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17 april 2015 | La Revue POLYTECHNIQUE 02/2015 | Biotechnology

Un implant qui épouse la moelle épinière

Les scientifiques de l’EPFL ont mis au point un implant neuronal qui ouvre la voie à de nouvelles thérapies pour les personnes souffrant de paralysées ou de troubles neurologiques suite à une lésion médullaire. Ce dispositif s’applique directement sur la moelle épinière sans l’endommager. Cette première a fait l’objet d’une publication dans la revue Science.
Capable de délivrer des impulsions électriques et des substances pharmacologiques

Les scientifiques savent rétablir la marche volontaire chez des rats paralysés, en combinant stimulations électriques et chimiques. Mais pour appliquer cette méthode à l’homme, ils ont besoin d’implants multifonctionnels que l’on puisse installer à long terme sur la moelle épinière, sans l’endommager. C’est exactement ce qu’ont développé les équipes de Stéphanie Lacour et Grégoire Courtine de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne. Leur implant e-Dura est conçu pour s’appliquer à la surface de la moelle ou du cerveau. Capable de délivrer à la fois des impulsions électriques et des substances pharmacologiques, ce petit dispositif imite presque à l’identique les propriétés mécaniques des tissus vivants. Les risques secondaires de rejet ou de lésion sont drastiquement réduits.
Pour l’heure, les implants dits «de surface» butent face à un obstacle. Ils ne peuvent pas être appliqués à long terme directement sur le cerveau ou la moelle, sous l’enveloppe protectrice du système nerveux central appelé «dure-mère». En bougeant ou en s’étirant, les tissus nerveux se frottent au dispositif, trop rigide. Au bout de quelque temps, ces frictions répétées entraînent inflammations, tissus cicatriciels, réactions immunes ou rejets.
 
 
Un implant qui s’intègre en douceur
Souple et étirable, le dispositif mis au point à l’EPFL est placé sous la dure-mère, directement sur la moelle épinière. Son élasticité et son potentiel de déformation sont pratiquement identiques au tissu vivant sous lequel il est logé. De la sorte, frottements et inflammations sont réduits au minimum. Implanté chez des rats, le prototype e-Dura ne provoque aucune lésion ni rejet, et ce après deux mois. Un laps de temps suffisant pour que les prototypes classiques, plus rigides, endommagent radicalement les tissus nerveux.
Les chercheurs ont pu tester le dispositif, notamment en appliquant leur protocole de réhabilitation - à même de faire marcher à nouveau des rats paralysés -, qui combine stimulations électriques et chimiques. Non seulement l’implant a fait preuve de sa biocompatibilité, mais il a également rempli son office. Les rongeurs retrouvaient leur aptitude à la marche après quelques semaines d’entraînement.
«Notre implant peut résider à long terme sur la moelle épinière ou sur le cortex, précisément parce qu’il a les mêmes propriétés mécaniques que la dure-mère naturelle. Cela ouvre de nouvelles possibilités thérapeutiques pour des patients souffrant de troubles ou traumatismes neurologiques, notamment les personnes paralysées suite à une lésion médullaire», explique Stéphanie Lacour, co-auteure et titulaire à l’EPFL de la chaire Bertarelli de technologie neuroprosthétique.
 
 
La souplesse du vivant, les performances de l’électronique
L’implant e-Dura a nécessité de véritables prouesses d’ingénierie. Tout en étant souple et étirable comme un tissu vivant, il comporte des éléments électroniques à même de stimuler la moelle, sous la lésion médullaire. Le substrat de silicone est parcouru de pistes électriques, faites d’or craquelé et étirables à souhait. Les électrodes consistent en un composite totalement innovant de silicone et de microbilles de platine. Elles peuvent être déformées dans toutes les directions, tout en assurant une conductivité électrique optimale. Enfin, un canal microfluidique permet d’administrer des substances pharmacologiques – des neurotransmetteurs – qui ont pour but de réveiller les cellules nerveuses sous la lésion.
 
 
Surveiller en direct les impulsions du cerveau
L’implant peut également être utilisé pour surveiller en direct les impulsions du cerveau. De la sorte, les chercheurs ont pu extraire avec précision l’intention motrice de l’animal avant qu’elle ne se traduise en mouvement.
«Il s’agit du premier implant neuronal de surface conçu dès l’origine pour être appliqué à long terme. Pour le réaliser, nous avons dû conjuguer un nombre considérable d’expertises et de savoir-faire», explique Grégoire Courtine, co-auteur et titulaire à l’EPFL de la chaire IRP en réparation de la moelle épinière. «Cela va des matériaux à l’électronique, en passant par les neurosciences, la médecine, la programmation d’algorithmes, etc. Je ne crois pas qu’il y ait beaucoup d’endroits dans le monde où l’on atteint le niveau de collaboration interdisciplinaire de notre Centre de neuroprothèses», poursuit le chercheur.
Pour l’heure, l’implant e-Dura a été principalement testé dans des cas de lésions médullaires, sur des rats paralysés. Mais le potentiel d’application de ces implants de surface est considérable – pour l’épilepsie, la maladie de Parkinson ou le traitement de la douleur, par exemple. Les chercheurs ont la ferme intention de s’acheminer vers des essais cliniques sur l’homme et de développer leur prototype pour préparer sa mise sur le marché.
 
Stéphanie Lacour
Tél.: 079 593 55 93
stephanie.lacour@epfl.ch
 
Grégoire Courtine
Tél.: 079 564 74 96
gregoire.courtine@epfl.ch