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13 february 2014 | La Revue POLYTECHNIQUE

Les sables bitumineux de l’Alberta

James Dettwiler

Dans le passé, la production de pétrole par l’exploitation des sables bitumineux était complexe et très coûteuse. Cette dernière décennie, la hausse du prix du pétrole et les progrès technologiques ont rendu cette industrie possible et même très rentable d’un point de vue économique. Cependant, cette exploitation effrénée extrêmement polluante engendre d’énormes problèmes d’ordre écologique.
Jusqu’à une époque récente, il était trop coûteux et complexe d’exploiter les sables bitumineux pour produire du pétrole. Ces dernières années, l’épuisement des stocks de pétrole au niveau mondial, le coût du baril en hausse, la demande en constante augmentation, ainsi que l’amélioration de la technologie, ont rendu actuelleemnt cette exploitation possible. Cependant, l’expansion des exploitations des sables bitumineux entraîne d’énormes coûts environnementaux, causant des dommages aux terres, à l’air, à l’eau, aux forêts, au climat et aux populations locales.

Actuellement, les deux plus importants gisements au monde se trouvent en Alberta au Canada, dans la forêt boréale et dans le bassin du fleuve Orénoque au Venezuela. Mais des gisements plus petits existent dans d’autres endroits du monde.
Les réserves de sables bitumineux en Alberta contiendraient un volume de pétrole de 300 milliards de barils. Ce qui dépasse la réserve totale de l’Arabie Saoudite, qui est évaluée à 270 milliards de barils.  Grâce à ces chiffres et à une grande attractivité économique, le Canada va donc passer de la 21e place à la deuxième place mondiale des producteurs de pétrole. Ainsi, depuis les événements du 11 septembre 2001, l’Alberta va devenir le premier fournisseur d’énergie fossile des Américains. Le pétrole est acheminé par pipeline vers les raffineries nord-américaines: 65% du pétrole de l’Alberta est exporté, essentiellement vers les Etats-Unis. Ceci dans l’objectif de réduite leur dépendance vis-à-vis du pétrole arabe.
Il est peu probable, malgré les pressions des écologistes, que l’exploitation des sables bitumineux ralentisse, car ce produit, dans les conditions économiques actuelles, est devenu très intéressant. Aujourd’hui, les coûts de production d’un baril de pétrole varient entre 10 et 13 $, alors qu’on peut le vendre presque le double, près de 30 $. De 1995 à aujourd’hui, la production est passée de 400’000 barils à 1’200’000 barils par jour.
Avec une politique fiscale attractive, près de vingt compagnies pétrolières se sont installées en Alberta - avec en tête les colosses Syncrude et Suncor. Elles ont divisé ce territoire public, loué à long terme par le gouvernement canadien, qui a mis en place une politique de profits, sans tenir compte des impacts écologiques à long terme.
 
 
La composition des sables bitumineux
Le sable bitumineux est constiuté de 75 à 80 % d’un mélange de sable, d’argile et de divers minéraux, de 3 à 5 % d’eau et de 10 à 18 % de bitume. C’est donc un  sable enrobé d’une couche d’eau sur laquelle se dépose une pellicule de bitume. Plus celle-ci est épaisse, meilleurs sont les sables bitumineux en termes de quantité de pétrole extractible. Après extraction et transformation de ces sables, le bitume extrait est un mélange d’hydrocarbures sous forme solide ou liquide dense, épais et visqueux. Une fois raffiné, le pétrole obtenu est appelé pétrole brut de synthèse ou pétrole non conventionnel. Le rendement de l’extraction du pétrole par ce procédé est faible, il faut 4 tonnes environ de sable pour produire un baril de brut (159 litres).
 
Une technologie onéreuse
L’exploitation des sables bitumineux nécessite des véhicules et des installations titanesques, constitués d’une armada de camions énormes - les plus lourds pèsent 365 tonnes - et de grues colossales, dont chaque pelletée peut faire 100 tonnes. Toute cette machinerie travaille sur des mines à ciel ouvert, ce qui n’est pas le cas de l’industrie pétrolière conventionnelle, où le pétrole est pompé. Vu le faible pourcentage de bitume dans les sables, il faut donc en traiter des quantités faramineuses et aller chercher la matière brute en profondeur. Pour y parvenir, il faut littéralement raser la forêt boréale. Chaque étape élimine une couche. En un premier temps, le terreau est enlevé. Puis est retiré sur une profondeur dépassant les 50 mètres, ce que l’on appelle le mort-terrain, constitué de gravier, d’argile et de sable. On arrive enfin à la troisième couche contenant les sables bitumineux. Une fois ceux-ci récupérés, un procédé intensif utilisant énormément d’eau et d’énergie, prend le relais pour isoler le pétrole sous une forme brute. Ce procédé est classé comme étant la production de pétrole la plus sale au monde.
En Alberta, les installations, qui ressemblent à des termitières, fonctionnent continuellement, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, hiver comme été. Les machines déboisent, creusent et mettent à nu d’énormes surfaces, qui sont même visibles par satellite.
 
Des pollutions incontrôlables
Sans tenir compte de la déforestation, les gaz à effet de serre relâchés sont un des problèmes majeurs de cette exploitation. En effet, la forêt boréale est composée de 35 % de tourbières, qui sont parmi les plus grands réservoirs naturels de gaz carbonique (CO2) et de méthane (CH4). L’obtention et le stockage des produits finis, tels que le kérosène, le gazole et le naphte, qui subissent de nombreuses transformations, génèrent des gaz extrêmement nocifs, tels que l’anhydride sulfureux (SO2), provoquant l’acidification du milieu. Les rejets dans l’atmosphère, du gaz carbonique produit par l’exploitation de la société Suncor, se chiffrent à 600 t/h, soit 5 millions de tonnes par année. En résumé, le pétrole extrait des sables bitumineux engendre cinq fois plus de gaz à effet de serre que le pétrole ordinaire.
Voici une intervention sur des prévisions, reportées sur la chaîne Radio-Canada, du biologiste forestier Gray Jones, directeur du groupe environnemental The Western Canada Wilderness Comity: «La forêt boréale deviendra un point chaud. Elle va dépérir graduellement à cause des pluies acides, du feu et des infestations d’insectes. Autour de cet épicentre, il y aura de plus en plus de vents violents, de sécheresse, qui affecteront ainsi l’écosystème dans sa totalité».
 
 
La pollution de l’eau
En plus de la destruction de la forêt et de la pollution de l’atmosphère, l’autre enjeu se situe autour de l’eau. Une des étapes de l’extraction du bitume consomme énormément de vapeur d’eau, qui correspond, dans un ordre de grandeur, à la consommation quotidienne d’une grande ville. L’eau est puisée directement dans les rivières, ce qui entraîne une baisse des nappes phréatique avoisinantes.
Après traitement, les eaux usées sont stockées dans de grands bassins de rétention, pour une réutilisation dans les processus d’extraction du bitume ou pour rejoindre simplement les cours d’eau naturels. Les produits chimiques ne disparaissent pas et ne se dégradent pas biologiquement. Pour protéger la faune, des canons à propane se déclenchent en permanence autour de ces points d’eau, afin de dissuader les animaux d’y venir.
Ces eaux usées comportent un mélange contenant plus de 250 composés, dont du mercure, de l’arsenic, des métaux lourds, ainsi que des solvants, tels que le xylène, le benzène et divers hydrocarbures. Ainsi, la pollution touche les sédiments, les nappes phréatiques et l’ensemble des écosystèmes. Rien n’est épargné: la forêt, l’air, l’eau, les animaux et les populations locales.
 
La réhabilitation du territoire
Avant que les opérations d’excavation commencent, la biomasse est récupérée. Une fois la récupération du sable bitumineux effectuée, les trous de la mine à ciel ouvert sont remplis et recouvert par la biomasse. On plante ensuite sur ce nouveau milieu des arbres. Mais, ce biotope ne remplacera pas la forêt boréale et sa biodiversité, qui ont eu besoin de plusieurs milliers d’années pour se constituer. Les surface des territoires réhabilités jusqu’à maintenant ne représentent que 9 % des surfaces excavées par la Suncor, avec un pourcentage est légèrement supérieur chez Syncrude.
 
Que faire?
Le besoin qu’a notre société en énergie fossile pour satisfaire notre mode de vie augmente sans cesse, c’est la loi de la commodité. L’exemple de l’exploitation des sables bitumineux montre l’impatience de l’homme à obtenir rapidement de l’énergie à tout prix et à générer du profit immédiatement, sans tenir compte des impacts écologiques à long terme. Ceci montre encore une fois de plus l’aberration de notre système capitaliste.
Actuellement, certaines sociétés essayent de trouver des méthodes alternatives d’extraction du bitume. Une de ces nouvelles technologies, appelée in-situ, consiste à forer horizontalement des puits, dans lesquelles ont injecte de la vapeur d’eau sous pression, afin de ramollir le bitume et de le pomper. Ce procédé peut être utilisé quand l’extraction minière de surface n’est pas économiquement rentable. Actuellement, 12 % environ du pétrole produit par des sables bitumineux, l’est par cette technologie. Malgré tout, celle-ci est encore très coûteuse et très polluante, les impacts à long terme sur la flore et sur les nappes phréatiques étant encore inconnus. En attendant, des mines à ciel ouvert poussent comme des champignons et la forêt boréale continue à être transformée en un paysage de désolation ressemblant à un champ de cratères lunaires.