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06 november 2013 | La Revue POLYTECHNIQUE 08/2013 | Recherche et développement

Un supercalculateur à mémoire hybride pour les neurosciences

Afin de gérer la considérable quantité de données des modélisations du cerveau, IBM, l’EPFL et l’EPFZ développent une nouvelle mémoire hybride destinée aux supercalculateurs. Cette technologie permettra au Blue Brain Project (BBP) et au Human Brain Project (HBP) d’atteindre leurs objectifs.
Dans le domaine de la modélisation informatique, les exigences des neurosciences sont hors-norme. C’est pourquoi les chercheurs d’IBM, de l’EPFL et de l’EPFZ (via son centre suisse de calculs scientifiques CSCS) développent une mémoire hybride, combinant de la DRAM, que nous trouvons dans tous nos ordinateurs et une technologie de type flash (mémoire à semi-conducteurs, non volatile et réinscriptible), analogue à celle que l’on trouve dans les clés USB. Le but vise à optimiser le coût et les performances existantes en matière de calcul intensif.

Les chercheurs du Blue Brain Project (BBP) développent notamment des modèles informatiques détaillés de cerveau de rongeur. Ces modèles reposent sur une grande quantité d’informations - données expérimentales et nombreux paramètres - nécessaires pour représenter chaque neurone et ses connexions. Il s’agit de modéliser chaque cellule nerveuse de manière réaliste, c’est-à-dire en incluant des caractéristiques, telles que la forme, la taille, ou le comportement électrique. Or le cerveau d’une souris compte quelque 70 millions de neurones. Pour que la simulation puisse s’exécuter de manière fluide, il s’agit d’assurer un accès efficace à cette énorme masse de données.
«Dans un domaine comme le nôtre, qui implique de très importantes quantités de données, les exigences en termes de superordinateurs ne se limitent pas à la puissance de calcul» explique Felix Schürmann, chercheur à l’EPFL au sein du BBP. «Nous étudions divers types de mémoires et leur utilisation. Il s’agit d’un facteur clé pour élaborer des modèles détaillés du cerveau. Mais les applications d’une telle technologie sont multiples».
 
 
Un nouvel ordinateur IBM à 70 millions de neurones
Le BBP a fait l’acquisition d’un superordinateur IBM Blue Gene/Q de dernière génération. Il sera installé en Suisse, au CSCS de Lugano. Doté d’une mémoire quatre fois supérieure à celle du supercalculateur utilisé jusqu’ici, il pourrait toutefois ne pas être encore assez performant pour reproduire le cerveau d’une souris avec le niveau de détails souhaité. C’est un défi pour les scientifiques, qui vont devoir modifier la machine afin de modéliser davantage de neurones - 70 millions dans le cas d’une souris.
Les chercheurs espèrent parvenir à leur but en élaborant différents types de mémoire. Le Blue Gene/Q est équipé d’une DRAM de 64 térabit. Ce type de technologie, analogue à celle qui équipe nos ordinateurs domestique, ne conserve pas les données une fois la machine éteinte.
Les scientifiques cherchent donc à accroître la capacité de ce supercalculateur en combinant DRAM et mémoire flash. La technologie flash est celle-là même qui permet à nos appareils photos et autres téléphones portables de stocker les données. Contrairement à la DRAM, elle peut conserver les informations, même en l’absence d’alimentation électrique. De plus, elle est notablement meilleur marché à produire. Le nouveau superordinateur ajoutera à sa DRAM 128 térabit de mémoire flash.
«Ces avancées technologiques ne vont pas seulement aider les chercheurs à modéliser le cerveau, elles contribueront également à la mise au point de futurs systèmes factuels», explique Alessandro Curioni, chercheur à IBM Zurich.
 
 
Des simulations à grande échelle avec de la mémoire hybride
Afin de profiter pleinement de cette nouvelle combinaison DRAM/flash, IBM développe l’architecture du système de mémoire, conçue de manière évolutive. Quant à eux, les chercheurs de l’EPFL et de l’EPFZ travaillent sur des logiciels dits de «haut-niveau», capables d’optimiser l’utilisation de la mémoire hybride pour des simulations à grande échelle et du calcul intensif interactif.
«Notre superordinateur ne sera pas le plus rapide du monde, mais notre travail ouvrira sans nul doute de nouvelles voies dans le domaine du calcul à grand volume de données» explique Thomas Schulthess, chercheur à l’EPFZ et directeur du CSCS. «De plus, cette collaboration bénéficiera à une foule de domaines autres que les neurosciences, comme l’astronomie, les géosciences ou la santé, par exemple».
 
Cap sur le cerveau humain
Le Blue Brain est le noyau principal autour duquel s’articule un programme plus ambitieux encore: le Human Brain Project (HBPP). Soutenu par l’Union européenne et également coordonné par l’EPFL, ce projet a pour objectif de générer des outils à même d’intégrer autant de données que possible dans un modèle détaillé du cerveau humain, d’ici 2023. Avec ses 90 milliards de neurones, le cerveau humain contient plus de mille fois plus de cellules nerveuses que celui d’une souris. La mémoire hybride DRAM/flash sera un atout de taille pour que les chercheurs puissent atteindre leur but. Davantage d’informations figurent sur le site Internet www.humanbrainproject.com.
La science repousse constamment les limites de la technologie en matière de recherche et d’innovation, développant sans cesse de nouveaux outils. Avec leurs exigences hors-norme, le BBP et le HBP montrent qu’en matière de superordinateurs, tout ne se résume pas à une question de vitesse.