Comment une mouche s’est appropriée des gènes bactériens
Georges Pop
Des gènes issus d’une bactérie permettent à la mouche blanche d’optimiser le contrôle vital de son cycle d’azote, révèle une étude chinoise à laquelle a contribué un chercheur de l’Université de Neuchâtel. Ces conclusions illustrent le rôle fondamental de l’évolution dans le transfert naturel de gènes d’une bactérie vers un organisme plus évolué.
Deux gènes issus d’une bactérie, acquis voici plusieurs dizaines de millions d’années, permettent à la mouche blanche (Bemisia tabaci), alias l'aleurode du tabac (appelé aussi aleurode du cotonnier ou aleurode de la patate douce), d’optimiser le contrôle de son cycle d’azote, essentiel à son développement, ainsi qu’à sa reproduction. C’est là le principal résultat d’une étude de l'Académie chinoise des sciences agricoles de Pékin (ACSA), à laquelle a contribué le biologiste Ted Turlings, de l’Université de Neuchâtel (UniNE).
Ces conclusions confirment le rôle de l’évolution dans le transfert naturel de gènes d’une bactérie vers un organisme plus évolué. Elles ont été publiée dans la revue de référence Science Advance, au mois de février dernier.
Un ravageur de plantes
Réunissant plusieurs sous-espèces, l'aleurode du tabac est un insecte polyphage, naturellement présent dans les régions tropicales et subtropicales. Il s’est récemment introduit dans les serres des régions plus tempérées. Ce ravageur de plantes potagères et ornementales provoque chaque année des dégâts considérables à l’agriculture. À l’échelle de la planète, ceux-ci sont estimés à plusieurs milliards de dollars. La mouche blanche s’attaque aux végétaux par succion de la sève phloémienne et excrétion de miellat. Elle transmet aux plantes de nombreux virus phytopathogènes et stimule l’apparition de maladies fongiques.
Selon le communiqué de l’UniNE, cette nouvelle recherche a clairement mis en évidence le rôle des deux gènes d’origine bactérienne qui aident cet insecte à capter et à recycler l'azote dont il a besoin pour son développement et sa reproduction. D'autres insectes dépendent généralement de bactéries présentes dans leur corps pour les aider à recycler l'azote. Mais grâce à l’intégration de ces deux gènes dans son organisme, la mouche blanche s’est affranchie de sa dépendance vis-à-vis des bactéries. Elle peut assurer toute seule ce rôle indispensable à sa survie.

La mouche blanche s’attaque aux végétaux par succion de la sève phloémienne et excrétion de miellat. © BAYER
Deux gènes fonctionnant ensemble
« Le transfert de gènes d'une bactérie à un insecte n'est pas exceptionnel, mais dans ce cas, il s'agit de deux gènes fonctionnant ensemble. C’est tout à fait unique », relève Ted Turlings, directeur du Laboratoire d’écologie chimique FARCE de l’UniNE et lauréat du Prix Marcel Benoist 2023. Selon lui, le fait que les mouches blanches utilisent ces gènes, non seulement pour acquérir de l'azote, mais aussi pour le recycler, explique leur capacité à survivre dans un très grand nombre d'espèces végétales différentes. Il révèle aussi un facteur supplémentaire de leur grande capacité à ravager des cultures.
En 2021, Ted Turlings avait déjà contribué à une recherche de l’ACSA, qui avait révélé l’existence d’un transfert de gène fonctionnel d’une plante vers un insecte. En l’occurrence, il s’agissait déjà de la mouche blanche, ce gène la protégeant d’une toxine d’origine végétale.
