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02 january 2015 | La Revue POLYTECHNIQUE 11/2014 | physical

Soixante ans de recherche de l’origine de l’Univers

De quoi l’Univers est-il fait? D’où vient-il? Quelles sont les lois qui régissent son évolution? C’est pour répondre à ces questions - et bien d’autres encore - que fut fondé le CERN il y a soixante ans. Organisation européenne pour la recherche nucléaire, le CERN, est l’un des plus grands et des plus prestigieux laboratoires scientifiques du monde. Il a pour vocation la physique fondamentale, la découverte des constituants et des lois de l’Univers.
Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, une poignée de scientifiques visionnaires créèrent le CERN, la première organisation scientifique internationale en Europe. Devenu l’un des principaux centres de recherche fondamentale, il est aussi une aventure fondatrice et un modèle de collaboration internationale. Le CERN rassemble aujourd’hui 21 Etats membres et plus de 10’000 scientifiques provenant d’institut de plus de 60 pays.
Il y a soixante, la structure de la matière était encore bien mystérieuse. Aujourd’hui, nous savons que toute la matière visible de l’Univers est composée d’un nombre restreint de particules, dont le comportement est régi par quatre forces distinctes. Le CERN a joué un rôle essentiel dans l’élaboration de cette connaissance.
Le CERN collabore avec le secteur industriel, lui procurant une expertise qu’il peut appliquer dans d’autres domaines. Les innovations technologiques du Laboratoire se diffusent ainsi rapidement dans la société, pour le bien de tous.
 
Alors que les contours du CERN se dessinent, au début des années 50, deux projets d’accélérateurs sont lancés: un accélérateur novateur d’une puissance inégalée et, en attendant sa mise en service, une machine plus classique, un synchrocyclotron de 600 MeV, le SC. Sa conception démarre en 1952 sous la houlette d’équipes éparpillées dans toute l’Europe. La fabrication débute en 1954 et le CERN connaît ses premiers transports épiques, comme ceux des deux bobines de l’aimant, pesant 60 tonnes et mesurant 7,2 mètres de diamètre chacune. Ci-dessus, l’une d’elle traverse le village de Meyrin. Le SC est mis en service en 1957 et fonctionnera durant 34 ans. (Photo: CERN)
 

L’unification de deux forces fondamentales
Dans les années 1960, les théoriciens unifièrent dans un même cadre deux forces fondamentales entre particules élémentaires, la force faible et la force électromagnétique. Dans les années 1970, une expérience du CERN leur donna une première preuve expérimentale. Et les années 1980 virent la découverte des messagers de la force faible, les particules W et Z, confirmant ainsi la théorie. Simon van der Meer et Carlo Rubbia, deux chercheurs du CERN, furent récompensés par le prix Nobel de physique l’année suivante.
 
L’anneau souterrain du synchrotron à protons de 28 GeV en 1965. A gauche, les halles d’expérimentation sud et nord. En haut à droite, une partie de la halle est. En bas à droite, la salle du générateur principal et les condenseurs de refroidissement. (Photo: CERN)
 

De la théorie électrofaible au boson de Higgs
Durant les années 1990, les expériences du CERN, conçues à la lumière de ces découvertes, confirmèrent la théorie électrofaible avec une précision extrême, lui conférant un solide fondement expérimental, En 2010, le LHC a commencé à faire entrer en collision des particules dans un nouveau domaine de très hautes énergies. S’en est suivie la découverte au CERN d’un boson de Higgs, particule longtemps recherchée, liée au mécanisme par lequel les particules élémentaires acquièrent leur masse.
 
Cette photographie a été prise en 1967 lors du premier test de l’installation d’ISOLDE au synchrotron à protons de 600 MeV. (Photo: CERN)
 

La création du World Wide Web
Le World Wide Web est l’innovation technologique la plus connue du CERN. D’abord imaginé pour permettre aux scientifiques de partager l’information, il est aujourd’hui indispensable pour beaucoup d’entre nous. Tout aussi révolutionnaire est la Grille, qui regroupe la puissance de calculs d’ordinateurs du monde entier. Elle a été développée au CERN et est utilisée pour traiter les gigantesques quantités de données recueillies par les expériences du LHC.
 
Georges Charpak, Fabio Sauli et Jean-Claude Santiard (de gauche à droite) en train de travailler sur une chambre à fils en 1970. (Photo: CERN)
 

De la recherche aux applications quotidiennes
Les instruments du CERN - accélérateurs et détecteurs de particules - trouvent également des applications dans la vie quotidienne. Conçus originellement pour la recherche, les accélérateurs de particules se comptent aujourd’hui par milliers dans le monde, dont un petit nombre seulement sont utilisés pour la recherche fondamentale. La plupart ont des applications diverses: diagnostic médical, thérapie ou fabrication de puces informatiques, par exemple.
Les techniques de détection électronique des particules ont révolutionné le diagnostic médical. Les détecteurs inventés par Georges Charpak en 1968 permettent d’obtenir des images par rayons X avec une dose bien inférieure à celle requise par les méthodes photographiques. Les cristaux développés dans les années 1980 pour les expériences du CERN sont maintenant omniprésents dans les scanneurs TEP. Aujourd’hui, une nouvelle génération de détecteurs conçus au CERN permet de combiner les techniques d’imagerie TEP et IRM dans un seul dispositif.
 
La chambre à bulle Gargamelle a été utilisée pour détecter des particules lors d’expériences au synchrotron à protons entre 1970 et 1976, avant d’être déplacée sur le supersynchrotron à protons. En 1973, elle détecta le premier courant neutre, une interaction de la théorie électrofaible. En 1978, une large fissure apparut dans le corps de la chambre, qui fut arrêtée en 1979. (Photo: CERN)
 

Unir les nations à travers la science
Durant toute son existence, le CERN a accueilli les communautés scientifiques de toutes origines, transcendant les barrières politiques. Pendant la guerre froide, les chercheurs du CERN travaillèrent avec leurs confrères soviétiques et américains. Juste après la chute du mur de Berlin, de nombreux pays d’Europe de l’Est rejoignirent le CERN. Et aujourd’hui, des scientifiques du monde entier se côtoient au sein du Laboratoire.
Le CERN fut pionnier dans la collaboration scientifique européenne et aida de nombreuses organisations à se développer, dans des domaines allant de l’astronomie à la biologie. La dernière organisation en date à suivre le modèle du CERN est le laboratoire SESAME, en construction en Jordanie. Israël et l’Autorité palestinienne font partie des membres fondateurs. 
 
Ces anneaux de stockage a intersections (ISR) ont été mis en service en 1971 et arrêtés en 1984. Ils ont constitué le premier des collisionneurs à protons. Ils étaient alimentes par le synchrotron a protons de 25 GeV. (Photo: CERN)

 

Un riche programme de formation
La convention constitutive du CERN a reconnu le rôle primordial que l’organisation pouvait jouer dans la formation des scientifiques et des ingénieurs en Europe. Le CERN est un laboratoire utilisant des installations d’accélération complexes. Il a besoin d’experts dans de nombreuses disciplines scientifiques, une pluridisciplinarité que reflètent ses programmes de formation et de recrutement.
Physique appliquée, ingénierie ou informatique, les possibilités pour les étudiants sont nombreuses. Les techniciens, eux, peuvent se former sur des technologies de pointe. Un éventail complet de programmes de formation et de bourses attire au Laboratoire de nombreux et talentueux jeunes scientifiques et ingénieurs. Beaucoup poursuivent ensuite leur carrière dans l’industrie, où avoir acquis une expérience dans un environnement international et de haute technologie s’avère précieux.
Les programmes d’éducation et de formation du CERN s’adressent à des élèves et étudiants de tous âges. Sur les 90’000 visiteurs qui viennent chaque année, la majorité sont des élèves du secondaire. Le Laboratoire anime aussi sur son domaine un programme pour les enseignants du secondaire, ainsi qu’un programme d’été pour les étudiants dans leurs premières années d’études. Pour les étudiants plus avancés, le CERN organise des écoles de grande renommée sur la physique des particules, l’informatique et les accélérateurs.
 
L’avenir: le Grand collisionneur de hadrons
Le CERN est entré dans une nouvelle et passionnante ère de découvertes grâce à son accélérateur phare, le Grand collisionneur de hadrons (LHC). Ces soixante dernières années, nous avons considérablement appris sur la composition de l’Univers visible. Le LHC va permettre d’apporter des réponses aux questions du pourquoi et du comment de l’Univers. Comment les particules acquièrent-elles leur masse? Pourquoi la matière a-t-elle pris le dessus sur l’antimatière? Comment la matière a-t-elle évolué dans l’Univers primordial? Et peut-être la question la plus passionnante: de quoi sont faits les 95 % de l’Univers qui nous sont invisibles? Car le plus remarquable, c’est que la matière visible représente à peine 5 % de ce que nous connaissons.
Lorsque le LHC redémarrera en 2015 après son premier long arrêt, il fonctionnera tout d’abord à 13 TeV, puis sera porté à son énergie nominale de 14 TeV. Pour cela, un programme d’améliorations permettant d’accroître l’intensité des faisceaux du LHC est prévu. Pour le plus long terme, les scientifiques du CERN travaillent sur de nouveaux systèmes et des technologies d’accélération novatrices, qui pourraient ouvrir la voie à des énergies encore plus élevées.
 
http://home.web.cern.ch/fr

 
 
L’historique du CERN

1954 Création du CERN, Centre européen de recherche nucléaire. 
1957 Démarrage du premier accélérateur du CERN, le Synchrocyclotron. 
1959 La première des grandes machines du CERN, le synchrotron à protons (PS), est mise en marche. Elle constitue toujours le cœur du complexe d’accélérateurs du CERN, unique au monde. 
1968 Georges Charpak révolutionne les techniques de détection des particules avec la chambre proportionnelle multifils, qui trouve de multiples applications au-delà de la physique des particules. En 1992, il reçoit le prix Nobel pour cette invention. 
1971 Mise en service des Anneaux de stockage à intersections (ISR). Premier collisionneur de hadrons, les ISR marquent la transition entre les expériences à faisceaux projetés sur cible fixe et celles basées sur des collisions entre faisceaux.
1973 L’expérience Gargamelle découvre les courants neutres. Elle apporte une confirmation de la théorie électrofaible, qui unifie dans un même cadre deux forces fondamentales. Une étape importante dans la compréhension de la nature. 
1976 Le supersynchrotron à protons (SPS), d’une circonférence de 7 km, entre en service. Fournissant des faisceaux pour une grande variété d’expériences, le SPS deviendra ultérieurement le premier collisionneur proton-antiproton du monde. 
1983 Des expériences du CERN découvrent les particules W et Z, porteuses de l’interaction faible. Cette découverte, confirmant celle de Gargamelle, vaudra le prix Nobel de physique 1984 à Carlo Rubbia et Simon van der Meer. 
1989 Le Grand collisionneur électron­-positon (LEP), de 27 km de circonférence, est mis en service. Les expériences du LEP montrent qu’il n’existe que trois familles de particules et confirment le Modèle standard de la physique des particules avec une extraordinaire précision. Tim Berners-Lee présente son projet de World Wide Web derrière le titre sibyllin «Organisation de l’information: une proposition». Le premier serveur Web est opérationnel fin 1990. Trois ans plus tard, le CERN met le logiciel à disposition gratuitement. 
1993 L’expérience NA31 annonce des résultats précis sur un phénomène connu sous le nom de violation de CP qui pourrait en partie expliquer l’infime différence entre matière et antimatière. 
1995 Les premiers atomes d’antihydrogène sont créés auprès de l’expérience PS210 avec un faisceau de l’Anneau d’antiprotons de basse énergie (LEAR). 
1999 Début de la construction du Grand collisionneur de hadrons (LHC). Instrument scientifique le plus complexe jamais construit, il occupe les 27 km du tunnel du LEP, arrêté en 2000. 
2002 Les expériences ATHENA et ATRAP auprès du Décélérateur d’antiprotons (AD) produisent des milliers d’atomes d’antihydrogène «froids», donnant un premier aperçu de l’intérieur de l’antimatière. 
2004 Le Globe de la science et de l’innovation, un cadeau de la Confédération suisse, est inauguré le 19 octobre, dans le cadre du 50e anniversaire du CERN. Il abrite aujourd’hui l’exposition permanente Univers de particules. 
2008 Le 10 septembre, les premiers faisceaux circulent dans le LHC. 
2010 Le LHC produit ses premières collisions à haute énergie fin mars, ouvrant la voie aux études de la physique aux frontières des hautes énergies. 
2012 Le 4 juillet, les collaborations ATLAS et CMS présentent au CERN des données du LHC indiquant l’existence d’une particule aux propriétés compatibles avec celles d’un boson de Higgs, la particule associée au mécanisme, proposé dans les années 1960, par lequel les particules W, Z et autres acquièrent leur masse. 
2013 D’autres analyses confirment que la nouvelle particule est un boson de Higgs. François Englert et Peter Higgs obtiennent le prix Nobel de physique pour avoir proposé le mécanisme par lequel les particules élémentaires acquièrent leur masse.
2014 Le CERN fête son soixantième anniversaire.