25 april 2013 |
La Revue POLYTECHNIQUE 01/2013 |
Recherche et développement
Les crues à grande vitesse qui freinent le TGV
Les orages torrentiels dégradent les voies ferrées. Des évènements extrêmes, qu’un laboratoire de l’EPFL, mandaté par la SNCF, a reproduits à l’échelle miniature. Les chercheurs ont découvert que certains dispositifs dévient les écoulements contre le pied du ballast et favorisent l’érosion.
Les intempéries peuvent avoir des répercussions importantes sur les infrastructures ferroviaires. Sur certains tronçons et dans des conditions extrêmes, les écoulements peuvent éroder le ballast – le lit de cailloux tassés sous les rails. La stabilité de la voie ferrée est menacée. Les TGV, qui roulent à près de 300 km/h, sont particulièrement sensibles à ce danger. Mandatés par la SNCF, des chercheurs de l’EPFL ont étudié, sur un modèle réduit, les conséquences de ce phénomène rare, mais dangereux.
La commune de Sarry dans l’Yonne voit passer tous les TGV au départ de Genève, Lausanne et Lyon en direction de Paris. Sur ce secteur, la fréquence peut atteindre un train toutes les trois minutes.
En 2000, ce tronçon de 2 km en déblai - le niveau des voies se situe en dessous du terrain environnant - a été frappé par un orage d’une rare violence. L’écoulement des pluies torrentielles a inondé la plate-forme ferroviaire. La terre et les végétaux arrachés se sont retrouvés dans les dispositifs de drainage, les bouchant partiellement. Sous l’effet de la pente, conjugué au rétrécissement du terrain sous un pont, l’eau a pris de la vitesse, atteignant le niveau du rail et emportant le ballast. La circulation des trains a dû être interrompue quelques heures pour permettre l’intervention des équipes de maintenance.
Le «risque Sarry»
Cet évènement hors norme est aujourd’hui défini par la notion de «risque Sarry». L’établissement public RFF, propriétaire du réseau ferré français, et la SNCF ont procédé à l’inventaire des sites à risques sur les lignes à grande vitesse. Ils ont mandaté en 2010 le Laboratoire de constructions hydrauliques (LCH) de l’EPFL, afin de mener un projet de recherche pour mieux comprendre comment l’eau peut entraîner le ballast.
En interrompant la circulation des trains, la SNCF prend une décision lourde de conséquences. La mesure se répercute sur tout le réseau. «Après Sarry, il était indispensable de vérifier scientifiquement nos critères d’évaluation du risque. L’EPFL nous a déjà livré un rapport qui va nous permettre de modifier le référentiel SNCF et RFF de la conception des lignes à grande vitesse», précise Cicely Pams Capoccioni, ingénieur responsable du risque hydraulique à la SNCF.
Des obstacles dangereux
Avec leur modèle réduit, les ingénieurs de l’EPFL ont étudié plusieurs cas de figure. Ils ont modifié la pente, augmenté la vitesse et la hauteur de l’eau et ponctué les bas-côtés d’obstacles, comme il en existe le long des voies ferrées. Ils ont découvert que certains dispositifs, tels que les poteaux de soutien des lignes ou les piliers de ponts routiers, dévient les écoulements contre le pied du ballast et favorisent l’érosion.
Pour obtenir ces résultats, les ingénieurs ont reproduit 30 m de voie à l’échelle 1/3, et mis en œuvre plusieurs tonnes de ballast miniature sur toute sa longueur.
Simuler le passage d’un train
«Le ballast supporte toute la structure. Au passage d’un train, il vibre légèrement et transmet le poids et la vibration dans le sous-sol. Si sa base est entraînée, cela provoque l’effondrement de la partie qui soutient les rails», explique Giovanni De Cesare en charge de ce projet.
Afin de simuler le passage d’un train, l’équipe du LCH supervise en ce moment la mise sous vibration des rails. «L’écoulement d’eau est dynamique et le ballast statique. Il est indispensable d’étudier l’interaction de tous ces phénomènes et de voir si cela déstabilise davantage l’infrastructure», précise encore le scientifique.
Mesures potentielles
La prochaine étape du LCH sera de proposer des mesures de sécurisation locale des infrastructures, en s’inspirant de la protection des berges des cours d’eau. Il s’agira de stabiliser le ballast par collage et de capter les écoulements avant les obstacles.
L’avenir
Aujourd’hui, la Suisse et l’Allemagne tablent sur de nouveaux concepts de construction des lignes à grande vitesse, notamment dans les tunnels du Gothard, du Lötschberg et du Grauholz. Il n’y a plus de ballast, mais une piste en béton sur laquelle on pose des rails. Les traverses reposent sur des lits de caoutchouc. «Mais on manque encore de recul. On ne sait pas comment ces matériaux se comportent sur 20 ans. Pour le ballast, on a 150 ans d’expertise, cela reste une technique éprouvée», conclut Giovanni De Cesare.