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06 march 2020 | La Revue POLYTECHNIQUE

Un nouveau matériau pour capter le CO2 dans les gaz de combustion

Des ingénieurs chimistes de l’EPFL ont conçu un matériau capable de capter le dioxyde de carbone des gaz de combustion humides, de manière plus efficace que le font les matériaux du commerce. Leur travail a été publié dans la revue Nature.
De manière générale, on entend par « gaz de combustion » tout gaz résultant d’une combustion dans un foyer, un fourneau, une chaudière ou un générateur de vapeur, sortant d’un conduit, d’un échappement, d’une cheminée, etc. Toutefois, ce terme est plus communément utilisé pour désigner les vapeurs rejetées par les conduits d’usines et de centrales électriques. Ces panaches de fumée sont certes indissociables des bâtiments industriels, mais ils contiennent d’importantes quantités de dioxyde de carbone (CO2), un gaz à effet de serre qui contribue considérablement au réchauffement climatique.

Un moyen d’améliorer l’impact polluant des gaz de combustion consiste à en extraire le CO2 et à le stocker dans des formations géologiques, ou à le recycler. Les recherches qui tentent de trouver de nouveaux matériaux capables de capter le CO2 de ces fumées sont légion.
 
La Terre et ses émissions de CO2 en constante expansion.(© : Luke Robus et Emmet Norris)
 
 
Une « éponge » que l’eau n’affecte pas

Les réseaux organométalliques (MOF) font partie des solutions les plus prometteuses, mais la majorité de ces matériaux nécessitent d’abord que les gaz de combustion humides soient séchés. Cela est faisable techniquement, mais très coûteux, ce qui rend la commercialisation aléatoire.
Par un curieux caprice de la nature – ou de la chimie –, les matériaux efficaces pour capter le CO2 se révèlent encore meilleurs pour capter l’eau, et donc peu utiles pour traiter des gaz de combustion humides. Pour la plupart de ces matériaux, le dioxyde de carbone et l’eau semblent être en concurrence pour les mêmes sites d’adsorption, c’est-à-dire les zones de la structure du matériau qui captent la molécule cible.
Une équipe de scientifiques dirigée par Berend Smit à l’EPFL a conçu un nouveau matériau qui prévient cette concurrence, n’est pas affecté par l’eau et peut capter le CO2 dans des gaz de combustion humides avec plus d’efficacité que les matériaux du commerce.

Les réseaux organométalliques sont des composés cristallins disposant de propriétés absorbantes remarquables, capables d’attirer des molécules spécifiques sur leur surface.
 
 
La méthode de la recherche pharmaceutique

Au cours de cette recherche, que le professeur Smit qualifie de « percée pour la conception de matériaux par simulation », les scientifiques ont utilisé une approche novatrice pour surmonter les difficultés qui se présentent lors de la conception de matériaux : ils ont suivi les méthodes utilisées pour découvrir des médicaments.
Lorsque les entreprises pharmaceutiques recherchent un nouveau médicament, elles testent d’abord des millions de molécules pour identifier celles qui se lient à une protéine cible associée à la maladie en question. Ensuite, elles comparent ces différentes molécules pour déterminer les propriétés structurelles qu’elles partagent. On établit alors un motif commun qui sert de base pour concevoir et synthétiser les molécules médicamenteuses.
Dans l’optique d’appliquer cette méthode, les scientifiques de l’EPFL ont généré par ordinateur 325’000 matériaux, qui ont en commun la capacité de capter le CO2. Tous font partie de la famille des réseaux organométalliques (MOF), des matériaux que Berend Smit étudie depuis des années.
Afin de réduire la sélection, les scientifiques ont ensuite cherché des motifs structurels communs aux MOF, qui pouvaient capter efficacement le CO2, mais pas l’eau. Cette sous-catégorie a ensuite été encore restreinte en ajoutant des paramètres de sélectivité et d’efficacité, jusqu’à ce que l’algorithme de génération de MOF des chercheurs sélectionne trente-cinq matériaux présentant de meilleures capacités de captage du CO2 de gaz de combustion humides, que les matériaux actuellement disponibles dans le commerce.
 
De la simulation à la fabrication
« Ce qui distingue ce travail, c’est que nous avons aussi pu synthétiser ces matériaux. Cela nous a permis de collaborer avec nos collègues pour démontrer que les MOF absorbent effectivement le CO2 et pas l’eau, pour tester leurs capacités de captage du carbone et pour les comparer avec les matériaux existants », explique Berend Smit.
Cette partie de l’étude a été menée en collaboration avec l’Université de Californie à Berkeley, l’Université d’Ottawa, l’Université Heriot-Watt et l’Université de Grenade. « Les expériences menées à Berkeley ont prouvé que toutes nos prédictions étaient correctes. Le groupe d’Heriot-Watt a montré que les matériaux que nous avions conçus pouvaient capter le dioxyde de carbone de gaz de combustion humides, mieux que les matériaux du commerce », souligne Berend Smit.
 
Réferences
Peter G. Boyd, Arunraj Chidambaram, Enrique García-Díez, Christopher P. Ireland, Thomas D. Daff, Richard Bounds, Andrzej GÅ‚adysiak, Pascal Schouwink, Seyed
Mohamad Moosavi, M. Mercedes Maroto-Valer, Jeffrey A. Reimer, Jorge A. R. Navarro, Tom K. Woo, Susana Garcia, Kyriakos C. Stylianou, Berend Smit. Data-driven design of metal-organic frameworks for wet flue gas CO2 capture.
Nature 11, décembre 2019. www.nature.com/articles/s41586-019-1798-7
 
Données
Tous les matériaux sont disponibles sur la plateforme Materials Cloud de ­MARVEL : https://archive.materialscloud.org/2018.0016/v3
 
Prof. Berend Smit
Tél. 021 693 00 79 / 021 695 82 85
berend.smit@epfl.ch

www.epfl.ch/labs/lsmo/

 
 
Les réseaux organométalliques
Les réseaux organométalliques sont des composés pouvant apporter une solution à des défis majeurs, tels que produire de l’eau dans le désert, filtrer les gaz à effet de serre dans l’atmosphère, rendre plus sûr le stockage de gaz dangereux. Ces composés cristallins de métaux, comme l’aluminium ou le magnésium, reliés par des molécules organiques, peuvent être transformés en des matériaux disposant de propriétés absorbantes remarquables, capables d’attirer des molécules spécifiques sur leur surface. Ils peuvent être aussi utilisés pour créer des catalyseurs plus efficaces ou stimuler l’électrolyse.

Les propriétés des réseaux organométalliques résident dans leur structure interne particulière, comportant une multitude d’espaces de l’échelle du nanomètre, tout comme les tamis moléculaires. Ces réseaux sont extrêmement stables, légers et polyvalents. Leur structure moléculaire peut permettre de capter une molécule spécifique, comme l’eau. Les molécules capturées sont libérées en augmentant légèrement la température ou la pression. À l’heure actuelle, plus de 70’000 réseaux organométalliques différents ont été produits pour remplir des missions diverses et variées.