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12 septembre 2018 | La Revue POLYTECHNIQUE 06/2018 | Énergie

Conquête spatiale: la propulsion nucléaire à nouveau d’actualité

De 1955 à 1972, les Etats-Unis ont développé et testé différents moteurs-fusées nucléaires thermiques. Lorsqu’ils ont mis en sommeil leurs projets de vols habités à destination de la planète Mars, ces activités ont été réduites à des études conceptuelles et de faisabilité. Grâce au regain d’intérêt pour l’exploration de la planète rouge, les travaux menés par la NASA dans ce domaine reprennent de l’ampleur depuis quelques années.
Selon le Centre de vol spatial Marshall de la NASA, qui conçoit et réalise des systèmes de propulsion et de transport spatial, les moteurs-fusées nucléaires thermiques sont une technologie prometteuse. Plus légers que les moteurs chimiques actuellement utilisés, ils tirent mieux parti de leur combustible. Dans ce contexte, l’agence spatiale américaine a récemment conclu avec BWXT Nuctear Energy Inc., un contrat visant à poursuivre et à affiner le développement de ce mode de propulsion inventé au siècle dernier.

BWXT Nuctear Energy, qui fournit déjà à la Navy des services dans le domaine du combustible nucléaire, apportera son concours à la NASA pour la conception et la mise au point d’un moteur-fusée alimenté à l’uranium faiblement enrichi, ainsi que pour la poursuite du développement de la technologie des assemblages combustibles CERMET (céramique-métal). Ce contrat de trois ans prévoit la fabrication de prototypes d’assemblages combustibles, ainsi que l’accompagnement de la NASA pour leur homologation.
La poursuite du développement des systèmes de propulsion nucléaire thermique fait partie intégrante du programme Game Changing Development (GCD) de la NASA, dans le cadre duquel l’agence américaine cherche des idées ayant le potentiel de résoudre d’importants problèmes techniques et de révolutionner les missions spatiales.
 
 
 
Des débuts amorcés avec les programmes Rover et Nerva
Aux États-Unis, le développement des systèmes de propulsion nucléaire thermique a débuté dès le milieu du siècle dernier, avec le projet Rover. L’objectif était de mettre au point un moteur nucléaire pour les missions spatiales.
Le projet de la NASA a débuté en 1955 et s’est terminé en 1972. Son volet nucléaire était placé sous la responsabilité de la Commission de l’énergie atomique (AEC) de l’époque. Il fut subdivisé en trois phases: Kiwi (de 1955 à 1964), Phoebus (de 1964 à 1969) et Peewee (de 1969 jusqu’à l’arrêt du projet en 1972).
Chaque type de moteur fut construit en deux exemplaires, l’un pour des expériences de criticité à puissance nulle, l’autre pour des essais de puissance. C’est le Nevada National Security Site (appelé à l’époque Nevada Test Site) qui a été utilisé pour les tests.
 
Un deuxième programme de fusées nucléaires
En 1961, la NASA et l’AEC lancèrent un deuxième programme de fusées nucléaires baptisé Nerva (Nuclear Engine for Rocket Vehicle Application). Scientifiques et ingénieurs se sont fixé pour objectif de construire, en s’appuyant sur l’expérience acquise jusqu’alors, un moteur-fusée capable de résister aux secousses et aux vibrations dues à un lancement.
Entre 1964 et 1969, Westinghouse Electric Corporation et Aerojet General Corporation testèrent avec succès une série de moteurs-fusées. En 1969, Wernher von Braun, alors directeur du Centre de vol spatial Marshall, proposa d’envoyer sur Mars un équipage de douze personnes au moyen de deux fusées équipées chacune de trois moteurs Nerva. Le lancement était prévu pour novembre 1981, mais la mission n’eut jamais lieu. Les moteurs nucléaires testés étaient toutefois conformes à la plupart des spécifications de la NASA, telles que le rapport poids/poussée, le comportement à l’allumage et à l’arrêt, ainsi que la durée de vie. Au total, les scientifiques auront testé pas moins de vingt-deux moteurs-fusées nucléaires thermiques dans le cadre des projets Rover et Nerva.
 
Une option importante pour les missions vers Mars
Au travers de leurs expériences, les scientifiques ont démontré que cette technologie de propulsion est une option importante et utilisable pour les missions vers Mars et au-delà, en particulier parce qu’elle permet d’accélérer le carburant jusqu’à une vitesse de sortie élevée, ce qui augmente l’efficacité de la propulsion. Comme le jet de sortie des moteurs nucléaires thermiques contient des substances radioactives, ces derniers ne sont allumés qu’au-delà de l’atmosphère terrestre.
 
 
 

Chauffer des gaz à très haute température
La propulsion nucléaire thermique consiste à chauffer de l’hydrogène à plusieurs milliers de degrés en le faisant circuler à travers le cœur d’un réacteur, puis à le faire sortir sous pression par une tuyère. Dans le cadre des expériences Rover et Nerva, les Américains ont atteint des températures de sortie de quelque 3000 K. L’unité de propulsion la plus puissante (Phoebus 2A) a généré une puissance thermique de près de 4000 MW.
Toujours dans le cadre de ces expériences, la NASA a pu obtenir des impulsions spécifiques de 850 s, ce qui est deux fois plus qu’avec les meilleurs moteurs chimiques. L’impulsion spécifique est une mesure de l’efficacité du moteur: plus elle est longue, mieux c’est.
 
Le cœur est entouré d’un réflecteur de neutrons
Le cœur du réacteur est entouré d’un réflecteur de neutrons dans lequel se trouvent des tambours de commande cylindriques. L’un des côtés de ces tambours est revêtu d’un matériau absorbeur de neutrons. Le réacteur est piloté en positionnant ce côté ou le côté opposé face au cœur. Avant que l’hydrogène stocké à l’état liquide (à -253 °C) ne passe entre les assemblages combustibles du cœur du réacteur, il est acheminé le long de la tuyère et du réflecteur, si bien qu’il refroidit les pièces mécaniques tout en étant préchauffé.
 
De l’UHE à I’UFE
Tous les moteurs-fusées nucléaires testés jusqu’à présent par la NASA fonctionnaient à l’uranium hautement enrichi (UHE). Selon l’agence spatiale américaine, les progrès réalisés dans le domaine de la technologie des matériaux pourraient toutefois ouvrir de nouvelles perspectives. Un passage à l’uranium faiblement enrichi (UFE, degré d’enrichissement inférieur à 20 %), offrirait non seulement de bonnes capacités de propulsion, mais aussi d’autres avantages: les mesures de sûreté pourraient être simplifiées, le budget du projet allégé et le calendrier raccourci.
Les prescriptions relatives à la manipulation de ce type de sources radioactives sont comparables à celles en vigueur dans les réacteurs de recherche des universités, ce qui ouvrirait la porte à des coopérations avec les hautes écoles et l’industrie.
Les réacteurs Rover et Nerva étaient dotés d’un cœur solide. Des réacteurs à cœur liquide et gazeux ont également été conçus et certains de leurs composants testés, mais ils n’ont jamais été entièrement construits. S’agissant des réacteurs à cœur solide, l’un des problèmes que les ingénieurs ont eu à résoudre était de trouver des matériaux capables de résister aux températures présentes dans le cœur, sans avoir d’effets trop négatifs sur le bilan neutronique.
 
 
 

Le choix du tungstène
Le tungstène est le métal ayant le point de fusion le plus élevé (3422 °C), mais c’est aussi un puissant absorbeur de neutrons, en particulier des neutrons lents, d’une énergie inférieure à 1 eV. Dans le cadre du projet Rover, on a notamment fait fonctionner des réacteurs dotés d’une matrice de combustible à base de tungstène. À l’époque toutefois, la production de tungstène coûtait très cher. Pour les réacteurs alimentés à l’UHE de ce projet, on s’est focalisé sur le graphite.
Pour pouvoir faire fonctionner un moteur-fusée alimenté à l’UFE, il est cependant indispensable de pouvoir produire du tungstène isotopiquement pur aux fins du développement de combustible métal/céramique (CERMET). C’est la clé de la mise au point d’une propulsion nucléaire thermique faiblement enrichie, basée sur le CERMET. Cette technologie étant susceptible de changer la donne, l’objectif est d’en évaluer la faisabilité technique et économique.
Dans un premier temps, la NASA entend démontrer qu’il est possible de produire du tungstène d’une pureté atteignant 90 % et de se faire une idée des coûts de production.
 
La propulsion nucléaire diminue la dose de radiation reçue par l’équipage
Du fait de leur efficacité, les moteurs-fusées nucléaires thermiques conviennent particulièrement pour le transport de charges utiles importantes. Leur utilisation permettrait, en outre, de faire passer de six à quatre mois la durée du voyage de sondes spatiales habitées à destination de la planète rouge, ce qui réduirait considérablement la dose de radiation reçue par les équipages. Par ailleurs, plus le voyage est rapide, moins l’équipage passe de temps en apesanteur et plus le risque inhérent à ce type de missions très complexes, est faible.
 
(M.B./D.B., d’après BWTX, NASA et Los Alamos National Laboratory, diverses sources)
Bulletin Forum nucléaire suisse 3/2017