Subscriptions
for enrichment
07 november 2019 | La Revue POLYTECHNIQUE

Transformer les boues d’épuration en énergie et en sels minéraux

Un dispositif mis au point par la start-up TreaTech permet de transformer les boues des stations d’épuration en minéraux valorisables – sous forme de fertilisant, par exemple – et en biogaz. Soutenue par plusieurs partenaires publics et privés, la jeune entreprise construit actuellement un prototype à grande échelle. La première mise en service dans une station d’épuration est prévue pour 2022.
Épandre les boues d’épuration directement sous forme d’engrais est interdit en Suisse depuis une douzaine d’années, en raison de la quantité croissante de polluants qui s’y trouvent. Les milliers de tonnes annuelles de phosphore qu’elles contiennent partent donc en fumée lors de l’incinération des boues, faute d’une technologie ad hoc pour le recyclage de ce composé chimique essentiel à de nombreux processus biologiques, la photosynthèse notamment.

 
Le prototype mis au point au Laboratoire des processus durables et catalytiques de l’EPFL et développé par la société TreaTech permet de récupérer le phosphore des boues d’épuration. (Photo: © Alain Herzog)
 
 

Un nouveau dispositif permet de récupérer le phosphore
Un dispositif mis au point au Laboratoire des processus durables et catalytiques de l’EPFL et développé par la société TreaTech, permet de récupérer ce phosphore dont le marché est estimé à plus de 33 milliards de francs. Il permet également, grâce à un autre procédé, appelé gazéification hydrothermale et imaginé à l’Institut Paul Scherrer, de produire du biogaz.
Le fluide brunâtre des boues d’épuration contient encore 95 % d’eau. En raison des coûts liés au transport, il est actuellement en partie déshydraté sur place au dépend de fortes dépenses énergétiques. La matière sèche qui en résulte est incinérée ailleurs. «Notre système pourrait récupérer la boue dès la sortie de la station d’épuration, sans traitement préalable», note Frédéric Juillard, PDG de TreaTech.
Dans le séparateur de minéraux, la boue sera soumise à une pression et une température élevées (>22,1 MPa et 400 °C), ayant pour objectif de la faire passer dans un état supercritique, c’est-à-dire entre l’état liquide et l’état gazeux. Ses nouvelles propriétés précipitent les sels grâce à une soudaine chute de la solubilité.
Ce procédé a été optimisé afin que le phosphore, ainsi que d’autres sels minéraux, se cristallisent et puissent facilement être recueillis. «Il permet un taux de récupération du phosphore supérieur à 90 %», précise Frédéric Juillard. Ces sels sont ensuite séparés du flux principal en tant que résidus solides.
 
Épandre les boues d’épuration directement sous forme d’engrais est interdit en Suisse depuis une douzaine d’années. (Photo: © Alain Herzog)
 
 

Convertir près 100 % de la matière organique en biogaz
Pour assurer une valorisation de leurs boues, certaines stations d’épuration sont d’ores et déjà équipées d’un système de production de biogaz. «Mais avec les biodigesteurs utilisés actuellement, seuls 40 à 50 % de la matière organique peut être convertie en biogaz», souligne Gaël Peng, cofondateur et directeur technique de TreaTech.
Le digestat qui en résulte est ensuite déshydraté, puis transporté afin d’être incinéré. Les coûts énergétiques et économiques sont donc importants. «La gestion des boues d’une STEP représente actuellement près de 40 % des coûts opérationnels totaux», poursuit Gaël Peng. Afin de maximiser le recyclage tout en optimisant le rendement, Frédéric Juillard a donc cherché, durant plusieurs mois, une technologie permettant d’inclure la production de biogaz à son système.
Après avoir passé en revue des recherches du monde entier, il a fini par dénicher la perle rare, à moins de 200 km de l’EPFL: à l’Institut Paul Scherrer. Un autre réacteur, doté de ruthénium en guise de catalyseur, va convertir près de 100 % de la matière organique en biogaz, qui pourra être utilisé pour produire de la chaleur ou de l’électricité, voire utilisé comme biocarburant. L’eau récoltée en fin de traitement ne contient plus de composés nocifs et pourra être réinjectée dans le réseau.
Finalement, la technologie utilisée permet également un précieux gain de temps, puisque vingt minutes suffisent à la transformation, alors que les biodigesteurs actuellement utilisés ont besoin d’une trentaine de jours pour assurer la conversion. Par ailleurs, cette rapidité engendre un important gain de place et ne laisse aucun déchet.
 
Un test à grande échelle
Forte d’excellents résultats obtenus avec son premier prototype, la start-up, soutenue par l’Office fédéral de l’énergie et l’Institut Paul Scherrer, construit actuellement un système à grande échelle et prévoit la première installation dans une station d’épuration en 2022. Juste à temps pour entrer dans le cadre des nouvelles normes dont souhaite se doter la Confédération concernant le recyclage obligatoire du phosphore à partir de 2026. Une manière d’éviter les coûts et les écueils écologiques de l’importation.
La technologie maintenant testée grâce au prototype, une installation cent fois plus grande et pouvant traiter 100 kg/h de boue est en cours d’élaboration. Soutenu par l’Office fédéral de l’énergie, le projet a pu s’assurer un budget de 4,4 millions de francs grâce à un partenariat public-privé.
L’installation qui vient de commencer son exploitation devrait être terminée d’ici la fin de l‘année et une première mise en service auprès d’une station d’épuration, avec une capacité de traitement de 3 t/h, est prévue pour 2022. L’entreprise ne compte pas s’arrêter là et prévoit de développer son système pour d’autres applications, comme les eaux industrielles ou issues de la désalinisation ou encore les résidus de biomasse.