matériaux de la structure du réacteur. Cent ans après l’arrêt de l’exploitation, ces composants ne sont plus radioactifs et ils peuvent, pour certains, être recyclés. Aucun stockage géologique n’est nécessaire.
 
La participation suisse à la fusion
La création d’Euratom en 1957 a marqué le lancement de la coordination européenne en matière de recherche sur la fusion. Un accord de coopération à durée indéterminée, conclu en 1978, permet à la Suisse de participer aux travaux de recherche menés en Europe dans le domaine de la fusion nucléaire, avec des droits et des obligations identiques à ceux des membres d’Euratom.
Le Secrétariat d’Etat à la formation, à la recherche et à l’innovation ainsi que le Swiss Plasma Center (SPS) - anciennement CRPP, Centre de Recherches en Physique des
Plasmas - de l’EPFL représentent la Suisse au sein des comités directeurs du programme
Euratom. Au niveau national, l’acteur principal dans ce domaine est le SPS, également présent à l’Institut Paul Scherrer de Villigen (AG), par le biais d’un groupe de recherche. L’Université de Bâle participe, elle aussi, à la recherche sur la fusion. L’industrie bénéficie des commandes qui lui sont passées, ainsi que du transfert général de technologie.
Ces dernières années, la Confédération a investi entre 20 et 25 millions de francs par an dans la recherche sur la fusion. C’est un peu plus que la somme injectée dans la recherche sur la fission, mais sensiblement moins que les investissements dans les domaines des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique. La proposition du Conseil fédéral concernant la nouvelle politique énergétique prévoit que la participation suisse restera inchangée, même en cas de sortie du nucléaire.
 
L’énergie de liaison de la fusion nucléaire.

 

Le tokamak de Lausanne
Depuis 1992, le SPS exploite, sur le site de l’EPFL, une machine de fusion du type tokamak, qui permet d’étudier le comportement et la régulation du plasma.
L’utilisation d’ondes électromagnétiques de très haute fréquence pour garantir un chauffage continu du plasma est, elle aussi, au cœur des travaux de recherche. Il s’agit d’une autre composante importante du projet ITER. Au PSI, un groupe du SPS est chargé de l’étude des câbles supraconducteurs destinés à ITER. Sur ce site, le SPS dispose de la plus grande installation mondiale d’essai de supraconducteurs, installation dans laquelle des échantillons du monde entier sont testés.
Un groupe analyse, à Bâle, les phénomènes de surface qui se produisent sur les matériaux ayant été exposés au plasma du tokamak du SPS et du JET, une installation située au Royaume-Uni.
L’échange de connaissances entre la recherche universitaire et l’industrie constitue l’une des caractéristiques du Programme européen de fusion. Non seulement l’industrie des pays partenaires profite des commandes relatives à la construction d’ITER, mais le programme stimule aussi le développement de technologies de pointe et de matériaux innovants destinés à des applications commerciales, du domaine médical à la gestion des déchets, en passant par la technique énergétique en général et le secteur spatial.
La première commande d’ITER passée à l’industrie suisse a été attribuée à l’entreprise Ampegon dans le canton d’Argovie. Elle porte sur la fourniture de l’alimentation haute tension destinée au chauffage du plasma, partie très exigeante de l’installation.
 
Les caractéristiques du stellarator Wendelstein 7-X  
Poids de l’installation: 735 t
Hauteur: 4,5 m
Diamètre: 16 m
Volume du plasma: 30 m3  
Nombre de bobines supraconductrices: 70
Surface des composants dans la cuve: 265 m2
Induction magnétique sur l’axe: 3 T
Nombre de ports: 254 de 120 types différents  
Cinq périodes de champ magnétique  
Bobines modulaires non planes  
Equilibre quasi isodynamique  
Faible courant d’amorçage (0 ® 10 kA)  
Iota élevé et faible cisaillement  
Configuration souple du champ magnétique  
 

Le professeur Thomas Klinger
Thomas Klinger a étudié la physique à l’université de Kiel. Après un séjour de recherche en France, il a obtenu son doctorat en 1994 avec un travail sur la physique des décharges des gaz. En tant qu’assistant de haute-école, il a ensuite travaillé à Kiel sur la turbulence des ondes des courants de surface et les structures non linéaires des plasmas. Après des séjours au Centre de Physique Théorique à Marseille et à l’Institut Max-Planck de physique des plasmas (IPP) à Garching, il a obtenu son privat-docent en 1998 avec son travail sur le «contrôle des instabilités du plasma». Peu après Thomas Klinger a été nommé professeur de physique expérimentale à l’université Ernst-Moritz-Arndt, à Greifswald, dont il a dirigé l’Institut de physique de 2000 à 2001 en tant que directeur par intérim. Il est, depuis avril 2001, membre scientifique de l’IPP, division de Greifswald et directeur du domaine «dynamique et transport du stellarator». En avril 2002, il a été nommé à la chaire de physique expérimentale des plasmas à l’Université Ernst-Moritz-Arndt, à Greifswald. Il est, depuis 2005, membre du directoire de l’IPP et directeur scientifique de l’entreprise «Wendelstein 7-X».