Subscriptions
for enrichment
11 january 2013 | La Revue POLYTECHNIQUE

Un carburant d’avenir

Des camions qui n’auraient presque plus d’impact sur l’environnement grâce à une empreinte carbone quasi nulle. Un tel scénario serait-il envisageable à l’avenir? En fait, l’entreprise Volvo Trucks expérimente, déjà avec succès sur le terrain, des véhicules alimentés au bio-DME, un carburant qui peut être produit à partir de la biomasse. Cette solution d’avenir permettrait à l’industrie des transports de réduire sa dépendance au pétrole et donc son impact sur l’environnement.
Depuis l’automne dernier, dix camions Volvo spécialement préparés sillonnent les routes suédoises. Ils ne détonnent pas dans la circulation – ils ne roulent pas plus lentement et ne diffèrent en rien de camions classiques dans leur apparence – sauf qu’ils sont révolutionnaires. La raison en est qu’ils sont alimentés au bio-DME, un carburant qui peut être produit à partir de biomasse – à savoir une matière première totalement naturelle – permettant de réduire les émissions de CO2de 95 % par rapport au gazole. La moitié des essais de terrain a déjà eu lieu, et les résultats obtenus jusqu’à présent ont répondu, voire dépassé les objectifs fixés.
«Nous avons notamment démontré que cette technologie était totalement opérationnelle dans la pratique, tant du point de vue de la production du carburant que de son utilisation dans les camions, et que l’infrastructure composée de plusieurs stations-service disséminées sur le territoire suédois fonctionnait sans le moindre problème. Les résultats des tests sont encourageants pour l’avenir», déclare Lars Mårtensson, directeur des affaires environnementales de l’entreprise Volvo Trucks.
 
La liqueur noire est séparée de la pâte à papier dans la tour de l’usine.

 
Des essais de terrain
«Les essais de terrain qui sont actuellement menés en collaboration avec plusieurs entreprises, dont Preem et la société suédoise Chemrec, qui est chargée de la production du carburant, ont suscité un vif intérêt au niveau mondial – un plus inespéré», selon Lars Mårtensson. «Nous avons prouvé qu’il était possible de développer une activité à grande échelle à partir d’une simple idée de laboratoire, et nous avons également su étendre avec succès cette technologie à l’échelle internationale. Elle intéresse désormais clairement des pays, tels que la Chine, la Russie et les Etats-Unis, sans compter que nous avons identifié d’autres marchés offrant un énorme potentiel».
Le bio-DME, à savoir du diméthyléther produit à partir de biomasse, est un biocarburant liquide dit de deuxième génération, qui peut être fabriqué à partir de bois ou de produits dérivés et de déchets issus de la production agricole.
 
À propos du carburant bio-DME
Alimenté au carburant bio-DME, un moteur diesel offre le même rendement énergétique qu’un moteur alimenté au gazole classique, mais à un niveau sonore inférieur. Le bio-DME affiche par ailleurs des émissions de CO2inférieures de 95 % à celles du gazole. La combustion produit également des niveaux extrêmement faibles de particules et d’oxydes d’azote. Tous ces avantages font du bio-DME un excellent carburant pour les moteurs diesel.
Le DME est à l’origine un gaz qui est transformé à l’état liquide sous une pression de 5 bars. Plutôt simple, sa manipulation s’apparente à celle du gaz de pétrole liquéfié (GPL). Le DME peut être dérivé du gaz naturel, mais également de différents types de biomasse. Dans ce dernier cas, il prend alors l’appellation bio-DME.
La quantité de DME produite à partir de gaz naturel est d’ores et déjà conséquente. Utilisé dans les moteurs diesel, le DME offre les mêmes avantages que le gazole classique, mais son impact environnemental est plus faible.
 

«Selon les dernières estimations, le bio-DME pourrait remplacer jusqu’à 50 % du gazole actuellement consommé par les véhicules utilitaires en Europe dans les vingt prochaines années. Nous nous voyons offrir une chance unique de contribuer de manière déterminante à la protection de l’environnement», conclut Lars Mårtensson.
Le bio-DME, qu’utilise l’entreprise Volvo Trucks pour ses essais de terrain, est réalisé à partir de liqueur noire, un produit dérivé de la production de pâte à papier. En fait, la liqueur noire est utilisée comme combustible pour alimenter en énergie les usines de pâte à papier. Le processus de Chemrec prélève une partie de cette liqueur noire, la vaporise et la convertit en un carburant exploitable qui, dans le cadre des essais de terrain actuellement en cours, est distribué par quatre stations-service implantées en différents endroits du territoire suédois.
 
Tous les jours, ce sont 150 camions chargés de bois qui arrivent à l’usine de pâte à papier.

 
L’utilisation et le ravitaillement
Jusqu’à présent, les conducteurs de camion participant à ces essais ont indiqué que tout se passait comme prévu, ce qui constitue un réel succès pour ce projet – le bio-DME ne devrait pas poser de problème particulier, que ce soit en termes de ravitaillement ou d’utilisation, ni compromettre de quelque manière que ce soit les performances.
Le chauffeur Yngve Holm transporte du bois à pâte dans le nord de la Suède avec un Volvo FH 440 modifié pour fonctionner au DME. Il est l’un des conducteurs participant aux essais et en tant que tel, il a déjà indiqué que le bio-DME présentait un certain nombre d’avantages, principalement d’ordre environnemental, mais qu’il contribuait également à une réduction du niveau sonore du moteur. «Je peux parcourir environ 650 kilomètres avec un seul plein et le camion fonctionne aussi bien qu’avec tout autre carburant. A vrai dire, il est beaucoup plus silencieux, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur», explique-t-il.

À propos du projet bio-DME
Le projet bio-DME couvre tout le cycle de vie de ce carburant d’avenir qu’est le gaz DME, depuis sa production à partir de biomasse renouvelable d’origine forestière, jusqu’à son utilisation par les poids lourds. L’unité de gazéification de Piteå est exploitée conjointement par la société Chemrec et le producteur de pâte à papier, Smurfit Kappa Kraftliner.
En 2011/2012, l’entreprise Volvo Trucks est chargée quant à elle de mener – en collaboration avec des sociétés de transport et de logistique judicieusement sélectionnées – toute une série d’essais de terrain avec dix camions alimentés au DME.
Total, l’une des plus grandes compagnies pétrolières au monde, est chargée de l’homologation du DME comme carburant automobile au niveau mondial, et de l’adaptation de ses propriétés de lubrification pour lui permettre d’alimenter, entre autres, des moteurs. Bien d’autres sociétés dont Haldor Topsøe, Preem, Delphi et ETC participent à ce projet, lequel reçoit également le soutien de l’Agence suédoise de l’énergie et de l’Union européenne.
 
Yngve Holm participe aux essais de terrain depuis le mois de septembre dernier et jusqu’à présent, il a parcouru 40’000 kilomètres. On lui a posé de très nombreuses questions sur ce nouveau carburant. «Beaucoup de gens sont curieux et veulent savoir comment ça marche. Je leur réponds généralement que ça marche vraiment très bien. Le plus important est que nous agissons en faveur de l’environnement et de l’avenir, et je me rends compte que ça fait du bien à la conscience».

Le bois est envoyé dans la déchiqueteuse pour y être transformé en copeaux, qui seront ensuite utilisés pour produire la pâte.

 
Le procédé de production
Le bio-DME qu’utilise Yngve Holm est produit à quelques encablures de la station-service où il fait le plein, à l’usine Chemrec de Piteå dans le nord de la Suède, située à proximité de la fabrique de pâte à papier de Smurfit-Kappa Kraftliner. Cette usine est la première du genre au monde.

À propos de la technologie de la société Chemrec
La société Chemrec a en fait développé un moyen d’extraire de l’énergie et de la chaleur supplémentaire de la liqueur noire, afin d’accroître la quantité d’énergie issue de la production de la pâte à papier. La liqueur noire constitue l’un des produits dérivés de ce processus de fabrication et, au lieu de la brûler, cette société la gazéifie et la transforme en un gaz synthétique qui peut ensuite être utilisé pour produire notamment le diméthyléther (DME). La liqueur noire étant extraite à partir de différents types de biomasse, l’usine peut être exploitée à moindres coûts et avec une réelle efficacité énergétique. La technologie développée par la société Chemrec ne représente qu’une méthode de production parmi d’autres, et la liqueur noire n’est pas la seule matière première qui puisse être utilisée pour produire le carburant bio-DME.
L’usine de Piteå implantée dans le nord de la Suède, qui est la première de ce type au monde, est capable de produire jusqu’à quatre tonnes de DME par jour. Pour ce faire, la société Chemrec n’utilise que 1 % de la liqueur noire produite par l’usine. Elle pourrait appliquer sa technologie à 100 % de la liqueur noire produite, ce qui lui permettrait de produire suffisamment de bio-DME pour alimenter 2500 camions.
 

Le procédé de fabrication se déroule dans une structure tout en hauteur, dépourvue de murs, qui se compose exclusivement de tuyauteries en acier inoxydable, d’escaliers et de réservoirs formant un système d’une grande complexité. La société Chemrec s’est tout simplement raccordée à l’infrastructure existante de la fabrique de pâte à papier et y a installé une chaîne de production supplémentaire. Elle démontre ainsi, sur une petite échelle, comment produire du bio-DME à moindres coûts et avec une réelle efficacité énergétique. Cette usine offre une capacité de production de bio-DME d’environ quatre tonnes par jour.
 
Le camion Volvo a été modifié et équipé de deux réservoirs remplis de carburant bio-DME à l’état liquide.

 
«Le carburant bio-DME est produit en trois étapes. Après avoir récupéré la liqueur noire de l’usine de pâte à papier, nous la transformons en gaz à l’aide d’oxygène pur et obtenons ainsi un gaz de synthèse qui peut lui-même être transformé. Nous procédons au lavage du gaz avant de le convertir en bio-DME. Nous contrôlons ensuite la qualité de ce carburant avant de le transférer dans un grand réservoir situé à proximité de l’usine, à des fins de stockage», explique Ingvar Landälv, directeur technique de la société Chemrec. «En compensation, l’usine est approvisionnée en biomasse, à savoir les déchets laissés sur le tapis forestier après l’abattage des arbres et constitués de leurs branches et de leurs cimes – une forme d’échange énergétique hautement efficace».
 
La production du carburant bio-DME a lieu en circuit fermé. Seuls les écrans des équipements de mesure et des ordinateurs de la salle de commande permettent de savoir que le carburant est en cours de production.

 
Le potentiel
La production du carburant bio-DME en est encore à ses prémices, mais le potentiel est énorme. «Pour l’heure, nous n’utilisons que 1 % de la liqueur noire produite à l’usine. Si nous pouvions utiliser notre technologie pour convertir toute la liqueur noire en bio-DME, nous serions en mesure d’alimenter quelque 2500 camions; nous tablons donc sur un fantastique potentiel», déclare Ingvar Landälv. «Pour la seule Suède, la capacité de production de liqueur noire équivaut à environ vingt usines comme celle-là».
«Nous cherchons à développer notre technologie, en collaboration avec l’industrie de la pâte à papier, tant en Suède qu’à l’étranger», indique Max Jönsson, directeur général de la société Chemrec.
 
La liqueur noire est un produit dérivé obtenu lors de la cuisson des copeaux de bois. En règle générale, elle est utilisée comme source d’énergie par l’usine, mais dans le cas présent, elle est envoyée vers l’unité de gazéification où elle est vaporisée puis transformée en carburant bio-DME.

 
Pour pouvoir investir à grande échelle dans le bio-DME en utilisant l’outil de production de Chemrec, la technologie automobile de l’entreprise Volvo Trucks et un réseau de stations-service largement développé, il est nécessaire de réunir des financements plus que substantiels.
 
Le pont tubulaire forme en quelque sorte le «cordon ombilical» entre l’usine et l’unité de gazéification. Il alimente le processus avec la liqueur noire issue de la production de pâte à papier.

 

L’usine de gazéification de Piteå est la première de ce type. Pour l’heure, seul 1 % de la liqueur noire produite à l’usine est utilisé. Le potentiel de développement est donc énorme.

 

«Pour atteindre leur potentiel et contribuer à créer les conditions d’une solution de transport totalement neutre sur le plan climatique, les biocarburants de deuxième génération devront répondre à des règles très strictes. Nous avons montré que cette technologie était opérationnelle. La balle est désormais dans le camp des décisionnaires. Il leur appartient de créer les conditions nécessaires au développement de ce type de production», conclut Max Jönsson.