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01 april 2014 | La Revue POLYTECHNIQUE

L’uranium stocké dans les marais est plus mobile que prévu

Eric Hubert

En étudiant une zone humide située près d’une mine désaffectée d’uranium dans le Limousin (France), des chercheurs de l’EPFL ont pu démontrer que l’uranium présent dans ce type de milieu pouvait être plus mobile que prévu. Grâce à la présence de bactéries, cet élément radioactif est capable de s’échapper d’un terrain humide sur de minuscules composés métalliques et organiques.
Connus pour absorber les polluants, les marais artificiels sont considérés comme un outil efficace pour contenir l’uranium dissous dans l’eau. Or, en étudiant une zone humide naturelle contaminée près d’un ancien site minier du Limousin, des scientifiques ont découvert que l’uranium pouvait, dans certaines circonstances, s’écouler dans les eaux environnantes. Une récente publication dans la revue Nature Communications explique comment cet élément radioactif est capable de s’échapper d’un terrain humide sur de minuscules composés métalliques et organiques, et ce grâce à un coup de pouce des bactéries du milieu environnant. Cette étude a été réalisée en collaboration avec l’institut HZDR (Helmholtz-Zentrum Dresden-Rossendorf) en Allemagne et le groupe Areva en France.

L’uranium est présent dans la nature sous forme tétravalente (U-IV) et hexavalente (U-VI), les chiffres indiquant combien de liaisons chimiques l’atome est capable de former. «Jusqu’ici, les scientifiques pensaient que l’U-IV se comportait comme un minéral statique, l’U-VI étant considéré comme la seule et unique forme soluble existante», explique Madame le professeur Rizlan Bernier-Latmani, responsable de l’étude. Les chercheurs ont désormais prouvé que cette distinction n’était pas si claire en repérant une forme non soluble mais mobile d’U-IV. Des processus bactériens ou chimiques des milieux humides transforment l’U-VI, la forme soluble d’uranium, en U-IV. «Ce phénomène était censé être bénéfique pour l’environnement, car on supposait que le contaminant était emprisonné et maintenu loin de l’eau», poursuit la chercheuse.
Les chercheurs ont désormais prouvé que l’uranium retenu pouvait être bien plus mobile que prévu. L’analyse d’un ruisseau du Limousin traversant une zone humide en aval d’une mine désaffectée a démontré que l’uranium pouvait s’échapper hors dudit milieu, puis dans le cours d’eau. Les concentrations que l’on y mesure ne sont donc pas uniquement dues, comme on le pensait, aux gravats extraits de l’ancienne mine.
 
 
De nombreux paramètres requis
«Pour que l’uranium puisse être remobilisé afin de quitter un milieu humide, un certain nombre de conditions spécifiques doivent toutefois être remplies», explique Rizlan Bernier-Latmani. «Nous avons découvert que, pour cela, l’uranium sous sa forme U-IV mobile doit être en présence de grandes quantités de matière organique, de fer, et de relativement peu de sulfites».
Selon le premier auteur de l’étude Yuheng Wang, tout concordait parfaitement sur le terrain français inondé étudié par son équipe. L’uranium y a été observé dans une couche argileuse sous la forme de minuscules agrégats d’U-IV mobile, aux côtés de fer en quantité suffisante. Toute la zone humide était, en outre riche, en bactéries et en microparticules organiques particulières, comparables à de petites ficelles.
La remobilisation de l’uranium en elle-même est un procédé complexe. Les bactéries, utilisant tout d’abord le fer comme source énergie, le transforment en une forme qui s’associe aisément avec ces particules spéciales présentes en zone humide. Lorsque le fer s’accroche à ces particules, comme des perles sur une ficelle, il est libre de migrer dans le terrain jusqu’à rencontrer des agrégats d’U-IV. L’uranium peut alors se fixer sur ces «billes» de fer et être emporté hors de la zone humide, jusque dans l’eau.
La mobilité de l’uranium, que l’on pensait cantonné en zone humide, pourrait en effet être fortement sous-estimée. L’étude suggère toutefois une nouvelle stratégie susceptible de contenir la contamination de ces zones: si les bactéries reçoivent suffisamment de sulfates, elles libèrent des sulfites qui emprisonnent le fer et diminuent sa concentration, stoppant de manière efficace la chaîne d’événements avant que l’uranium soit remobilisé.
 
Jan Overney
EPFL
jan.overney@epfl.ch
Tél.: 021 693 3189