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25 septembre 2020 | La Revue POLYTECHNIQUE 06/2020 | Épidémiologie

Covid-19 : les effets des mesures prises en Suisse

Des chercheurs de l’EPFL ont modélisé les effets des mesures prises en Suisse pour lutter contre le coronavirus. Selon les cantons, le taux de transmission a chuté dans des proportions oscillant entre 53 et 92 %, parallèlement à une baisse de mobilité de 30 à 80 %.
Quels ont été les effets des mesures prises ces dernières semaines contre le coronavirus ? C’est ce qu’ont voulu connaître des chercheurs de l’EPFL, qui ont analysé les mesures prises à partir du 28 février, date de l’interdiction des rassemblements de plus de mille personnes. Elles ont été suivies par toute une série de mesures avec pour point culminant, l’interdiction des rassemblements de plus de cinq personnes annoncée le 20 mars.
« Les estimations de l’impact de ces mesures sur la transmission du SARS-CoV-2 sont essentielles pour la prise de décision, que ce soit dans la suite de cette épidémie ou dans les suivantes », affirme Jacques Fellay, médecin-chercheur à la Faculté des Sciences de la Vie de l’EPFL, co-auteur de l’étude et membre du comité scientifique Covid-19 mis en place par le Conseil fédéral. Les résultats de cette étude ont été publiés dans la revue Swiss Medical Weekly.
Estimations des changements du taux de transmission R0 dans le temps. Médiane : ligne pointillée, marges d’erreur intervalle interquartile et intervalle de confiance 95 % en gris foncé et gris clair. 1) Introduction de la mesure d’interdiction des rassemblements de plus de mille personnes. 2) Fermeture des écoles. 3) Fermeture des activités non essentielles. 4) Interdiction des rassemblements de plus de cinq personnes. (J. Lemaitre et al., SMW, 2020)

Déterminer l’évolution du taux de reproduction
La méthode utilisée consiste à déterminer l’évolution du taux de reproduction (donné par la valeur R0) au cours de l’épidémie à l’échelle nationale et cantonale, à l’aide d’un modèle épidémiologique. Le modèle prend en compte des données détaillées de plus de mille patients hospitalisés dans le canton de Vaud, ainsi que les rapports publics sur les hospitalisations et les décès en Suisse. « Nous avons eu la chance d’avoir accès à des données importantes, comme la durée du séjour à l’hôpital et aux soins intensifs, ce qui n’est pas toujours le cas dans ces publications. Cela a permis d’adapter le modèle aux spécificités cliniques suisses », souligne Joseph Lemaitre, doctorant au Laboratoire d’écohydrologie (ECHO) de l’EPFL et premier auteur de la publication.
Au niveau suisse, les chercheurs ont observé que la valeur R0 est passée de 2,8 au commencement de la pandémie à 0,4 au début avril, soit une réduction de 86 %. Calculée pour chaque canton séparément, cette réduction varie entre 53 % pour le Jura et 92 % pour Bâle-Ville. La baisse de transmission a été comparée au changement de mobilité obtenu avec les données des téléphones mobiles. Ainsi, les déplacements liés au travail, au commerce de détail et aux loisirs ont diminué de 50 à 75 % au niveau suisse et de 30 à 80 % au niveau cantonal. Une corrélation très nette est observée entre la réduction du taux de reproduction et la baisse de mobilité, mais la diminution du RO commence quelques jours avant les premiers changements de mobilité.

Cette carte montre la proportion de personnes infectées par le SARS-Cov-2 au 24 avril dans les douze cantons suisses pour lesquels suffisamment de données étaient disponibles. Les cantons non modélisés sont indiqués en gris, avec des points indiquant la proportion estimée au niveau national, de 3 %. (Lemaitre et al., SMW, 2020)
Une prise de conscience des mesures d’hygiène
Les chercheurs ont constaté que la baisse du R0 a commencé autour du 6 mars, donc au moins une semaine avant que la fermeture des écoles soit officiellement mise en place. La campagne d’information de l’Office fédéral de la santé publique, lancée le 28 février et adaptée le 2 mars, insistait sur les règles d’hygiène de base. Elle a provoqué une prise de conscience et une application volontaire des mesures d’hygiène et de distanciation sociale, qui a permis une baisse du taux de reproduction avant même que les mesures de distanciations soient mises en place.
« Nous avons observé que le taux de transmission était déjà autour de 1 lorsque le Conseil a interdit les rassemblements de plus de cinq personnes et a recommandé l’isolement volontaire à domicile pour l’ensemble de la population. Ce résultat doit toutefois être replacé dans son contexte, puisque l’annonce a pu être anticipée, comme on l’observe en analysant les recherches sur internet. Ce qui a probablement eu un impact sur le comportement de distanciation sociale », note Joseph Lemaitre. À l’aide de ce modèle, les chercheurs ont également calculé que 3,9 % de la population suisse avait probablement été infectée par le virus (valeur au 24 avril). Au niveau cantonal, ce taux s’étend de 1,9 % pour Berne et à 16 % au Tessin .
Avec la levée progressive des restrictions, les chercheurs ont la volonté de publier une mise à jour quotidienne du taux de reproduction. Selon eux, il est essentiel de suivre de près son évolution, puisque la capacité de transmission du virus dépend essentiellement des comportements, et non d’une hypothétique immunité collective encore très loin d’être atteinte.
« Est-ce que l’ouverture des restaurants ou des magasins entraînera une hausse des transmissions ? Est-ce que celle-ci pourrait être compensée par une stratégie de dépistage et de traçage des contacts plus agressive ? Quel est l’impact du port du masque ? Nous n’avons pas encore la réponse à toutes ces questions. Un suivi attentif des paramètres épidémiologiques est donc crucial », déclare Jacques Fellay. « L’estimation du taux de reproduction en temps réel constituera un outil essentiel pour la santé publique et les décideurs politiques dans les mois à venir. Des efforts devront être faits pour affiner des modèles comme le nôtre, en utilisant de nouvelles données, comme les résultats des études sérologiques en cours ou la description plus détaillée de l’évolution clinique des patients souffrant du virus, par exemple », conclut-il.
Référence
Assessing the impact of non-pharmaceutical interventions on SARS-CoV-2 transmission in Switzerland. Joseph. C. Lemaitre, Javier Perez-Saez, Andrew S. Azman, Andrea Rinaldo et Jacques Fellay. Swiss Medical Weekly, 2020.
Prof. Jacques Fellay
jacques.fellay@epfl.ch
Tél. 021 693 18 49
www.epfl.ch/labs/fellay-lab