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20 september 2016 | La Revue POLYTECHNIQUE

Les nanorubans de graphène: tout dépend des bords

Martina Peter

Comme la taille des composants électroniques ne cesse de diminuer, l’utilisation par l’industrie du silicium comme semi-conducteur traditionnel parvient peu à peu à ses limites. Le graphène, un matériau doté de plusieurs propriétés «miraculeuses», pourrait lui succéder. Ce matériau formé d’une seule couche d’atomes de carbone est ultraléger, extrêmement flexible et un excellent conducteur. Pour pouvoir utiliser le graphène dans des composants électroniques tels que des transistors à effet de champ, il est nécessaire de le «transformer» en un semi-conducteur; les scientifiques de l’Empa y sont récemment parvenus avec l’aide d’une nouvelle méthode: ils ont produit pour la première fois, en 2010, des nanorubans de graphène (NRG) larges de quelques nanomètres, avec des bords de forme très précise.

Pour y parvenir, ils ont fait «croître» ces rubans de manière ciblée sur une surface métallique à partir de molécules précurseurs. Plus ces rubans sont étroits, plus leur bande interdite – soit la zone dans laquelle aucun électron ne peut se trouver et qui fait que le semi-conducteur peut fonctionner comme un commutateur électronique – est large. Les chercheurs de l’Empa sont aussi parvenus à «doper» ces nanorubans, c’est-à-dire à y introduire à des emplacements précis, des atomes étrangers tels que des atomes d’azote, afin d’influencer encore davantage les propriétés électroniques de ces nanorubans de graphène.
 
Illustration d’un nanoruban de graphène ayant des bords en zigzag, avec les molécules précurseurs nécessaires à leur production. Les électrons sur les deux bords en zigzag possèdent des sens de rotation (spins) opposés: soit «spin-up» sur le bord inférieur (rouge) et «spin-down» sur le bord supérieur (bleu).
 

Un plan parfait
La revue spécialisée Nature rapporte comment l’équipe de l’Empa, sous la direction de Roman Fasel, est parvenue à ce résultat en collaboration avec des collègues de l’Institut Max-Planck de recherche sur les polymères de Mayence, sous la direction de Klaus Müllen et de Xinliang Feng, de l’Université technique de Dresde. A partir de molécules de carbone appropriées et d’un processus de production perfectionné, ils ont synthétisé des nanorubans de graphène, possédant des bords en forme de zigzags parfaits, qui présentent une géométrie bien précise sur la longueur de l’axe longitudinal du ruban. Il s’agit d’un pas important, car c’est la géométrie et surtout la structure des bords qui permettent aux chercheurs de conférer diverses propriétés aux nanorubans de graphène.
Comme pour la pose d’un carrelage, il faut tout d’abord déterminer le «motif» du nanoruban en zigzag par le choix des «carreaux» appropriés, autrement dit des molécules précurseurs adéquates. Contrairement à la chimie organique où lors de la synthèse d’une substance pure, on s’accommode de la présence de produits accessoires, il faut pour la synthèse des nanorubans de graphène sur une surface métallique, mettre tout en place de manière qu’il se forme qu’un seul produit. Les scientifiques ont alterné simulations sur ordinateur et expérimentations pour développer la meilleure voie de synthèse. Avec des molécules en forme de U qu’ils ont laissées s’assembler en une ligne ondulée et l’intégration de groupes méthyle pour perfectionner la forme des bords en zigzag, ils ont finalement établi un «plan» pour la synthèse de nanorubans de graphène possédant des bords en zigzag parfaits. Les chercheurs ont vérifié la précision à un atome près, des bords en zigzag ainsi obtenus, à l’aide d’un microscope à force atomique. Ils sont aussi parvenus à caractériser les états électroniques des bords en zigzag au moyen de la spectroscopie tunnel à balayage.
 
«Coupe-type» d’un nanoruban de graphène. Suivant la direction de l’axe du ruban, les nanorubans de graphène ont un bord en forme de chaise (armchair)ou en forme de zigzag.
 

Utiliser le sens de rotation interne des électrons
Ces états électroniques présentent une particularité prometteuse. Les électrons peuvent tourner sur eux-mêmes à gauche ou à droite; on parle alors du sens de rotation interne (spin) des électrons. Les nanorubans de graphène en zigzag se caractérisent par le fait que les spins des électrons s’orientent toujours de la même manière le long des deux bords. Il s’agit d’un effet appelé couplage ferromagnétique. Un couplage antiferromagnétique agissant simultanément fait en sorte que les spins des électrons des bords opposés s’orientent de manière inverse. Sur un bord de la bande, les électrons se trouvent en état «spin-up», sur l’autre en état «spin-down».
Il en résulte deux canaux de spin indépendants, ayant des «sens de marche» différents l’un de l’autre le long des bords du ruban, comme sur une autoroute qui a des voies de circulations séparées. Avec l’inclusion de défauts structuraux précis sur les bords ou – plus élégamment – avec des signaux électriques, magnétiques ou optiques extérieurs, il devrait devenir possible de développer des barrières ou des filtres à spin qui ne demandent de l’énergie que pour leur commutation. Il s’agirait d’un premier pas vers la réalisation d’un nanotransistor présentant une efficacité énergétique extrêmement élevée.
Ces possibilités rendent les nanorubans de graphène particulièrement intéressants pour des applications et composants spintroniques qui utilisent aussi bien la charge que le spin des électrons. Une combinaison que les chercheurs espèrent voir déboucher sur des composants entièrement nouveaux, tels que des mémoires magnétiques adressables qui puissent conserver les informations stockées, même après l’arrêt de l’alimentation électrique.
 
«Plan» de nanorubans de graphène en forme de zigzag obtenu à partir de molécules précurseurs spécifiques.
 

Literatur
Ruffieux P., Wang S., Yang B., Sanchez C., Liu J., Dienel T., Talirz L., Shinde P., Pignedoli CA., Passerone D., Dumslaff T., Feng X., Müllen K., Fasel R.: On-surface synthesis of graphene nanoribbons with zigzag edge topology. Nature 531 (2016), pp. 489-492, doi: 10.1038/nature17151
 
Ce travail a été soutenu par le Fonds national suisse (FNS), le Conseil européen de la recherche (CER) et l’Office of Naval Research des Etats-Unis (ONR).
 
 
Les nanorubans de graphène glissent sur l’or

En collaboration avec des chercheurs de l’université de Bâle et d’autres collègues internationaux, les scientifiques de l’Empa ont récemment étudié les propriétés tribologiques des nanorubans de graphène. Dans un article publié dans la revue scientifique Science, ces chercheurs rapportent les résultats de leurs expériences sur les interactions entre des rubans de graphène tirés sur une surface d’or avec la pointe d’un microscope à force atomique. Avec ces expériences et des simulations sur ordinateur, ces chercheurs ont pu prouver que des mouvements de flottaison, quasiment exempts de frottements, pouvaient se produire. Cette absence de frottement (superlubricity) est due au fait que les deux grilles atomiques de la surface cristalline de l’or et du graphène sont totalement non congruentes; en aucun endroit de ce «paysage atomique de monts et de vallées», il ne peut se produire un engrenage entre ces surfaces.
 
Kawai S., Benassi A., Gnecco E., Söde H., Pawlak R., Feng X., Müllen K., Passerone D., Pignedoli CA., Ruffieux P., Fasel R., Meyer E.: Superlubricity of Graphene Nanoribbons on Gold Surfaces. Science (2016), doi: 10.1126/science.aad3569

 
Plus d’informations:
Pascal Ruffieux
nanotech@surfaces
Tél. 058 765 46 93
pascal.ruffieux@empa.ch
 
Prof. Roman Fasel
nanotech@surfaces
Tél. 058 765 43 48
roman.fasel@empa.ch